Le Liban : une faillite française
En dotant le Liban d’une constitution instituant le confessionnalisme, il y a presque un siècle, la République laïque a installé au Liban les germes de sa propre dislocation
À Paris, rue du Faubourg Saint-Honoré, à quelques pas de l’Élysée, vivait Fahed Hariri avec sa famille, jusqu’à une date récente. Il a depuis déménagé à Londres. Ce milliardaire libanais occupait un somptueux appartement rempli d’œuvres d’art. Dans le hall d’entrée, sous une œuvre de Dubuffet, trônait une photographie du propriétaire des lieux et de sa femme posant avec des amis de toujours : Emmanuel et Brigitte Macron.
Fahed est le fils cadet de Rafiq Hariri, Premier ministre du Liban, assassiné en 2005. Jacques Chirac considérait le Syrien Bachar el-Assad comme responsable de la mort de celui qui était un de ses meilleurs amis. Après leur départ de l’Élysée en mai 2007, les Chirac furent logés quai Voltaire, sur les bords de la Seine, dans un appartement inhabité appartenant aux Hariri. Rafiq tentait de reconstruire son pays. Ce musulman sunnite avait aidé Jacques Chirac à comprendre le Moyen-Orient et, plus largement, à décrypter le monde arabe.
Les liens de la France avec le Liban ne se limitent bien sûr pas à ces amitiés de palais, si sincères soient-elles. Lorsqu’en août 2020, après la terrible explosion qui ravage le port de Beyrouth, tuant 150 personnes et faisant des milliers de blessés, le président Macron se rend au « pays du cèdre », déjà ruiné, promettant l’aide de la France et admonestant la classe politique libanaise qu’il invite à « un changement profond »
Corrompue, impuissante, partiellement aux mains du Hezbollah, elle n’en a rien fait. Macron avait raison de se sentir une responsabilité vis-à-vis de ce pays, il y a encore 50 ans, riche et en paix. Parce que c’est la France qui a tracé les frontières de ce territoire grand comme deux départements et peuplé de quelque 5 millions d’habitants. Une population réduite par le départ de dizaines de milliers de familles, les plus aisées, qui ont quitté le pays.
L’Empire ottoman, allié de l’Allemagne, vaincu à l’issue de la Première Guerre mondiale, est dépecé. À la conférence de San Remo en avril 1920, la Société des Nations confie des mandats pour l’administration des anciens territoires sous domination turque aux Français et aux Britanniques. Aux premiers, une Syrie qui comprend le Liban. Aux seconds, la Palestine et l’Irak. Quatre mois plus tard, le traité de Sèvres entérine ce partage.
En août 1920, le Grand Liban est créé par le haut-commissaire français, le général Gouraud, qui vient d’écraser la révolte nationale syrienne. Cette nouvelle entité territoriale comprend l’ex-circonscription ottomane du Mont Liban, Beyrouth, les régions de Tripoli, d’Akkar, du Hermel, de la Bekaa, de Rashaya, de Hasbaya et le Sud-Liban. C’est en 1926 que la constitution du Liban est proclamée.
Mais la France a joué un bien mauvais tour à la nouvelle-née. La République française, si laïque, vient de créer un État où le confessionnalisme est roi. La constitution libanaise instaure la « représentation équitable des communautés » dans le gouvernement bien sûr, mais aussi dans l’administration. Terrible piège. Ce n’est pas le mérite, la qualité des idées qui compte, mais la religion associée à l’ethnie.
Or, il y a au Liban 18 confessions reconnues : des chrétiens maronites, dont l’Église s’est ralliée à Rome au XIIe siècle, mais aussi des orthodoxes, des Arméniens, des Assyriens, des Chaldéens, des Coptes… ; des musulmans : chiites, sunnites, alaouites et druzes. Les Français ont une nette tendance à favoriser les maronites, qui représenteraient plus de 41 % de la population. Les musulmans sont majoritaires avec 53,5 %. Les druzes en représentent 5 %.
Ces communautés auront chacune leurs leaders, leurs partis, et bientôt leurs milices. Le président de la République est traditionnellement chrétien, le Premier ministre sunnite et le président de l’Assemblée nationale chiite. L’armée est confiée aux maronites. Un tel système ne peut qu’amener à terme les confessions à s’affronter dans un pays soumis à la pression de ses voisins ennemis, la Syrie et Israël, aux métastases du cancer palestinien jamais guéri, car jamais soigné. En 1943, le Liban devient indépendant. Les Français se retirent définitivement en 1946.
Mais rien n’est réglé. La guerre civile de 1975 ruinera le pays. Il ne s’en remettra jamais. Jusqu’à l’émergence du Hezbollah chiite, parti politique et véritable armée, preuve absolue de la façon dont un système confessionnel aboutit à l’impossibilité de la création d’un État. La France a créé la faillite libanaise.