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Arabisation et berbérisme : la fracture algérienne (2)

publié le 11/04/2025 par issam nazari

Née d’une idéologie nationaliste et religieuse, l’arabisation de l’Algérie a écarté la langue berbère. Entre répression, résistances culturelles et assassinats politiques, la fracture identitaire reste ouverte

Le pacte entre nationalisme et islamisme

Il faut remonter au début du siècle dernier et au mouvement national algérien, notamment à Messali Hadj, le père du nationalisme, qui arrime fermement l’Algérie à la nation arabo-musulmane, tout en bâillonnant sévèrement les voix qui défendent sa dimension berbère.
Mais également à Benbadis, le fondateur de l’Association des oulémas algériens qui, formé dans l’école wahhabite de La Mecque, fera de la langue arabe — dont il développe l’apprentissage à travers le pays — son combat identitaire et religieux.
Ainsi, dans le prolongement du « statut musulman » des autochtones établi par le système colonial, l’algérianité est conçue dans l’appartenance religieuse. L’arabe, langue du Coran et langue liturgique de l’islam, lui est rattaché comme un sacrement. Dès le début, « Islamité et Arabité » sont les deux fondamentaux sur lesquels s’accordent nationalisme et islamisme algériens.

Benbadis, le prêcheur de la langue arabe

Abdelhamid Benbadis (1889–1940), fondateur de l’Association des oulémas algériens, formé dans les cercles wahhabites à La Mecque, prône un islam réformiste adossé à la langue arabe classique. Son mot d’ordre : « L’Islam est ma religion, l’Algérie est ma patrie, l’arabe est ma langue ». Sa vision influence profondément l’école algérienne postindépendance.

L’effacement du berbère

Dès l’indépendance, Ben Bella et Boumediene, deux chefs historiques de l’indépendance, qui ont accaparé le pouvoir à coup de longues purges fratricides, ont clamé l’ancrage arabo-musulman du jeune État qui prendra l’islam pour seule religion et l’arabe pour seule langue officielle.
Au moyen d’une féroce répression, le berbère, accusé d’être un instrument colonial du « diviser pour mieux régner », a été écarté de l’identité algérienne officielle.
Dans la continuité de sa politique, l’Égyptien Nasser avait délégué, au lendemain de l’indépendance, le cheikh Chaaraoui, un prédicateur islamiste virulent et très populaire, à la tête d’une délégation chargée d’arabiser l’éducation nationale.
Avec le concours des enseignants algériens issus des écoles des oulémas, l’arabisation marquera le virage islamiste de l’école algérienne.
C’est d’ailleurs Taleb Ibrahimi, le fils du successeur de Benbadis et ministre de l’Éducation, qui en sera la cheville ouvrière.

Le printemps berbère : premier sursaut identitaire

Né dans le mouvement national, le mouvement berbériste s’affirme très tôt en mouvement de résistance culturelle à la politique d’État d’hégémonie arabo-musulmane et à sa répression.
L’ampleur du printemps berbère de 1980 avait mis le pouvoir face à l’évidence de cette dimension identitaire. Chadli, le successeur de Boumediene, sera contraint de la reconnaître à travers sa formule célèbre : « Nous sommes des Amazighs arabisés par l’islam. »

L’affaire Matoub Lounès, entre musique et politique

Paradoxalement, les tenants du pouvoir, militaires et civils, étaient essentiellement issus de l’école française.
Les arabisants, eux, se retrouvaient marginalisés, nourrissant une rancœur contre la langue française, perçue comme un instrument de domination intérieure. Le chanteur kabyle Matoub Lounès, symbole du combat pour la laïcité et l’identité amazighe, est assassiné en 1998. Le choc est national. Pour ses partisans, les services secrets sont impliqués dans ce meurtre politique. Matoub devient martyr, et son souvenir nourrit les révoltes kabyles des années 2000.

Tamazight, une reconnaissance au prix du sang

Il faudra attendre Bouteflika pour accéder à partir de 2001 à la reconnaissance du Tamazight dans la Constitution, non sans en avoir payé le prix du sang : la brutalité de la répression du « printemps noir » kabyle de la même année avait fait 126 morts et plus de 5 000 blessés.

A suivre…