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Édito: Urgences hôpital. « L’été de tous les dangers, par le professeur Frédéric Adnet.

publié le 09/06/2022 par Frédéric Adnet

Un constat. Les urgences sont au bord de la rupture. Vingt pour cent des services en France sont menacés de fermeture. Dans la débâcle du système hospitalier public, elles ne sont pas épargnées, symptôme et conséquence d’une crise hospitalière profonde, accélérée par la pandémie de la COVID-19.

Il y aura donc des morts…

 Pourquoi ? L’engorgement aux urgences est synonyme d’une augmentation de la mortalité. En cause, les délais de prise en charge qui s’allongent, les retards diagnostiques, les difficultés à trouver des services spécialisés pour les prises en charge des urgences vitales, et l’accès de plus en plus difficile au Samu ou aux urgences du fait de la raréfaction de l’offre.

Pourtant, les urgences constituent la vitrine et la porte d’entrée principale de l’hôpital.

Les patients victimes d’Accidents vasculaires cérébraux (AVC), d’infarctus du myocarde, de décompensations de maladies chroniques n’auront pas la même chance cet été comparée à une situation de plein emploi hospitalier.

On ne va donc pas passer un été tranquille !

Le départ massif de soignants, de médecins a fortement déstabilisé nos établissements avec des fermetures de lits et de services qui ne se comptent plus : la diminution des capacités d’hospitalisation rend inévitable le goulet d’étranglement des urgences et la baisse du service rendu au patient.

Comment en est-on arrivé là ?

Ce désamour profond, viscéral des personnels de l’hôpital résulte d’une gestion déshumanisée des ressources humaines transformant l’administration de nos hôpitaux en management d’entreprise. Pour toute boussole, l’administration garde les yeux rivés sur les tableurs Excel qui ne comprend l’activité hospitalière qu’en termes de « recettes » et « dépenses ». Sachant que nos recettes sont à 80 % les dépenses de l’assurance maladie et que celle-ci est limitée par l’objectif national de l’assurance maladie, le fameux Ondam, on comprend que l’on entre dans un système kafkaïen de course à l’échalote !

Et le patient dans tout ça ? Oublié ! Et les personnels qui ne vendent pas du Coca-Cola, mais ont une vocation éthique, en essayant de créer du soin, du bien ? Oubliés ! L’hôpital n’est pas une entreprise privée, le soin n’est définitivement pas une marchandise.On arrive ainsi clairement au bout d’un cycle, cette de la Tarification à l’activité (la T2A), en clair, la dissolution de l’hôpital dans l’entreprise.

Je demande toujours aux infirmières, aides-soignants, cadres de santé les raisons de leurs départs.

L’hôpital était encore, il n’y a pas si longtemps, représenté dans l’imaginaire collectif comme un temple de bienveillance, avec une véritable fierté des personnels hospitaliers d’assumer une mission de service public, répondant à des aspirations éthiques, de dévouement et, finalement, d’un sentiment de « servir à quelque chose » … « de prodiguer du bien ». Tout ceci a progressivement disparu.

Reste… une administration omniprésente, probablement hypertrophiée, rigide et surtout sourde et aveugle à la gestion – bienveillante – des personnels ou à l’analyse de projets médicaux qualifiés de « non rentables ».  Transformer l’hôpital en entreprise a transformé les personnels hospitaliers en « collaborateurs » ou simples « employés » qui se détachent plus ou moins consciemment des missions de l’établissement. Une démission des personnels désormais vierge de tous remords.

Des loyers hors-sol.

Mais il existe aussi des critères plus factuels comme la difficulté à se loger correctement avec des loyers hors-sol et déconnectés des revenus des personnels. Les trajets professionnels deviennent alors plus longs et plus chers vu les hausses continuelles du carburant.

Pour remédier à cela, il faut un véritable plan 

D’abord, réserver des logements a loyer modéré en direction de nos soignants , revoir les parcs immobiliers des hôpitaux, contractualiser avec les mairies ou les départements, voire faire appel à de grandes associations d’utilité publiques.

Les rémunérations, ensuite, bien que revalorisées par le « Ségur », sont toujours aussi peu attractives en regard de l’investissement et la dureté du travail des soignants. Une valorisation du travail de nuit et des gardes reste bien en deçà des attentes des personnels.

