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Curtis Yarvin, le «penseur» trop fou qui trouve Trump trop mou

publié le 18/04/2025 par Pierre Feydel

Il veut supprimer la démocratie, nommer un monarque, abandonner l’Europe à Poutine. Les trumpistes adorent…


Prophètes xénophobes, bouffons mystiques, gourous autocratiques ou harpies virilistes…

Dans la cour qui entoure Donald Trump, parmi les courtisans, hormis les membres de son gouvernement où prolifèrent les incompétents, on distingue des conseillers de toute sorte d’espèces. Il y a les prophètes xénophobes, les bouffons mystiques, les gourous autocratiques, ou encore les harpies virilistes, sans compter les prédicateurs nationalistes de tout poil. Dans cette faune, où chacun prétend parler à l’oreille du maître, influencer ses décisions, Curtis Guy Yarvin, 52 ans, a une place de choix. D’abord par sa filiation intellectuelle. Il est ce qu’on nomme aux États-Unis un néoréactionnaire, un partisan des « Lumières obscures », par opposition aux vraies, celles du libéralisme de la fin du XVIIIᵉ siècle. Une école de pensée antidémocratique, anti-égalitariste, antiprogressiste, qui veut un retour aux valeurs traditionnelles, à la monarchie, à un libéralisme économique sans aucune règle.

Un illuminé cité comme une référence intellectuelle

Dans les courants qui traversent l’extrême droite américaine, il appartient plutôt à la néo-réaction, qui se veut élitiste, en opposition à l’autre courant américain, l’« alt-right », populiste et anticapitaliste. Dans notre Europe rationnelle, l’homme passerait pour un illuminé. Aux États-Unis, le vice-président J. D. Vance le cite comme une référence intellectuelle. Il est proche de Peter Thiel, magnat de la Silicon Valley, inventeur de PayPal, d’Elon Musk, de Steve Bannon, ex-conseiller sulfureux de Donald Trump, ou encore du « journaliste » de Fox News, Tucker Carlson, propagandiste ultra. Curtis Yarvin trouve Donald Trump trop mou. Son perfecto, ses cheveux longs, le placent hors des rites convenus de la bienséance républicaine. Il est bien au-delà d’un dérapage incontrôlé de la droite américaine vers des outrances autoritaires.

« Qu’y a-t-il de si mauvais chez les nazis ? »

Il s’est propulsé, intellectuellement, loin, ailleurs, hors du cadre démocratique de la Constitution américaine. Ce penseur révolutionnaire sort de l’université Brown avec une licence d’informatique, rentre à Berkeley où il ne finit pas son doctorat, fait un séjour à Johns Hopkins. Mais surtout, dès 2007, il blogue sous le nom de Mencius Moldbug. Il développe un produit informatique, « Urbit », qui doit révolutionner la façon dont Internet est utilisé par le public. Mais très vite, il revient à son rôle d’influenceur idéologique, alors que Steve Bannon l’encense dans son média d’ultradroite « Breitbart News ». Dans son blog, sous son pseudonyme, il a posé cette terrible question : « Qu’y a-t-il de si mauvais chez les nazis ? » Comment passer inaperçu avec de tels propos ?

Il déteste l’idée du suffrage universel

Le 18 janvier 2025, il accorde une interview au New York Times qui fait grand bruit. Il y explique son opposition au vote. Il déteste l’idée du suffrage universel : qu’un péquenot du fin fond du Middle West ait les mêmes droits qu’un diplômé d’une grande université le révulse. Au cours de ses interventions diverses, il explique sa préférence pour la monarchie. Le projet de Curtis Yarvin implique l’instauration d’un monarque qui serait plutôt un grand chef d’entreprise, qui instaurerait une techno-dictature et un ultralibéralisme économique débarrassé de tout contrôle. Il souhaite l’abolition de la Constitution des États-Unis. La démocratie est pour lui un système faible qu’il faut renverser.
Inégalitaire total, il propose d’interdire le vote à tous ceux dont le QI serait inférieur à 120, et prône un « gouvernement des meilleurs ».

« L’Ukraine est plus russe que l’Alsace n’est française »

En matière de politique étrangère, il prétend avoir soufflé à Trump son idée de riviera sur la bande de Gaza. Avec cette remarque d’un cynisme absolu : « Gaza sans ses habitants vaut beaucoup plus que Gaza avec ses habitants. » Quant à l’Europe, il juge que « l’Ukraine est plus russe que l’Alsace n’est française ». Selon lui, le destin de la Russie est de « rétablir l’ordre en Europe ». Il estime que l’Ukraine doit disparaître, histoire de faire comprendre aux autres alliés-clients des États-Unis que Washington ne garantira plus leur sécurité. Étrangement, cela semble bien être aujourd’hui les intentions de Trump.

Pour lui, la France n’est qu’un vignoble.

Le Vieux Continent, il s’en fout : « Que le régime français soit fasciste, communiste, monarchiste, raciste ou anarchiste, on leur achètera leur vin et on leur vendra nos produits Disney. » Il ajoute : « La France pourrait même se diviser en petites baronnies ou même devenir une province russe, ses territoires resteront les mêmes. » Pour lui, la France n’est qu’un vignoble.

Curtis Yarvin serait en fin de compte un provocateur pseudo-intellectuel idéjanté sans grande importance, si l’on ne sentait dans la politique trumpienne comme un fort relent de bon nombre de ces élucubrations. Comme si la pensée politique américaine semblait sombrer dans des abysses effrayants.


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