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Congo. Julienne Lusenge fait la chasse aux violeurs

publié le 01/12/2024 par Pierre Feydel

En 40 ans, la militante féministe, qui se bat pour les femmes et contre les crimes sexuels, est devenue un modèle mondial

« Une capitale mondiale du viol »

Depuis 2008, l’ONU a dénoncé le viol comme une « arme de guerre ». L’envoyée spéciale de l’organisation internationale pour les violences faites aux femmes et aux enfants dans les conflits jusqu’en 2011, la Suédoise Margot Wallström, a qualifié la République démocratique du Congo de « capitale mondiale du viol ». Depuis 25 ans, des guerres ravagent le pays et particulièrement le Nord-Est. Les milices, les bandes armées venues du Rwanda violent. Les forces armées du pays qui les combattent en font tout autant, avec une ampleur encore plus grande. Le viol détruit des femmes, mais aussi des ethnies entières, provoquant des dégâts physiques, psychologiques et sociaux. Nombre de femmes sont rejetées par leur famille après leur calvaire. Plus de deux millions de femmes, sans doute beaucoup plus, ont été agressées dans des conditions souvent effroyables, accompagnées d’actes de torture.

Face à un crime de masse, banalisé, impuni

Les régions du Nord et du Sud-Kivu sont les plus dangereuses. Même quand les conflits s’apaisent, les viols continuent. Dans les camps de réfugiés, les femmes et les filles restent des proies. Julienne Lusenge est l’une de celles qui ont décidé de se battre contre cette calamité. Elle est originaire de ces régions où le viol, souvent multiple, est devenu une banalité, la plupart du temps impunie. Elle y est née, il y a 66 ans, dans une famille où règne un grand respect des femmes. Elle raconte comment son père l’a toujours poussée à s’exprimer et à affirmer ses points de vue. C’est comme journaliste de radio qu’elle découvre l’effroyable condition des femmes congolaises et qu’elle commence à dénoncer ceux qui les asservissent et les martyrisent. Elle ne cessera plus de militer.

Soigner les femmes et les enfants des viols

En 2000, Julienne Lusenge participe à la création de l’Association Solidarité pour la Paix et le Développement intégral (SOFEPADI). Elle réclame le désarmement des groupes armés et l’application de la loi. Elle mène des actions de sensibilisation auprès des populations et des forces de police, à qui il faut apprendre à rédiger des procès-verbaux pour enregistrer les plaintes pour violences sexuelles. L’association prodigue des soins dans une clinique à Bunia, un centre qui a accueilli jusqu’à 20 femmes par jour, soit 600 par mois. Son ONG prend aussi en charge les enfants nés des viols, leur assurant une éducation, parfois jusqu’à l’université.

Menacée mais inflexible

Sa condamnation des milices armées en Ituri (province orientale) et sa promotion des droits des femmes lui valent des menaces. Elle sait ce que coûte son combat et pleure les militantes découpées à la machette. Sa famille et elle-même menacées, sa maison pillée, rien de cela ne l’arrête et cela la motive plus encore. Elle a dû envoyer les siens au Bénin pour les protéger. Mais elle, elle reste. En 2002 pourtant, elle quitte la ville de Bunia, en Ituri, non loin du lac Albert qui constitue la frontière avec l’Ouganda. Le harcèlement de ceux qui n’acceptent pas son action est permanent. Elle doit s’installer à Béni, au Nord-Kivu, plus au sud, toujours dans une province très touchée par les viols. En 2008, l’une de ses collaboratrices est victime chez elle d’une tentative d’intimidation par des nervis cherchant l’adresse de Julienne Lusenge, objet de multiples menaces de mort. L’ONU est alertée.

Une figure internationale

Pour autant, l’énergie de celle sur laquelle pleuvent prix, distinctions et responsabilités n’est jamais entamée. Inlassablement, elle cherche des fonds pour ses combats. Prix des droits de l’homme de l’ONU en 2023 (dont Nelson Mandela a été un des bénéficiaires), Prix international de la femme de courage décerné par les États-Unis, désignée en 2024 comme l’une des personnalités les plus influentes du monde par le magazine Time, la militante féministe semble plus reconnue pour son action par les instances internationales que par son propre pays. Cette notoriété s’est peu à peu concrétisée par des fonctions qui lui donnent plus encore de moyens pour mener son combat. Elle est directrice exécutive du Fonds pour les femmes congolaises et a été nommée au Fonds des Nations unies pour les victimes de torture.

« Julienne, maman Julienne », la terreur des violeurs

Mais les honneurs la motivent moins que les résultats de son action : plus de 800 procès gagnés contre des violeurs, des milliers de jeunes femmes soignées, prises en charge socialement et réinsérées dans la vie congolaise, des milliers d’entre elles prévenues et informées, qui savent désormais se défendre, ainsi que l’élaboration de nouveaux textes de loi protégeant les femmes. Malgré tout, elle assure rester « Julienne, maman Julienne », un être humain accessible au malheur des autres. La plus belle de toutes ses qualités.


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