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Géorgie. Salomé, la présidente qui dit «non» à Poutine

publié le 09/11/2024 par Pierre Feydel

À Tbilissi, elle se bat contre les pro-russes, dénonce les élections truquées, les atteintes aux libertés, les menaces. Et résiste encore et toujours

À 72 ans, Salomé Zourabichvili tient un rôle essentiellement honorifique à la tête de l’État géorgien. Pourtant, il serait une grave erreur de la considérer comme une potiche au rôle purement décoratif. Elle incarne, même si ses pouvoirs restent symboliques, l’aspiration des Géorgiens à échapper aux griffes de l’ours russe pour se tourner vers l’Union européenne et l’OTAN. Cependant, ce prédateur s’est déjà solidement accroché à sa proie.

Les dernières élections législatives, à la fin d’octobre, ont été entachées de multiples irrégularités – bourrages d’urnes, intimidations d’électeurs, achats de votes – orchestrées par les partisans du parti au pouvoir, russophile, qui prétend l’avoir emporté. À la suite de cette victoire, la présidente de la République pourrait perdre l’élection présidentielle prévue le 17 novembre.

Contre un oligarque richissime

Si cela se produisait, Poutine pourrait alors considérer qu’il a remporté une victoire, en laissant gouverner ses vassaux, tel Bidzina Ivanichvili, dont la fortune est évaluée par le magazine « Forbes » à 6,4 milliards de dollars, soit 46 % du PIB géorgien, bien plus que le budget de l’État. On imagine dès lors son pouvoir. En réalité, il dirige le pays en sous-main, conspue l’opposition et l’Occident. C’est contre cette toute-puissance, ombre portée de Vladimir Poutine, que la présidente géorgienne, dépossédée de tout moyen d’action réel, doit s’affronter avec un immense courage et une grande expérience politique internationale.

Salomé Zourabichvili, l’actuelle présidente de la Géorgie, est née à Paris, au sein de la communauté géorgienne exilée dans la capitale française depuis l’annexion de la République démocratique de Géorgie par les Bolcheviks en 1921. Son père, Levan Zourabichvili, était ingénieur et petit-fils d’un homme politique influent de l’intelligentsia libérale géorgienne sous les tsars. Elle est également la cousine d’Hélène Carrère d’Encausse, historienne spécialiste de la Russie et secrétaire perpétuel de l’Académie française.

Une jeunesse française

Dès son plus jeune âge, la petite chanteuse du chœur de l’église géorgienne de Paris ressentait déjà la nostalgie d’un pays qu’elle ne connaissait pas encore. Elle possède, comme de nombreux exilés, cette double culture qui, à la fois, enrichit et parfois déchire. Ses brillantes études supérieures la conduiront vers la diplomatie. À Sciences Po, elle impressionne déjà ses professeurs de la section internationale.

ONU, OTAN, ambassadrice…

Elle poursuit sa formation à l’université Columbia de New York en 1972 et 1973, où, sous la direction de Zbigniew Brzezinski, futur conseiller du président Carter, elle se spécialise dans l’étude du régime soviétique et la diplomatie de la guerre froide. Avec ce bagage, elle rejoint le Quai d’Orsay et mène une brillante carrière, occupant des postes à Rome, à l’ONU, à Washington, au Tchad et à l’OTAN, jusqu’à ce qu’en 2003, elle soit nommée ambassadrice de France en Géorgie.

En mars de l’année suivante, avec l’accord de Jacques Chirac, elle devient ministre des Affaires étrangères du pays de ses ancêtres, et sera la première personne à bénéficier, selon la nouvelle Constitution géorgienne, de la double nationalité.

Une présidente de combat

Elle considère que la Géorgie a plus besoin d’elle que la France. Elle affirme alors que sa priorité sera l’intégration de la Géorgie dans l’Union européenne et l’OTAN. Ses démêlés avec la Russie seront permanents, et toutes ses tentatives de trouver un accord avec Moscou échoueront. Évincée à la suite de diverses manœuvres, elle se lance en politique, crée son propre mouvement en novembre 2005, nommé « La Voie de la Géorgie ».

Elle bataille contre le pouvoir, tente d’unir l’opposition et ne cesse de faire campagne auprès de la communauté internationale. En 2008, la Russie envahit la Géorgie et occupe définitivement l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, au nord du pays. Après la guerre, la crise politique persiste. Elle part pour New York, revient pour se faire élire députée en 2016, puis présidente de la République en 2018.

Contre la loi sur les « agents de l’étranger »

Mais rien n’est simple dans la politique intérieure géorgienne. Manœuvres, retournements de veste, procès d’intention en tout genre, les pro-russes reviennent au pouvoir. Elle, pourtant, ne cède rien. En 2022, elle prend fait et cause pour l’Ukraine envahie, en s’opposant à son propre gouvernement. En 2023, elle oppose son veto à une nouvelle loi désignant comme « agents de l’étranger » les opposants. Elle gracie les personnalités d’opposition injustement condamnées.

Le gouvernement tente alors de la destituer. Il lui reste sa popularité. Est-ce, avec ses origines françaises, ce qui la protège du pouvoir russe peu clément à l’égard de celles et ceux qui osent le défier ?


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