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Livre. Premier chapitre. « Domenica la diabolique », par Christine Clerc.

Livres publié le 15/06/2022 | par grands-reporters

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« Le fait divers du siècle ! » titre Paris Match quand éclate, en 1959, l’« affaire Domenica ». Déjà soupçonnée d’avoir tué ses deux maris, la milliardaire Domenica Walter-Guillaume, célèbre séductrice d’hommes politiques et d’artistes, collectionneuse de tableaux des peintres les plus cotés – de Renoir à Matisse, Modigliani et Picasso – a tenté de faire éliminer son propre fils adoptif.

Si son frère et son amant, tous deux complices, font plusieurs mois de prison, elle échappera à toute condamnation. Grâce à un accord secret avec André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, elle conservera même jusqu’à sa mort ses 150 chefs-d’œuvre, désormais exposés au musée de l’Orangerie.

En retraçant la prodigieuse ascension de cette fille de l’Aveyron devenue la « Veuve noire de l’art », Christine Clerc nous entraîne au cœur des nuits des Années folles et des soupers chez Maxim’s en compagnie d’officiers nazis. Elle nous fait pénétrer dans les coulisses de la IVe et de la Ve République, alors que Domenica enchaîne les liaisons avec un ministre radical-socialiste, un architecte de renom international et un dirigeant communiste.

Dans le Paris bouillonnant de l’époque, la collectionneuse au grand chapeau pose tour à tour pour André Derain et Marie Laurencin, croise Apollinaire et Picasso, fréquente Cocteau, Jean Marais et Colette.

Elle amasse, grâce à son charme et son audace criminelle, une immense fortune.  Une passionnante histoire d’un siècle d’art et de secrets politiques.

 

 

Lire le prologue et le premier chapitre

 

 

Prologue

Le rapt de Domenica ou le dernier scandale Walter-Guillaume

 

Il existait depuis 44 ans, place de la Concorde, au Musée de l’Orangerie où sont exposés les Nymphéas de Monet ainsi que les 148 tableaux de la collection Walter-Guillaume, une petite salle consacrée à l’histoire de la scandaleuse Madame Walter-Guillaume dite « Domenica », qui dut céder cette collection à l’État du temps de De Gaulle et Malraux.

On pouvait y admirer, outre les maquettes de son somptueux appartement des années 1920 aux murs tapissés d’œuvres de Renoir à Picasso en passant par Monet, Cézanne et Matisse, des photos et coupures de presse relatant « l’affaire » qui éclata en 1959 et fit alors la Une des journaux : « Madame Paul Guillaume au grand chapeau » immortalisée par André Derain, avait tenté de faire assassiner son propre fils adoptif afin de conserver seule la propriété et la jouissance de sa collection !

Depuis longtemps, la personnalité de cette collectionneuse criminelle dont on devine, à la voir descendre en manteau de vison l’escalier du Palais de Justice de Paris escortée de son célèbre avocat, l’arrogance de femme riche, m’intriguait.

Un été en Provence, quelques mois après la diffusion d’un document d’Yvon Gérault sur « La diabolique de l’Art », le Dr Jean-Marc P., qui fut son psychiatre durant plus de 30 ans, m’est présenté par des amis communs.  Il évoque la séduction de Domenica, qui côtoya le tout Paris de la politique et de l’Art à travers la première guerre mondiale, les années 1920, la seconde guerre mondiale, puis la IVème République et le début de la Vème.

Je le revois à Paris. Dans les mois suivants, j’interroge plusieurs autres témoins de la vie de Domenica Walter-Guillaume – à commencer par son fils adoptif dit « Polo », en retraite sur la Côte d’Azur, et par son beau-fils Jean-Jacques Walter, le fils de son second mari. Je me plonge, à la Bibliothèque du Sénat, dans les articles de presse qui lui sont consacrés. Je me procure plusieurs ouvrages des années 1920/1970, signés de témoins dont certains furent les amis et d’autres, les critiques ou adversaires de Domenica et de ses maris et amants.

Juste avant le confinement imposé en mars 2020 par la COVID – 19, j’ai la chance enfin, grâce à la conservatrice Cécile Debray, d’accéder aux archives du Musée de l’Orangerie : coupures de presse sur « l’Affaire », extraits de correspondance de Domenica avec des amies comme l’écrivain Colette… Tout me passionne.

