Pakistan: Asifa Bhutto, l’héritière sans peur
Son grand-père a été pendu, son oncle abattu par la police, et sa mère, Benazir, dont elle a la beauté et la détermination, est morte assassinée. Qui est donc cette jeune femme que la politique pakistanaise n’effraie pas?
Elle est bien la fille de sa mère. A 31 ans, Voile blanc sur cheveux de jais, peau diaphane, Asifa Bhutto, qui représentait le Pakistan au Global Women’s Forum de Dubaï en novembre dernier, est bien celle qui reprend le flambeau de cette dynastie indéboulonnable du paysage politique pakistanais. Une héritière. Celle de la Première ministre Benazir Bhutto Zardari, assassinée en 2007.
Son père ne s’y est pas trompé. Président du Pakistan pour la deuxième fois depuis mars 2024, Asif Ali Zardari a bravé tous les us et coutumes en désignant la dernière de ses trois filles comme First Lady. Du jamais vu au Pays des Purs. Certaines auraient pu trouver ce rôle symbolique trop lourd à porter, pas Asifa Bhutto Zardari. Faire de la politique comme sa mère ? Oui, dix fois oui. Elle était d’ailleurs à peine née que l’on apercevait la fillette auprès de sa maman ministre en 1994, incarnant ainsi le visage de la vaccination contre la polio pour le peuple pakistanais. À cette époque, le Pakistan enregistrait quelque 22 000 cas de polio par an.
Son père la nommera plus tard, en 2009, ambassadrice pour l’éradication de la maladie au plan national. La jeune femme n’a même pas encore terminé ses études, qu’elle mène, comme toute l’élite pakistanaise, à l’étranger. Elle suit d’ailleurs les pas de ses parents et étudie en Angleterre dans les mêmes établissements d’enseignement supérieur : un bachelor de sociologie et de politique à la Oxford Brookes University, puis un master de santé globale en 2016 au University College London.
Si l’une de ses sœurs a rappé une chanson en mémoire de leur mère, sur le thème « Mais est-ce que ça en valait la peine ? », Asifa n’a visiblement pas les mêmes angoisses. Elle entre officiellement en politique le 30 novembre 2020, lors d’un rassemblement à Multan. Elle a 21 ans.
Si son frère Bilawal a été réélu à la tête du Pakistan People’s Party (PPP) en 2024, tous les observateurs locaux s’accordent à dire que la cadette de la famille a les préférences du papa : plus maligne, plus politique, plus assidue. La politique est une affaire de famille au Pakistan. Mieux : une histoire de dynastie. Les Bhutto ont occupé les plus hautes fonctions depuis 1971 avec l’élection présidentielle de Zulfikar Ali Bhutto, le grand-père. Il finira pendu par les militaires. Sa fille Benazir, déjà, ne craignait pas le funeste destin familial. Elle a tort. Elle aussi, un assassin saura la trouver. Mais qu’importe le passé martyr des Bhutto : désormais, ils sont deux dans la course à la gouvernance. Un frère et une sœur. Si, pour l’heure, Asifa ne semble jamais lâcher Bilawal, en le soutenant à chaque initiative électorale, elle ne s’oublie pas.
En 2024, à 31 ans, elle fait le grand saut et se présente au poste de députée, laissé vacant par son père désormais président. Ils sont onze candidats du PPP à tenter leur chance. Inutile de dire qu’ils n’auront aucune difficulté à l’emporter. Depuis, c’est une lente mais réelle montée en puissance de la jeune femme dont on dit qu’elle ne briguera jamais le poste de Première ministre, son frère étant en pole position. Il n’empêche. Sa dernière prestation publique a prouvé qu’elle savait ce que veut dire realpolitik.
Invitée au Global Women’s Forum, qui s’est tenu à Dubaï, Asifa Bhutto Zardari a insisté sur le rôle de l’éducation pour le futur des filles du monde entier. Tout en évitant le piège tendu par une participante qui l’interrogeait justement sur le sort des fillettes afghanes. « Il ne peut être question d’interférences dans les affaires talibanes », a rétorqué Asifa Bhutto Zardari. De quoi agacer certains, mais pas la lignée dont elle est issue, et qui lui a tout appris. Le voisin afghan restant le pré carré de l’armée et des services de renseignements pakistanais.
LIRE L’ITW DE BENAZIR BHUTTO
Entretien réalisé à Islamabad le 1er décembre 1988
Tous droits réservés "grands-reporters.com"