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Iran. Parastoo Ahmadi, la liberté en chantant

publié le 20/12/2024 par Pierre Feydel

Cette chanteuse, que les mollahs iraniens tentent de réduire au silence, incarne la lutte des femmes en Iran. Arrêtée, son courage impressionne

Elle a fini par être arrêtée par la redoutable police des mœurs, avec deux de ses musiciens : son guitariste Soheil Faghi-Nassiri et son pianiste Ehsan Beiraghdar. En effet, Parastoo Ahmadi concentre à elle seule plusieurs défauts rédhibitoires aux yeux de la « mollarchie » iranienne : d’abord, elle est une femme, un être considéré comme inférieur, et elle ose défier ouvertement la loi sur « la promotion de la culture, de la chasteté et du hijab ».

Sa dernière provocation : une vidéo tournée sous la lumière tamisée d’un caravansérail traditionnel. Elle y apparaît tête et épaules découvertes, en robe de soirée noire, maquillée, et arborant un collier portant une médaille en forme de carte de l’Iran.

Une voix contre l’oppression

À 27 ans, Parastoo Ahmadi sait que, depuis 1979, les lois iraniennes interdisent aux femmes de chanter seules en public ou de se montrer sans se couvrir la tête. Pourtant, dans cette vidéo de trente minutes, l’artiste enchaîne ses propres compositions en persan avant de lancer l’hymne du mouvement « Femme, Vie, Liberté » : « Az Khoone Javanan-e Vatan » (« Du sang de la jeunesse de la patrie »).

Ce chant est devenu l’emblème des manifestations massives qui ont éclaté après la mort tragique de Mahsa Amini en septembre 2022. Cette jeune Kurde de 22 ans, arrêtée pour avoir mal porté son voile, est décédée sous les coups des forces de l’ordre. Sa mort a déclenché une vague de protestations sans précédent, violemment réprimée par le régime : des dizaines de manifestants pendus, des milliers torturés, violés ou emprisonnés.

Malgré la répression, des femmes retirent leur voile

Amnesty International a révélé qu’une nouvelle loi adoptée le 13 décembre prévoit la peine de mort, la flagellation ou l’emprisonnement pour celles qui s’opposent au port du voile. Bien que le président Massoud Pezehkian ait différé sa promulgation, par crainte de nouvelles émeutes, la contestation reste vive, souvent marquée par des actes isolés mais significatifs.

La vidéo du concert de Parastoo Ahmadi, qui cumule plus de deux millions de vues, est l’un de ces actes. Une défiance individuelle mais puissante, semblable à celle des femmes qui retirent leur voile en public ou des manifestants qui dansent dans les rues.

« Je suis la fille qui refuse de garder le silence »

Arrêtée le samedi 14 décembre avec ses deux musiciens, Parastoo a été relâchée quelques heures plus tard. Toutefois, elle reste sous surveillance étroite. En septembre 2023, la police avait déjà pénétré chez elle, confisqué son ordinateur et proféré des menaces. Aujourd’hui, sa page Instagram a été supprimée, mais elle continue de défendre sa liberté d’expression.

« Je suis la fille qui refuse de garder le silence et d’arrêter de chanter pour le pays qu’elle aime », explique-t-elle. « Écoutez ma voix… et rêvez d’une nation libre et belle. »

De chanteuse populaire à figure de proue anti-régime

Parastoo Ahmadi a reçu un soutien massif, notamment de la journaliste Masih Alinejad, militante des droits des femmes en exil, qui a qualifié son concert d’« historique ». Depuis les États-Unis, Alinejad a salué « la voix de Parastoo comme une arme contre la tyrannie et son courage comme une ode à la défiance ».

Née dans le nord de l’Iran, Parastoo est diplômée en mise en scène. Si son talent de chanteuse – des ballades rythmées et empreintes d’émotion – l’a rendue populaire, son engagement politique l’a propulsée au rang de figure de proue du combat contre le régime.

Une héroïne malgré elle

En cherchant à la faire taire, les mollahs n’ont réussi qu’à transformer Parastoo Ahmadi en héroïne. Comme tant d’autres femmes iraniennes, elle incarne un courage extraordinaire face à l’obscurantisme. Sa voix résonne bien au-delà des frontières iraniennes, inspirant admiration et espoir.


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