Jean-Paul Mari présente :
Le site d'un amoureuxdu grand-reportage

Photo : La leçon de Sebastião Salgado

Une exposition offre une plongée vertigineuse dans l’œuvre d’un des plus grands photographes de la planète Terre

Le personnage est aussi impressionnant que le photographe. Grand, très grand, long, mince, chauve, des yeux très bleus, des sourcils très blancs, un air de moine zen que la passion du monde aurait détourné du ciel. Profond, sensible mais apparemment indestructible. Cet homme-là est pourtant malade, il le dit, sans détour, sincère jusqu’à l’impudeur. Une malaria à falciparum, équivalent d’un cancer généralisé, une saleté. Rapportée d’où ? Allez savoir, quand vous avez passé votre vie à parcourir la planète.

Pour lui, cette exposition est un choc. Il dit : « Faire le tour de l’expo, c’est faire le tour de ma vie ». On a la même impression. Magnifique et intelligente, cette expo nous fait tourner dans un labyrinthe d’images dont chacune mérite qu’on s’y arrête. Lui sort de l’hôpital de São Paulo et va y retourner.

Pour l’instant, il est là, 80 ans, une vie, la voix embuée, ébranlé mais vivant. On suit son chemin dans le désordre. Koweït, 1991, les Irakiens de Saddam se sont retirés en incendiant les puits de pétrole. Six cents puits qui brûlent, jour et nuit, confondant la nuit et le jour sous un ciel noir de fumée pestilentielle. Il est midi, on avance à la lampe torche. Des ouvriers-pompiers se battent pour éteindre le brasier à 2 000 degrés. Le sable brûle, mortel. Un reporter du Financial Times roule dans une voiture basse, passe dans une flaque. Une étincelle, la voiture explose, le reporter est tué. « Pardon ? Parlez plus fort, s’il vous plaît. » Salgado est resté sourd à cause du bruit infernal de l’incendie qui sifflait comme une turbine. Tout reportage se paie cash. Quand il revient du Rwanda, « le plus dur de ma vie », à la fois vivant et mort de l’intérieur, il porte en lui le bruit et l’odeur des bulldozers qui poussent les monceaux de corps dans les fosses communes. Désespéré. Son médecin s’énerve : « Arrête. Tu vas mourir ! »

Soudain, il a honte d’être photographe, spectateur impuissant. Avec sa femme, Lélia Wanick Salgado, actrice capitale de sa vie, ils s’installent comme fermiers au Brésil. Une gigantesque inondation balaie la terre. Ils décident de replanter des arbres. Deux millions et demi d’arbres, « une forêt magnifique », et prévoient d’en planter dix millions au total. Retour au primitif. Salgado repart en voyage, mais cette fois à l’intérieur de lui-même. Il réalise qu’il n’a travaillé que sur une seule espèce, la nôtre, alors qu’il y en a des millions d’autres. Photographier la partie primitive de la planète, les déserts, la banquise, les montagnes, les terres humides ou glacées qui occupent 47 % de notre planète : le projet « Genesis » est né. Il repart, vole de pays en pays, trente-deux en huit ans, photographie un autre monde. Et l’espoir lui revient.

Aujourd’hui, ce vieillard malade est un jeune homme impatient à qui le temps manque. Ah, le temps… Il sait que rien ne peut l’arrêter, que le reportage marque le corps et l’esprit, que personne ne peut s’immerger dans le monde sans en ressortir trempé jusqu’aux os, que chaque photo porte sa cicatrice, mais suspend le cours des choses en les saisissant, et qu’il faut vivre toujours plus fort, comme si l’on était éternel. En rêvant toujours et encore : « Si on pouvait vivre mille ans, on pourrait voir l’évolution de la planète ».

Exposition aux Franciscaines de Deauville du 1er mars au 1er juin 2025

Voir le film de l’exposition

Sebastiao Salgado -D.R
Mine d’or de Serra Pelada, État de Pará, Brésil
Périphérie de Guatemala Ciudad, Guatemala
Mineurs de charbon, Dhanbad, État de Bihar, Inde
Les femmes zo’é se teignent le corps avec un fruit rouge, l’urucum ou roucou, village de Towari Ypy, Pará, Brésil
Canalisation d’eau potable desservant les quartiers prospères, bidonville de Mahim, Bombay, Inde
Mouvement des paysans sans-terre, État de Sergipe, Brésil
Manchots à jugulaire sur un iceberg, Îles Sandwich du Sud
Chaîne Brooks, refuge national de la vie sauvage de l’Arctique, Alaska, États-Unis
Mudman, Paya, province des Hautes-Terres occidentales, Papouasie-Nouvelle-Guinée,

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