J’hésite encore, pourtant :  suis-je prête à passer plusieurs mois en compagnie d’une criminelle ?

Mais la Covid m’amène à me confiner en Normandie. Par un étrange pressentiment, j’ai emporté mes carnets de notes et ma malle de documents. J’entame l’écriture de ce livre. Sans savoir encore qu’au fil des mois vont se multiplier les énigmes.

Dès mon retour à Paris, fin Août 2020, je cours au Musée de l’Orangerie, qui vient de rouvrir ses portes après de longs mois de travaux.

Deux surprises m’y attendent : d’abord, la petite salle où étaient exposés les articles de presse, illustrés de photos, sur « l’affaire Domenica » a été supprimée. Envolés, les clichés de la « Diabolique » aux gants blancs ! Ensuite et surtout, son rôle dans la constitution de la collection est désormais passé sous silence : la présentation ne mentionne que son premier mari, le marchand de tableaux Paul Guillaume, dont une biographie nous est proposée. Pas un mot, ou presque, de la collectionneuse elle-même. Son plus célèbre portrait – celui de « Madame Paul Guillaume au grand chapeau » par Derain – a même disparu ! Serait-il en réparation restauration ? Aurait-il été prêté pour une exposition ? Volé ? Pourtant, aucun emplacement vide, aucune inscription ne signale son absence. En vain, j’arpente les salles encore désertées par les visiteurs. Paul Guillaume y figure toujours en bonne place, peint par Derain et Modigliani. Mais sa femme Domenica qui, après sa mort, modifia la collection par quelques reventes et achats retentissants pour en faire la « Collection Walter-Guillaume », c’est-à-dire la sienne, n’y figure plus – à l’exception d’un portrait perdu parmi d’autres dans une salle consacrée à Marie Laurencin.

Un fait nouveau se serait-il donc produit, qui aurait amené la nouvelle direction du Musée à censurer l’ancienne propriétaire et la star de la collection, Domenica Walter-Guillaume, seule personnalité à porter ce double nom qu’elle rendit redoutablement célèbre ? Après avoir fermé la salle où étaient exposés des articles de presse la concernant, après avoir effacé Domenica des titres et des commentaires, aurait-on enfermé son portrait dans les caves ? L’aurait-on brûlé, comme celui d’une sorcière ?

Dans un précédent catalogue de l’Orangerie daté de 1986, pourtant, l’ancien Conservateur Michel Hoog reconnaissait à Mme Walter-Guillaume un rôle décisif : « Il n’est pas toujours possible, pour chaque œuvre conservée aujourd’hui, d’en désigner la provenance », écrivait-il. « Si la grande majorité vient certainement de son premier mari, Paul Guillaume, quelques-unes ont été achetées par Mme Walter. C’est à elle qu’on doit une partie des œuvres des peintres de la génération impressionniste : le Sisley, plusieurs Renoir et la majorité des Cézanne, notamment les deux grands paysages ». ..

Nul doute : à l’origine de la collection Walter-Guillaume se trouve donc bien, outre Paul Guillaume, sa « veuve noire » Domenica Walter-Guillaume !

Craignant d’être passée devant le portrait de la célèbre collectionneuse sans le voir, je retourne une semaine plus tard à l’Orangerie :  Domenica a bel et bien disparu. J’écris alors à la conservatrice pour m’enquérir de son sort. Et c’est ainsi que, en décembre 2020, j’apprendrai que Madame Walter-Guillaume a été exfiltrée de la collection qui porte son nom…au prétexte de rendre celle-ci « plus fluide » !

L’État craindrait-il de nouvelles revendications des héritiers Walter et Guillaume ? Lassées du parfum de scandale qui n’a cessé de flotter autour de sa collection, la conservatrice du Musée de l’Orangerie, Cécile Debray, et celle du Musée d’Orsay, Laurence des Cars, auraient-elles décidé de soustraire la célèbre dame au grand chapeau à la curiosité du public ?

Ce « rapt » précèderait-il la transformation de la collection Walter-Guillaume en simple « Collection Paul Guillaume » comme le laisse augurer sa nouvelle présentation ?

En tout cas, la « Diabolique » a encore frappé.

44 ans après sa mort, elle fait toujours peur.

Voici son étonnante histoire.

 

Comment  la Dame au grand chapeau  échappa à la prison en cédant sa collection à l’État.  

