Vu du passé: quand les Anglais inventaient… l’impôt sur le revenu
En France, le sujet est sensible. Et les débats sur l’augmentation des impôts intenses. L’idée n’est pourtant pas née chez nous mais du côté de Londres…

L’impôt est intimement lié à la guerre. Les princes ont toujours pressuré leurs sujets pour combattre leurs ennemis. Les démocraties ont suivi le mouvement. En France, le débat sur un impôt progressif sur le revenu apparaît après la guerre de 1870. Plus de 200 projets voient le jour. En gros, la gauche est pour, la droite contre. Le Sénat bloque. Pourtant, la Prusse s’est déjà dotée en 1891 d’un impôt progressif sur le revenu. Au Royaume-Uni, l’Income Tax de William Pitt a vu le jour en 1799. Joseph Caillaux, radical modéré, avait un projet inspiré du système anglais. Il prévoyait deux étages d’imposition : une taxation proportionnelle et une taxation progressive. La loi du 31 juillet 1917 impose l’impôt dont le principe a été voté dès 1914. La guerre coûte cher, très cher. La France croule sous les dettes contractées entre autres auprès des États-Unis d’Amérique.
C’est William Pitt le Jeune, plus jeune Premier ministre de Grande-Bretagne, nommé à 24 ans en 1783, qui instaure dans le royaume ce modèle dont Caillaux va s’inspirer. L’Anglais est un « whig » qui s’oppose aux « tories » conservateurs. Un défenseur du Parlement contre l’absolutisme royal. Ce réformateur qui lutte contre la corruption s’attaque à la dette de son pays et se distingue comme un adversaire résolu de la Révolution française. À tel point que la Convention le déclare en 1793 « ennemi du genre humain ». Son impôt sur le revenu est mis en place dans le budget de 1798. Il s’agit de financer l’équipement de l’armée britannique et le développement de la Royal Navy en prévision des guerres napoléoniennes. L’impôt est progressif. Sur les revenus supérieurs à 60 £, il est de 2 pences. Il augmente jusqu’à 2 shillings (24 pences) sur les revenus supérieurs à 200 £. Pitt espère engranger 10 millions de livres, mais il n’en obtient que 6.
Son successeur Henry Addington, après la démission de Pitt, le supprime lors de la paix d’Amiens en 1802. Mais il le rétablit lorsque les hostilités reprennent. Cette version, nommée « contribution des bénéfices provenant de la propriété, des professions, des métiers et des offices », évite soigneusement le terme d’impôt sur le revenu, terriblement impopulaire. Elle introduit l’imposition à la source et fixe des barèmes selon la nature des revenus visés. Du coup, le nombre d’assujettis est singulièrement élargi. Le rendement de l’impôt augmente de 50 %. Pitt, revenu au pouvoir, se gardera bien de toucher à ce nouveau système si profitable. Celui-ci est toutefois aboli en 1816, un an après Waterloo, à la grande satisfaction de l’opinion publique et sous les acclamations du Parlement.
Pourtant, en 1842, c’est un Premier ministre conservateur, Sir Robert Peel, qui, opposé à l’impôt, le rétablit devant le vide abyssal du Trésor et un déficit croissant du budget. Son rétablissement devait être temporaire. Une augmentation des dépenses du pays et un besoin de financement des chemins de fer garantirent sa survie. Tout au long du XIXe siècle, l’abrogation de l’impôt sur le revenu britannique fut promise par les différents gouvernements. Des hommes d’État aussi conséquents que Gladstone et Disraeli n’étaient pas d’accord sur grand-chose, sauf sur la suppression de l’impôt honni sur le revenu.
En 1874, Gladstone gagne, et l’impôt est maintenu. On pourrait égrener les épisodes du même renoncement tout au long du siècle. La guerre de 1914 mettra fin à ces palinodies. Les Britanniques, au cours de cet effroyable conflit, verront leurs impôts augmenter. Mais globalement, ils y consentiront, et l’« Income Tax » s’installera. Ce qui évitera aux hommes politiques d’outre-Manche une promesse d’abrogation jamais tenue. Car les impôts ont ceci de particulier au Royaume-Uni ou ailleurs : promis mortels, ils se révèlent éternels.