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Série Groenland (3). Chaude la banquise!

publié le 22/10/2014 | par Erik Bataille

Erik Bataille, spécialiste des régions polaires, a voyagé dans l’Arctique ( nord Canada, Spitzberg, Alaska …) avant de s’installer pendant une quinzaine d’années au Groenland. Il a été chercheur, logisticien pour des expéditions, puis auteur et journaliste. L’occasion de sillonner, en hélicoptère, traineau et bateau, le pays des derniers inuit. Il raconte…


Été 2014 sur la côte ouest du Groenland. Le fjord de Torsukartaq bée devant l’étrave du bateau. Dix ans après mes dernières navigations aventureuses dans ce labyrinthe, la mer est libre et je découvre des plages autrefois couvertes de glaces. Des mousses d’un vert dru et les linaigrettes immaculées avancent jusqu’à la rive. Les mouillages forains autrefois si aléatoires ont maintenant des airs de criques bretonnes.

À côté d’un certain catastrophisme de convenance qui fait vivre de nombreux experts et fondations, la hausse des températures entraîne une nouvelle réalité que savourent pourtant beaucoup de Groenlandais, tout à fait aptes à analyser leur situation. Ne sont-ils pas les mieux placés pour décrire les dommages, mais aussi les avantages de ce changement climatique?

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Les déplacements sont devenus plus onéreux. La banquise n’est plus ce boulevard fascinant où galopaient les meutes de chiens capables de parcourir plus d’une centaine de kilomètres dans la journée. Texture et épaisseur de la glace de mer obligent maintenant à de grands détours pour ne pas sombrer dans l’océan. Certains trajets deviennent impossibles, sauf en bateau. Le carburant et l’entretien des moteurs grèvent davantage le budget des familles alors qu’un sac de têtes de flétan suffisait à nourrir une douzaine de chiens pendant plusieurs jours.

Du côté de la mythologie «esquimaude», certaines images d’Épinal sont fortement menacées.

Les campements de chasse sur la glace deviennent moins fréquents, comme la traque au phoque derrière l’écran blanc immaculé du kamutitut. Avec une dizaine de degrés en plus, pantalons et anoraks en fourrure sont de plus en plus remplacés par le Gore Tex. Quant aux kamiks, les bottes traditionnelles, leur semelle en morse se gorge d’eau comme une serpillière.

La chasse de printemps au morse et au narval n’est plus ce qu’elle était. Alors qu’on partait pour plusieurs jours au large, à la limite des eaux libres, la traque se fait maintenant beaucoup plus près du rivage. Facilitée par la proximité, elle est néanmoins rendue plus difficile par la grande mobilité du gibier. Seuls les très bons tireurs peuvent atteindre la tête d’un phoque dans l’eau, beaucoup plus petite que sa silhouette trapue prenant le soleil sur la banquise.

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L’immense nouveauté chez ce peuple de chasseurs-pêcheurs est la découverte de l’agriculture. Dans le sud où les températures dépassent maintenant les 10 degrés en été, on cultive sous serre du seigle, des pommes de terre au goût subtil de tourbe, des champignons, des baies autrefois sauvages… Près de trente espèces de légumes et de fruits, dont les choux, les navets, les tomates, les fraises…

Certains jardins exhalent aussi des parfums nouveaux d’herbes aromatiques et de fleurs. Si quelques étables ont aussi surgi de la tourbe, l’élevage s’avère encore très aléatoire. Quelques bovins et un millier de moutons dont la gestion pâtit du manque de fourrage.

Le réchauffement modifie les équilibres. Que ce soit sur terre ou dans l’eau, quelques degrés de plus ou de moins forcent certaines espèces à migrer vers un monde meilleur. Surtout les poissons dont la température intérieure doit rester stable à 15 degrés. Les premiers immigrants venus du sud sont le rouget et la sole. D’autres vont suivre et remplacer les bancs de flétans et de cabillauds pêchés à outrance. Peut-être une bonne nouvelle pour les pêcheurs?

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Curieusement, si la banquise fond plus rapidement et les glaciers accélèrent leur progression vers l’océan, l’intérieur de l’île subit de plus grandes précipitations neigeuses, la couche glaciaire centrale s’épaissit et les moyennes de température baissent.

Quels que soient les changements climatiques, les Groenlandais s’adapteront, comme ils le font depuis des milliers d’années.


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