 

« Ils ne vous manqueront pas ? » lui a demandé Malraux en se retournant pour embrasser à nouveau, d’un regard de propriétaire, la dernière des salles où sont exposés les 148 tableaux de maîtres qu’elle a dû accepter de lui céder pour le musée de l’Orangerie.  « Rien ne me manque jamais, a-t-elle répondu. Ne l’avez-vous pas écrit vous-même ? Les choses appartiennent à ceux qui savent en jouir ».

Elle frime, évidemment, Domenica Walter-Guillaume dite « la collectionneuse » ou « la veuve noire » en jouant là, pour l’auteur de la Condition humaine devenu le ministre des Affaires culturelles du Général de Gaulle, les grandes dames. Ces Renoir, ces Matisse, Derain, Cézanne et Picasso qui ornaient hier encore son luxueux appartement près des Champs-Élysées lui manquent déjà férocement. Certes, à six ou sept exceptions près, ce n’est pas elle qui les a choisis en amoureuse de l’art. Les a-t-elle seulement aimés ?  Mais elle y est attachée à sa façon. Ils sont les témoins de quarante- cinq années de sa vie.  Avant de la rendre immortelle, quelques-uns de ces tableaux – ses propres portraits en dame au grand chapeau par André Derain ou en dame rose par Marie Laurencin – lui ont permis, quand son miroir lui faisait douter de sa beauté, de s’admirer elle-même chaque matin sur les murs de ses demeures successives. Tous les autres, à commencer par le portrait de son premier mari, Paul Guillaume, par Modigliani, marquent des étapes de sa spectaculaire ascension sociale. Tous représentaient jusqu’à ce jour son trésor, le formidable tas d’or accumulé par la fille d’un modeste employé de Saint-Affrique, Juliette Lacaze, montée de son Aveyron natal à Paris au lendemain de la guerre de 1914-1918 pour y séduire des hommes riches et devenir l’une des reines du Paris des « années folles ».

Quand l’exposition aura fermé ses portes, ces chefs d’œuvre regagneront sa chambre, son grand salon, son petit salon, son bureau et son vestibule, à l’emplacement exact où l’artiste Isis les a photographiés pour Paris Match*(* Numéro du 29 janvier 1966). Mais ils ne seront plus vraiment à elle : elle vient de signer avec André Malraux un accord l’engageant à les léguer à l’État.  Plus cruel encore : elle a dû se résoudre à cette transaction pour une somme dérisoire. C’était le prix à payer pour faire libérer ses deux complices : son frère et son amant. Et pour ne pas aller elle-même en prison, bien qu’elle reste soupçonnée de plusieurs crimes.

 

Elle rêvait d’éliminer son fils adoptif

 

Paris, le 21 janvier 1966.

Juliette Lacaze dite « Domenica Walter-Guillaume », veuve du marchand de tableaux Paul Guillaume puis du célèbre architecte Jean Walter, a 68 ans. Sous l’œil aiguisé de Malraux, décidément fasciné par les femmes à la fois séductrices et dominatrices, elle se tient très droite.  Mais sa silhouette, vêtue d’un tailleur Chanel, a épaissi. Ses rhumatismes persistants l’ont obligée à troquer ses talons hauts pour des ballerines. Elle ne porte plus ces grands chapeaux qui donnaient une ombre de mystère voire de mélancolie à un fin ovale encadré de cheveux sombres. La mode en est passée. Dommage : Ils cacheraient les marques de l’âge et peut-être aussi celles de l’avidité qui alourdit le bas de son visage, tandis que, sous le large front dégagé par la mise en plis trop apprêtée d’une chevelure désormais auburn aux reflets d’or, les yeux disent l’arrogance et l’obsession de dominer. Est-ce pour cela – pour qu’on ne fasse pas la comparaison entre les deux Domenica, d’hier et d’aujourd’hui – qu’elle a refusé d’être photographiée par Paris Match chez elle ou à l’Orangerie, et qu’elle a exigé de voir plutôt reproduit sur une page de l’hebdomadaire le portrait d’elle le plus flatteur, celui peint par Derain en 1928 ? Ou bien a-t-elle craint, en laissant publier une photo récente, de réveiller chez les lecteurs la mémoire du scandale encore trop proche, relaté sept ans avant à la Une du même Paris Match sous le titre « l’Affaire » ?

