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Séisme Haïti: Les « Fous « de Port-au- Prince.

publié le 27/01/2010 par Jean-Paul Mari

C’est un mur d’enceinte écroulé qui donne sur une cour bourrée de réfugiés. On peut lire encore une inscription : « Centre Psychiatrique de… ». À l’intérieur, des bâches, des tentes, des familles. Le psychiatre est assis derrière une table de cuisine. Face à lui, une femme jeune, agitée, se plaint, hurle, invoque Dieu et « le sang de Jésus-Christ. »

Le médecin écoute, note, ne prescrit rien, parce qu’il n’a rien. C’est le seul hôpital psy de la ville, ou presque. Une centaine de lits, une fondation privée « Mars et Kline », une centaine de lits désormais vides. Le séisme a tout cassé ici, les malades ont fui, remplacés par d’autres que les familles amènent ici. Ils souffrent tous de la même chose : cauchemars, insomnies, violents maux de tête, dépression, tristesse incommensurable. Et ils se réveillent en hurlant quand ils revoient les images du tremblement de terre, la maison qui s’effondre, le père, l’épouse, les enfants enterrés sous une montagne de gravats. La maladie porte un nom : névrose post-traumatique.

« Ils sont là, ils vont me prendre » crie la jeune femme. Elle voit le mal, le danger partout, souffre d’un délire de persécution. Sa fille la soutient, lui caresse le front. Elle se clame, puis reprend : » le sang…tout ce sang ! Le sang de Jésus-Christ ! » « Nous sommes trois médecins à peine » déplore le psy. Et le mal est immense. Port-au-Prince est traumatisé. Toute la ville, sa population. Tout Haïti. Et depuis si longtemps.

Avant le séisme, il y a eu les inondations, les ouragans de 2008, la violence des Chimères en 2004, les coups d’État, les crimes, les enlèvements, les viols. Chaque épisode a laissé son cortège d’hommes, de femmes, d’enfants déboussolés, choqués, marqués à vie. Combien ? Le psychiatre réfléchit un court instant puis lâche sans hésiter : «Troubles d’adaptation, pertes de mémoire, irritabilité, violences et dépression… plus de 50% des Haïtiens sont traumatisés. »

Aujourd’hui, on essaie de panser les plaies du séisme. Il faut de l’eau, de la nourriture, des tentes et des médecins pour soigner les blessés. Mais comme toujours, personne n’a le temps de s’occuper des blessés psychiques. Ceux-là resteront sans soins et en souffriront toute leur vie.

Il faudrait…oui, il faudrait des équipes de psy parlant le créole, venus par exemple de Guadeloupe et Martinique, qui ouvriraient des cellules d’écoute, laisseraient ces esprits brisés parler de leurs peurs, de leur deuil, de leurs cauchemars. Il suffirait de cela pour soulager cette douleur. Les écouter, leur dire qu’ils ne sont pas seuls, pas fous, seulement blessés.

Mais Haïti n’en a pas les moyens. Alors, ils hurlent, comme cette jeune femme, visage tordu par la souffrance, la vision de l’horreur et la culpabilité, sure d’avoir péché, d’avoir, – comme le répètent à l’envi les âmes pieuses des sectes obscures- , mérité le châtiment de Dieu. « Pardon, oh ! Pardon, Seigneur…pour tout ce sang. Le sang de Jésus-Christ ! »


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