Des conditions de travail s’alignant toujours vers le « moins-disant » au nom de l’efficience, se traduisant par un nombre de lits gérés par une seule infirmière toujours plus élevé sans tenir compte des spécificités médicales ou de la lourdeur de la prise en charge. Les médecins n’ont pas leur mot à dire…

Ce défaut d’attractivité réside aussi dans la fameuse mutualisation des soignants, affublée souvent du doux mot de « poly-compétence », qui se traduit en fait par le déplacement brutal et souvent à la dernière minute des infirmiers d’un service vers un autre, histoire de combler les « trous », alors que ces mêmes soignants ne demandent qu’à valoriser leurs spécificités, leurs spécialités dans un domaine précis de la médecine où ils excellent.

Être considéré comme un pion malléable à merci ajoute de la souffrance voire de la maltraitance au travail….

Enfin, enfin, il y a le reste, ces petits riens qui font toute la différence. Sentir que l’hôpital est bienveillant avec ses personnels pourrait se traduire par des services où l’on se sent « bien »,  où il existe des salles de détente du personnel accueillantes, des salles de gardes décentes, des repas qui pourraient rester à un niveau de qualité atteint lors de la crise de la COVID-19, des services ou il existe un esprit et une solidarité d’équipe dans des locaux rénovés, propres. Bref, un coup de pinceau peut changer bien des choses !

N’oublions pas le télétravail – inaccessible par nature aux soignants et actuellement glorifié par les proches ou des personnels administratifs – qui, par comparaison, accentue le sentiment de pénibilité du travail posté. Les cadres de santé souffrent aussi, victime d’une profession dévalorisée, malade d’une double polyvalence : il n’est pas rare de voir des cadres de santé responsables de services de spécialités différentes et, en plus, responsables d’équipes de jours et de nuit.

Épuisement, manque de reconnaissance salariale et, souvent, une direction sourde

Tout ceci a été sacrifié sur l’autel de la rentabilité avec cette efficience absurde de l’hôpital public. On a détruit tout ce qui ne rapportait pas.

Un symbole, anecdotique, mais significatif.

Les personnels soignants paramédicaux, infirmiers, aides-soignants, agents hospitaliers sont affublés par les directions hospitalières d’un acronyme : PNM , Personnel Non Médical, par opposition aux PM, Personnel Médical. Désigner la richesse de ces professions par le simple fait qu’ils ne sont pas médecin !

Comment nos têtes pensantes n’ont-ils pas perçu tout le dédain contenu dans ce terme ? Comment se sentir valorisé dans sa profession lorsque l’on vous nomme « personnel non médecin », ? Nomme-t-on les artisans des « non-ingénieur « ? Ce mépris -car c’est du mépris- contribue à forger un état d’esprit cristallisé par la désertion massive et jamais vue des personnels hospitaliers que l’on constate aujourd’hui.

Et la relève ? On constate malheureusement que la plupart des élèves infirmiers hésitent de plus en plus à rejoindre l’hôpital quand ils… ne quittent pas tout bonnement leurs études.

Passer l’été sans trop de casse

Néanmoins, nous sommes des professionnels. Et il faut passer le cap de l’été. On doit donc se mettre en ordre de bataille et se remettre d’urgence en configuration de crise comme pour la crise COVID-19 afin de limiter les dégâts.

Les Agences Régionales de Santé (ARS) et les directions hospitalières doivent réactiver des cellules de crise en instaurant des structures de « bed management » (gestion des lits) par le recensement quotidien de toutes les places disponibles pour informer, en temps réel, les établissements en crise.

Ce « dispatching » pourrait être efficace, mais ne nous y trompons pas, affronter cette nouvelle crise imposera d’autres sacrifices chez un personnel en souffrance et épuisé. Le recours a de nouvelles déprogrammations, comme pour la crise COVID-19 pour libérer des lits devient ainsi une option envisageable.

Mais ne vous inquiétez pas, les services d’urgences assureront leurs rôles, et continueront à jouer leur partition sur le pont incliné de ce gigantesque Titanic…

 

 

Frédéric Adnet est directeur médical du SAMU de la Seine-Saint-Denis et responsable du service des Urgences du CHU Avicenne à Bobigny.

 

 

 


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