C’était en février 1959. Pour une invraisemblable histoire de tentative d’assassinat de son propre fils adoptif, Jean-Pierre Guillaume dit « Polo », par l’intermédiaire de son propre frère et de son amant de l’époque, les journalistes la guettaient alors devant sa porte durant des heures. Ils l’attendaient sur les marches du Palais de Justice de Paris lorsqu’elle les descendait au côté de son célèbre avocat Me Floriot en levant ses mains gantées pour protéger ses yeux des flashes. Ils la poursuivaient jusqu’à la Mamounia, le palace de Marrakech où ils avaient appris que la veuve milliardaire séjournait chaque hiver durant plusieurs semaines, dans une suite voisine de celle de l’ancien Premier ministre britannique, Winston Churchill.

Dès ce soir, pourtant, fuyant tout à la fois son appartement parisien aux murs étrangement dépouillés, les mondanités organisées par Malraux à l’occasion de l’exposition de sa collection et le défilé de milliers de visiteurs devant ses tableaux, Domenica Walter-Guillaume a décidé de prendre l’avion : pour retourner, comme par défi, à la Mamounia. Ses souvenirs l’y accompagneront.

 

Chapitre 1

 

 

Une enfance trop sage  en Aveyron

 

Dans son étouffante province, loin de la guerre, la petite fille collectionne les billes. Elle rêve d’épouser un homme riche et de conduire une Hispano-Suiza .

On la dit déjà impertinente et jolie. Mais si, dès l’âge de huit ans, Juliette Lacaze, future Domenica Walter-Guillaume, suscite l’envie de ses camarades de classe, c’est aussi pour la collection de billes qu’elle a amassée avec une étonnante ténacité à force de promesses et de grâces auprès de son père et de son frère Jean et d’échanges dans la cour de l’école.  Elle ne sait pas encore combien la petite ville de Saint-Affrique, où elle grandit dans une famille modeste, aînée des deux enfants d’un clerc de notaire, va lui paraître bientôt morne et étriquée.

Nous sommes en 1906. La construction d’une nouvelle église vient d’être achevée. « Ce sera une grande fête patriotique et religieuse », a annoncé l’archiprêtre Gineste* (* futur évêque de Verdun) qui sait pourtant combien la République est devenue pointilleuse sur le chapitre de la séparation de l’Église et de l’État. Les Lacaze ne sont pas de fervents catholiques et Juliette est inscrite, comme son frère cadet, à l’école publique où la loi* (* Loi de séparation des Églises et de l’État, votée en 1905 à l’initiative du président du conseil radical-socialiste Émile Combes) ordonnera bientôt de décrocher les crucifix placés au-dessus des portes. Mais c’est dimanche. Il y a de la musique, des chants, des discours, encore plus de monde dans les rues étroites que les jours de marché. Et soudain, annoncé par une série de sons nasillards qui ressemblent à ceux d’une corne de brume, surgit à l’entrée du pont un véhicule de couleur cuivre juché sur quatre grandes roues. Avec son intérieur en cuir capitonné, on dirait un carrosse, mais en beaucoup plus bas, et sans chevaux pour le tirer. C’est une automobile ! La première que Juliette voit en vrai. A l’avant du capot brille un oiseau d’acier. Elle apprendra plus tard que c’est l’emblème de la marque Hispano-Suiza. À cet instant, quand le conducteur et sa passagère coiffés de casques en cuir lui demandent la route du château de Montagut, elle a décidé qu’elle possèderait plus tard la même automobile décapotable. Et qu’elle habiterait un château.

 

Casques et chapeaux à plumes

 

Quand la guerre éclate en 1914, Juliette a 16 ans. Elle est très consciente du charme qu’exercent sur les garçons son corps d’adolescente déjà femme et ses yeux, que son père qualifie de « bleus violets ». Dans Le Courrier de l’Aveyron et Le Messager Saint-Affricain qu’il rapporte à la maison, elle regarde les dessins de mode. C’est le printemps. Les Parisiennes, de plus en plus minces, portent des chemisiers de couleur claire qu’on dirait cousus sur elles et de longues jupes moulantes dont le bas virevolte à chaque pas.  Elles sont coiffées de grands chapeaux à plumes portés en biais avec insolence, tandis qu’à Saint-Affrique les femmes sont encore vêtues de larges jupes et de blouses épaisses. Il faut aller à Millau pour trouver une couturière capable de confectionner une tenue plus chic. Mais voici l’été, sa chaleur accablante.  Le 8 Août, les journaux titrent « La France et L’Allemagne se déclarent la guerre à Berlin ». Résonnent les tambours ! Le père de Juliette ne sera pas enrôlé : il vient juste de passer la limite d’âge. Quant à son frère Jean, il n’a que 13 ans. Mais tous les hommes de 20 à 45 ans de la petite ville et de la campagne environnante sont appelés sous les drapeaux. La moisson n’est pas achevée qu’ils vont partir, casqués, fusil à l’épaule et petit drapeau tricolore à la pointe du canon, sur l’air de « À Berlin ! ». Les femmes les accompagnent jusqu’à la gare. Elles vont devoir travailler double : à la maison, dans les champs, mais aussi, à Millau et alentour, dans les tanneries puantes et dans les ateliers où l’on fabrique la spécialité régionale : les gants de peau.

