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Iran. Nargès Mohammadi, la hantise des mollahs

publié le 07/03/2025 par Pierre Feydel

Emprisonnée depuis 15 ans et maltraitée par le régime islamique, journaliste et opposante, elle ne cède pas. Un intraitable prix Nobel de la paix

Une étudiante en colère

Il y a peu d’êtres humains capables de tout sacrifier pour leurs idéaux. Il y a peu de femmes capables d’accepter de ne plus voir leurs enfants et leur mari pendant des années pour continuer de se battre pour la liberté. Nargès Mohammadi fait pourtant partie de celles-là.

Née en 1972 à Zanjan, dans le nord-ouest de l’Iran, elle est diplômée de physique et devient ingénieure. Mais, déjà étudiante à l’université internationale Imam-Khomeini, elle milite et écrit des articles en faveur des droits des femmes. Bien entendu, elle est vite repérée par les services de répression du régime des mollahs. Et arrêtée une première fois. Une intimidation ratée. Elle continue de défier le pouvoir iranien par des articles dans les colonnes de journaux réformateurs et par la publication d’essais en faveur des libertés.

Aux côtés de Shirin Ebadi

En 2003, la journaliste rejoint le Defenders of Human Rights Center (DHRC), une organisation fondée deux ans plus tôt. Elle est dirigée par Shirin Ebadi, ex-magistrate et prix Nobel de la paix en 2003, première femme musulmane et première Iranienne à recevoir cette distinction. Qui finira par s’exiler à à Londres en 2009. Un exemple pour Nargès Mohammadi, dont la vie va dès lors alterner entre périodes d’emprisonnement et liberté sous surveillance. Mais jamais elle ne cède, tout en essayant de mener une vie normale.

En 1999, elle épouse le journaliste Taghi Rahmani, lui aussi favorable à des réformes libérales. Peu après leur mariage, il est arrêté et se réfugie en France en 2012. Le couple a deux enfants jumeaux, Ali et Kiana. Leur mère, elle, reste en Iran pour continuer son combat.

Arrêtée puis libérée en juillet, puis réarrêtée en 2016, recondamnée à 16 ans et relâchée en 2019…

En 1998, elle passe un an en prison. En avril 2010, le tribunal révolutionnaire islamique la condamne. Elle paie une caution de 50 000 $. Puis, elle est incarcérée à la tristement célèbre prison d’Evin, celle où l’on torture et où l’on exécute où elle contracte une maladie proche de l’épilepsie. Soignée à l’hôpital, elle est rejugée en 2011 et condamnée à 11 ans de prison.

En 2012, la peine est confirmée en appel mais réduite à 6 ans. L’opinion internationale s’émeut. Elle est libérée en juillet, puis réarrêtée en 2016, recondamnée à 16 ans et relâchée en 2019… avant d’être de nouveau arrêtée. Cela n’en finit jamais. C’est sa treizième arrestation. À aucun moment, cette femme de conviction n’abandonne. Mieux, elle résiste.

Torture blanche

Nargès, journaliste, n’oublie pas son métier. Elle recueille des témoignages de prisonnières et publie en 2022 un recueil d’entretiens intitulé Torture blanche, où elle décrit les sévices subis par les détenues. Elle dénonce les violences, y compris sexuelles, surtout pour les femmes mises à l’isolement, où ces pratiques sont courantes lors des interrogatoires.

Elle-même a passé 64 jours à l’isolement, sans lumière, dans un air confiné, autorisée à sortir 15 minutes, trois fois par semaine, pour profiter de douches sommaires. Elle est à plusieurs reprises sévèrement battue.

En 2023, pour célébrer le premier anniversaire de la mort de Mahsa Amini, la jeune Kurde tabassée par la police des mœurs pour un voile mal porté, Nargès brûle son hijab avec d’autres détenues. Le mouvement « Femme, Vie, Liberté » multiplie alors les manifestations dans tout l’Iran. La répression est féroce.

Prix Nobel sous les verrous

Mais les opposants maintiennent la pression. Toujours détenue, cette farouche résistante reçoit, le 6 octobre 2023, le prix Nobel de la paix. Ses enfants, âgés de 17 ans, vont le chercher. Lors de la cérémonie, ils lisent un texte dans lequel leur mère dénonce « le régime religieux et misogyne » qui l’emprisonne.

Encore battue pour avoir protesté contre des exécutions, victime d’une crise cardiaque, elle est hospitalisée. Les mollahs la libèrent pour raisons médicales, peu soucieux d’être accusés de la mort en détention d’un prix Nobel.

Libre…jusqu’à quand?

Le 4 décembre 2024, la voilà libre. Va-t-elle enfin en profiter pour se réfugier à l’étranger, se reposer, revoir ses enfants ? Dans une interview au Nouvel Observateur, Nargès explique : « Le régime voulait que je parte pour toujours. Mais je ne partirai pas. Mon combat est ici, au sein de la population. »

La prisonnière a été libérée pour raisons médicales et a subi une lourde opération pour l’ablation d’une tumeur osseuse à la jambe droite. Sa libération reste conditionnelle. Elle devait être réincarcérée à Noël, mais le régime semble l’avoir « oubliée ». Un signe de fragilisation ? Nargès n’ose y croire. À 52 ans, après plus de quinze ans passés derrière les barreaux, elle attend seulement de pouvoir un jour embrasser ses enfants sur le sol de son pays.

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