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Edito : « Au Liban, la mafia a un pays », par Patrick Baz

Edito publié le 03/08/2021 | par Patrick Baz

Traumatisés et sans un sou, otages d’une kleptocratie dont ils étaient complices. Les Libanais commémorent « un an » de l’explosion meurtrière du port de Beyrouth.

Aucun coupable à l’horizon, des juges qui font face à des politiciens qui se protègent derrière leur immunité et un pays au bord du précipice ou du moins en pleine plongée.

La livre libanaise a perdu près de 90% de sa valeur ce qui provoque des pénuries, d’essence, d’électricité, d’eau, de mazout, de médicaments…  Des queues interminables de véhicules se forment devant les stations-service et certains passent la nuit dans leur voiture pour ne pas rater leur tour.

L’EDL fournit, tout au plus, deux heures d’électricité par jour et il est fréquent de tomber sur le préposé aux factures dans les cages d’escaliers des immeubles (faute d’ascenseur) qui réclame son dû.

Le Liban longtemps considéré comme le réservoir d’eau de la région grâce à ses chaînes montagneuses enneigées l’hiver fait face à une pénurie d’eau due aux infrastructures trop longtemps négligées, l’eau se déverse dans la mer et le peu qu’il en reste ne peut être pompé suite à une pénurie de mazout.

Ce mazout subventionné par l’état est revendu par les contrebandiers en Syrie et toute la caste politique y trouve son compte.

Si tous les pays du monde ont une mafia, au Liban la Mafia a un pays.

Alors que des incendies criminels ravagent des forêts entières, des hélicoptères anti-feu, offerts au gouvernement, restent stationnés sur le tarmac. Les fonds alloués à la maintenance de ces appareils ont disparu.

Les employés de la compagnie des chemins de fer continuent de recevoir leurs salaires alors que le fer a été vendu et les voies ont disparu depuis plus de quarante ans sous des constructions illégales.

Les transports publics ont été réduits à néant et remplacés par des bus et minibus appartenant à tel ou tel parti.

Quant aux parcmètres de la ville de Beyrouth personne ne saura jamais dans quelle caisse ou dans quelle poche a fini tout cet argent.

Les employés de la sécurité sociale sont en grève mais l’employeur continue de payer des amendes répétitives pour retard de paiement et l’employé n’est toujours pas remboursé.

Tout ceci n’empêche pas les services des douanes de taxer les dons des ONG qui arrivent au Liban.

Le dollar s’échange à plusieurs taux, l’officiel à 1500 LL, celui du distributeur de billet à 3900LL, celui de la plateforme de la Banque du Liban à 15000 LL et au marché noir à 19200 LL à l’heure où j’écris.

Les banques limitent le retrait d’argent mensuel entre 500 à 1000 USD par mois et se servent au marché noir pour renflouer leurs caisses.

Sur le plan politique, les manifestations d’Octobre 2019 ont été décimées par le confinement. À force de crier haut et fort que ce n’est qu’une révolution populaire, sans chef, l’opposition se retrouve en 2021 sans leaders.

Les mafias au pouvoir, déguisées, en partis politiques dont le seul programme est de défendre leurs intérêts et ceux de leur communauté (très souvent religieuse) se font les porte-voix de la lutte contre la corruption et se vantent de pouvoir donner des leçons à Londres et Washington sur comment gérer un pays sans budget.

Alors qu’un émir féodal siège à l’Internationale socialiste, que des cadres du mouvement des déshérités ressemblent plus à des membres d’un club d’héritiers, qu’un parti marxiste est le principal allié du parti de Dieu, qu’un parti néo-nazi prêche pour l’annexion du Liban par la Syrie, que le principal parti chrétien ressasse à longueur de passage d’antenne qu’il n’est au pouvoir que depuis 10 ans, comme si cela ne lui semblait pas suffisant. Leurs fils, cousins, gendres et autres héritiers attendent la relève.

Dans un pays dont certaines rues portent les noms de personnes vivantes, d’anciens occupants ou colonisateurs, où l’on fait suspendre des banderoles à l’entrée de certains quartiers, villes ou villages pour remercier des élus des ministres ou fonctionnaires, ou des artères principales sont décorés de portraits d’actuels ou anciens chefs de guerre, locaux ou régionaux, l’opposition a du mal à trouver sa voie.

Alors que le gouvernement planifie d’imposer un passe sanitaire, dans les cafés et bars des quartiers qui n’ont plus de traditionnel que les panneaux qui les signalent, l’élite intellectuelle tente de s’accrocher encore à un certain Liban.

Dans la montagne du Chouf, la réalisatrice Nadine Labaki tourne un film et sur les collines de Beyrouth d’autres se marient en grande pompe – feux d’artifices et vidéos – partagée sur les réseaux sociaux.

Un peu plus au Sud, un règlement de compte à la mitrailleuse lourde et au lance-roquette entre le Hezbollah et une tribu sunnite a fait cinq morts.

À l’opposé, dans le nord du pays, comme une veille de fin du monde quotidienne les fêtards envahissent les plages privées, les bars et les boites de nuit, le seul peuple capable d’en construire sur le radeau de la méduse.

 

 


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