Planète. Si rares les terres, si rares…
Trump veut le Groenland, Poutine la Crimée, Xi Jinping Taïwan. Et tous veulent aussi des « terres rares »…

À ce terme de « terres rares » ( *) , on donne ici volontairement un sens extensif, en y incluant tous les métaux stratégiques tels que le lithium, le tantale et autres minerais si fiévreusement recherchés.
Les amateurs de Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez se souviennent sans doute de ce moment du livre où les « Américains » débarquent dans ce bout du monde qu’est le village des pionniers, héros de l’ouvrage, pour y créer une cité bananière, ceinte par une clôture électrifiée interdite aux autochtones. Il s’agit évidemment d’une métaphore de la colonisation, mais on devine à quel point ce fantasme perdure, même deux ou trois générations après les grands mouvements de décolonisation et de libération nationale.
Une course planétaire
Dans une de mes toutes premières chroniques, j’avais rappelé (voir ma chronique CDD 5 du 7 novembre 2022) que, dans un horizon assez rapproché, peu de terres émergées et arables de la planète seront encore disponibles, si l’on excepte les déserts et si l’on tente de continuer à protéger les forêts primaires. La plupart de ces terres encore disponibles se situent en Afrique, mais, accroissement de la population aidant, celles-ci se réduisent rapidement, même si l’exode urbain s’y manifeste fortement. Que les grandes puissances tentent ainsi de se constituer des territoires de « réserves stratégiques » n’est donc pas fortuit. Surtout si ces derniers recèlent dans leur sous-sol des minerais intéressants ou s’ils sont situés dans des zones importantes sur le plan géopolitique.
C’est évidemment le cas d’un Donald Trump rêvant d’envahir le Groenland et clamant ses rodomontades en direction du Canada, du Mexique ou du canal de Panama, ou d’un Poutine s’étant emparé de la Crimée et du Donbass, mais continuant à lorgner sur les pays de l’ancienne URSS. L’attitude de la Chine est un peu différente, moins spectaculaire, mais tout aussi efficace si l’on pense aux espaces immenses que ses entreprises publiques et privées achètent en Afrique, souvent en contrepartie d’aides financières ou de prestations de services.
L’exemple chinois en Afrique
Volonté de puissance et d’hégémonie politique donc, mais pas seulement. L’emprise de la Chine sur le cobalt du Katanga est probablement un modèle post-colonial qu’aimeraient bien suivre nombre de puissances, grandes ou moins grandes, au moment où, entre autres « affaiblissements », l’Europe démocratique, volontairement ou forcée par les événements (ainsi de la France), abandonne peu à peu ses positions. Il ne faut donc pas s’y tromper, c’est bien à une recomposition des empires que l’on assiste aujourd’hui. L’Europe pourrait bien être l’une des grandes victimes si elle continue à s’avérer incapable de se défendre autrement que par des communiqués.
Si les chimistes parlent de « terres rares », c’est bien parce qu’on en trouve peu, et peut-être plus encore parce que l’on a découvert assez récemment leurs nombreuses propriétés, notamment celles qui en font des matériaux indispensables à l’industrie du futur, Les chimistes s’offusqueraient donc certainement de la confusion que le langage géopolitique entretient fréquemment entre les « terres rares » au sens strict, vraiment rares, et des minerais beaucoup plus répandus comme le lithium, le cobalt ou le tantale, mais tout aussi importants pour leurs usages industriels. Nul doute à cet égard que la prospection de tels minerais va s’amplifier considérablement.
Convoitises et géopolitique
Mais en attendant, les pays sont tous aux aguets, à l’affût d’opportunités leur permettant de mettre la main, le plus commodément possible, sur des gisements importants, afin d’en faire bénéficier leurs entreprises ou celles qu’ils contrôlent, tout en disposant d’un atout géopolitique déterminant. L’exemple de la maîtrise chinoise du cobalt katangais a déjà été évoqué. Mais, comme je l’expliquais dans ma chronique récente sur l’écheveau complexe qui se noue au Kivu en RDC (voir ma chronique CDD 102 du 2 février 2025), la quête du tantale fait partie des enjeux de ce conflit. Même s’il n’est pas en mesure de rivaliser en taille et en puissance avec les mastodontes chinois, russes ou américains, le Rwanda joue sa carte. Doublement pourrait-on dire : en termes d’accès aux minerais stratégiques pour son propre usage ou pour les revendre sur l’un des marchés les plus opaques, mais aussi en termes d’expansion territoriale, pour un pays visiblement à l’étroit dans ses frontières actuelles…
Les exemples abondent en Afrique de tels comportements, notamment en ce qui concerne les Russes et les Chinois : les uns pour la bauxite en Guinée, les autres (les Russes ou leurs alliés iraniens) pour prendre le relais des Français dans l’exploitation de l’uranium nigérien.
Ukraine : des minerais sous tension
Les événements récents en Ukraine offrent une nouvelle illustration de cette dualité dans la rareté des terres. Les « négociations » entre Ukrainiens, Russes et Américains ressemblent à s’y méprendre à un jeu de poker menteur, Kiev proposant un accord sur des minerais, principalement situés dans le Donbass, à Washington, afin que cela devienne une affaire entre Américains et Russes et pour bénéficier ainsi de la protection « forcée » des États-Unis.
Ce jeu ne pouvait tromper grand-monde et a même dû amuser les Russes, plus que jamais maîtres du jeu pour avoir mis Trump à leur remorque. D’un côté, le président ukrainien fait une proposition à Trump, susceptible de constituer une contrepartie de l’aide américaine, mais dont il sait que Trump comprendra très vite qu’elle l’enferme dans le piège russe. De l’autre, Trump ne pourra jamais rembourser sa dette et fait d’autant plus pression sur elle, à sa manière arrogante et grossière, qu’il veut donner satisfaction maximale à Poutine. Non par bêtise ou corruption idéologique, mais parce qu’il veut le neutraliser un temps pour pouvoir s’attaquer à celui qu’il considère comme son seul véritable ennemi : la Chine de Xi. Quitte à s’essuyer les pieds sur l’Ukraine et à déchirer un peu plus une vieille Europe qu’il ne croit pas capable de se défendre autrement qu’en se réfugiant sous son aile.
La nouvelle guerre froide n’en finit plus de se réchauffer
Fausse complicité avec Poutine, sinon à travers un cynisme partagé, obsession de la Chine, mépris pour une Europe qui ne peut le lui rendre qu’en paroles… Telle est la trajectoire actuelle de Trump, face à un Poutine qui ne se laissera jamais facilement endormir et à un Xi qui, nul n’en doute, est déjà prêt à toute éventualité. Bref, la nouvelle guerre froide n’en finit plus de se réchauffer.
(*). Aujourd’hui, plus de 90 % des terres rares sont raffinées en Chine. En 2023, la production mondiale de terres rares a atteint 300 000 tonnes, contre 132 000 tonnes en 2010, illustrant l’explosion de la demande pour ces minerais critiques. La production mondiale de lithium a bondi de 45 000 tonnes en 2015 à plus de 130 000 tonnes en 2022, une progression dictée par le boom des batteries électriques et des technologies vertes.
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