Franck Dhelens. Réalisateur. Image de fin.
Un matin, j’ai appelé Franck du port de Marseille. Je venais de visiter l’Aquarius , le navire où je devais embarquer dans quatre jours et pour un mois, pour participer à une mission de sauvetage de migrants en Méditerranée. Personne n’avait prévu de documenter cette aventure en images. J’étais décidé à réparer cette erreur.
Quatre jours avant le départ, sans producteur, sans matériel de tournage et surtout sans chef opérateur ? Impensable dans un monde où il faut souvent des mois voire des années de lourdeurs et de réticences pour parvenir à « monter » un film. J’ai appelé Franck.
Avec un peu de chance, l’homme avec qui j’avais tourné le film « Sans blessures apparentes » et qui était devenu un ami, n’aurait rien à faire sur le moment, une pause, l’ennui, le trou noir, voyez-vous. Je rêvais.
En une minute, j’ai pris la dimension de la catastrophe. Franck frétillait de plaisir à l’approche de son prochain départ en tournage sur les poissons-baleines quelque part aux Philippines ! Superbe sujet, salaire royal, les plages tropicales, la mer bleue, etc. Effondré, je lui exposais mon projet. Un film sans aucune perspective sûre, pas de salaire, pas un sou d’avance, l’inconnu, sinon la haute-mer sur un vieux cargo avec la houle, mais sans les plages, bref la proie pour l’ombre…
Oui, mais, écoute Franck, les migrants en mer, le sauvetage, question de vie et de mort ? Honteux plaidoyer. À l’autre bout du fil, je le sentais gronder. Puis : « Tu sais que tu m’ennuies ? » Il a promis de réfléchir. Avant de raccrocher, j’ai annoncé que je n’avais pas l’ombre d’un matériel de tournage. Et j’ai entendu un puissant rugissement.
Quatre jours plus tard, je l’ai vu arriver, au pied de la passerelle, grand sourire, et les bras chargés de deux caméras, un pied, une console et des micros qu’un ami loueur, Alain Rappoport, lui avait prêtés dans discuter et avec une vraie générosité. Parce que c’était lui. Inouï. Un mois de plus et nous revenions avec la matière d’un film « Les migrants ne savent pas nager ». Primé, grâce à son talent.
Voilà, Franck était ce genre d’homme. Un cœur avec un grand-angle. Caméraman, chef opérateur, réalisateur, il était né en tétant une caméra et sa vie n’était qu’images. Inutile de l’inviter pour des mondanités parisiennes, il était sur la route, dans l’avion ou sur les chemins de montagne pour « Des racines et des ailes ». Et quand il rentrait, c’était pour prendre le chemin du ciel en pilotant son Stampe, un biplan en toile de voltige de 1937 parce qu’il savait, n’en déplaise aux moroses, que voler reste un rêve d’enfant.
Nous avons fait trois films ensemble, mes plus forts, « Sans blessures apparentes », « Les migrants ne savent pas nager « et « La Bleuite » . Et, pour tout dire, il me semblait évident de tourner le prochain avec lui. Avec Franck, magnifique preneur d’images, ami sûr, drôle, efficace et discret, dépourvu d’ego – on a un mal fou à trouver des portraits de lui ou une biographie- mais pas de talent.
Nous ne tournerons pas le prochain film ensemble, il laisse une femme et une fille, un cancer a miné à mort sa solide carcasse. J’allais dire jeune, il l’a toujours été, il le restera. Adieu l’ami, continue à jour les acrobates dans le ciel.
À ceux qui ne savent pas qui était Franck Dhelens, presque évanescent à force de modestie, retenez ceci :
Franck, c’était quelqu’un.
En Egypte
En tournage sur l’Aquarius.
Tournage d’un épisode « Des racines et des ailes ».
Des ailes
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