 

Loin de Verdun, trop loin de Paris

 

Commencent alors, pour la jeune fille, trois années d’un interminable ennui. On ne manque ni de nourriture ni de bois de chauffage à Saint-Affrique alors que les Parisiens font la queue durant des heures pour obtenir deux kilos de charbon. La fatigue pèse sur les paysannes et les ouvrières qui doivent effectuer des journées doubles, et l’inquiétude gagne les familles qui ont un fils au front. Mais la guerre, pour une fille d’employé comme elle, dans ce coin oublié de l’Aveyron où les journées sont rythmées par les cloches de l’église, c’est d’abord l’absence de jeunes gens sur lesquels, les soirs de bals, elle pourrait éprouver son pouvoir de séduction.  Ce sont les cafés vides et les femmes en noir, qui échangent à voix basse sur le seuil des maisons grises des nouvelles des absents, parmi lesquels des blessés qui leur écrivent de belles lettres courageuses et patriotiques. Bientôt, certaines porteront le deuil. Le bruit et la fureur des combats, cependant, n’ébranleront pas le ciel et la terre de l’Aveyron. Dès le premier été du conflit avec l’Allemagne, un grand silence est tombé sur la ville et sur la plaine.

 

Juliette découvre Colette et rêve de cheveux d’or

 

Au début de l’année 1915, l’institutrice de Saint-Affrique prend l’initiative de lire en classe terminale un reportage publié dans un journal parisien par une femme écrivain nommée Colette Willy, sous le titre « Jours de l’an en Argonne » :

« Rampont, le premier village, a perdu la moitié de ses maisons (…) À droite, à gauche du clair petit torrent, quelques cubes de pierre noircis, des pans de brique calcinés marquent la place d’un village qui fut aisé, la ruine d’un petit peuple obstiné et sobre. Mais l’église est encore debout…Une dizaine de femmes, quelques enfants, prient à genoux entre des soldats et des officiers debout. Le bombardement qui fit tomber toutes les fenêtres à petites vitres blanches, a laissé aux murs de chaux bleue leurs lis d’or, leurs « chemin de croix en chromo » (…) Le vent glacé, qui sent la neige, soulève la chasuble du soldat officiant et emporte vers la proche colline tonnante, le noël ancien… »

  • Pensons, mes enfants, à nos compatriotes qui vivent ainsi, héroïquement, sous le feu allemand…

L’institutrice a chargé Juliette, qui est la meilleure de la classe en lecture, de lire la suite :

« C’est une surprise que de trouver, parmi ces ruines, autant d’enfants. Un à un, deux à deux, ils viennent timides, muets, malicieux, chercher la trompette, le gâteau, la poupée. Ils sortent en bouquets des décombres et se rangent dans la salle d’école improvisée, contre le tableau noir. Et les cheveux d’or d’une remuante petite fille effacent peu à peu, derrière elle, le modèle d’écriture tracé à la craie : « Mourir pour la patrie, c’est le sort le plus beau le plus digne d’envie. »

L’institutrice leur fait reprendre en chœur « Mourir pour la patrie, c’est le sort le plus beau… »

De retour à la maison, Juliette devra, comme toutes ses camarades, écrire une lettre d’admiration fraternelle à une écolière lorraine ou à un soldat du front. En chemin, elle se répète la phrase de Colette sur « les cheveux d’or… » Plus tard, elle fera teindre les siens : elle les trouve trop noirs

……………… » » » »

 

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Éditions de l’Observatoire Hors collection 9 Juin 2021

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