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Série « Les cavaliers » :Le jour où je me suis pris pour Dieu (8)

publié le 04/04/2020 | par grands-reporters

Pour quelqu’un qui, comme moi, éprouve pour le cheval une passion infantile, il n’est pas inutile de rencontrer un jour un maître qui vous aide à canaliser vos pulsions, à rationaliser un peu votre mystérieuse attirance pour cet animal.


l’éloJ’ai eu cette chance, en faisant la connaissance, dans les années 1960 (je n’avais pas 20 ans), d’un certain Jean-Claude Racinet. En matière équestre, je lui dois tout.

Ce n’est sans doute pas le lieu ici de me lancer dans l’éloge funèbre (il est décédé en 2009) de ce personnage important de ma vie. Juste de dire qu’il avait la science du cheval – et qu’il m’en a fait abondamment bénéficier.

Connu dans le milieu du dressage tant pour son mauvais caractère que pour son talent, Jean-Claude Racinet, ancien officier, avait été pressenti par la hiérarchie militaire, à l’époque très influente en la matière, pour succéder au lieutenant-colonel Bouchet à la tête du Cadre Noir de Saumur.

 

Cas unique dans l’histoire de la cavalerie où, souvent, les galons s’obtiennent à coups d’intrigues, de peaux de banane et de crocs en jambe, Racinet déclina l’offre en suggérant de confier le poste plutôt au colonel Durand. Certes un bon choix : Pierre Durand (à ne pas confondre avec son homonyme, médaillé olympique en 1988 avec son cheval Jappeloup) était un des meilleurs cavaliers de l’époque, ayant déjà raflé des dizaines de victoires internationales en saut d’obstacles, et un écuyer d’école d’une grande finesse.

Le désistement de Racinet permit au fringant colonel de devenir, en 1975, écuyer en chef du Cadre Noir. Il le restera jusqu’en 1984, avant d’être promu général et nommé directeur de l’Ecole Nationale d’Equitation (ENE).

Eternellement reconnaissant de son geste à Racinet, dont il fut informé par une indiscrétion, et non par Racinet lui-même, il dédiera son livre-testament (Une vie à cheval, Actes Sud, 2015) à ce dernier, « écuyer intelligent et enthousiaste, apôtre de l’équitation de légèreté ».

 

Un beau jour – était-ce en 1976, 1977 ou 1978 ? Je ne sais plus ! –, Racinet me propose de l’accompagner à Saumur, où son ami Durand l’invite à venir passer quelques jours, histoire de mettre au point un texte dans lequel serait enfin définie de façon claire « la Doctrine de l’Ecole française d’équitation ». Ce texte finira par paraître, en 1984, sous forme d’une brochure de douze pages, aux éditions Crépin-Leblond…

Si je ne me rappelle plus la date exacte de la rencontre, je me souviens parfaitement, en revanche, qu’elle eut lieu dans les installations de la place du Chardonnet – écuries, sellerie, bureaux et manège –, au cœur de la ville, avant que le Cadre ne soit délocalisé à quelques kilomètres de là, à Terrefort, dans le gigantesque complexe flambant neuf de l’Ecole Nationale d’Equitation, où il se trouve encore aujourd’hui.

Pour moi, le manège du Chardonnet, appelé (avec majuscules, SVP) Manège des Ecuyers, était une sorte de lieu mythique, d’endroit sacré dans lequel on ne pouvait pénétrer qu’avec respect et recueillement, où flottait encore l’esprit de ces grands maîtres que furent le comte d’Aure et le général L’Hotte, et dans lequel résonnaient encore les leçons de Danloux, de Wattel, de Margot, de Saint-André, écuyers à la forte personnalité dont l’héritage a constitué cette équitation « de tradition française » dont l’Unesco a cru pouvoir faire, en 2011, un élément du patrimoine mondial.

 

Aussi mon émotion fut-elle intense lorsque Durand et Racinet me proposèrent d’y pénétrer, après m’avoir suggéré de me mettre « en tenue ». C’est-à-dire de porter culotte de cheval et bottes d’équitation.

On allait, me dirent-ils, me donner à monter un de ces grands chevaux d’école utilisés ici pour l’instruction des jeunes écuyers. Pour moi, misérable piéton parisien, cavalier du dimanche (et encore, pas tous les dimanches !) et bricoleur malhabile de la mécanique équestre, un honneur ! Un baptême ! Une apothéose !

En mettant les pieds dans la sciure de ce lieu chargé d’histoire, je ne pus m’empêcher, tout en tremblant de joie (et de trouille), d’avoir une pensée pour mon grand-père Jean Gouraud que j’ai peu connu (j’avais 10 ans lorsqu’il est mort, en 1953) mais beaucoup admiré, et sur la tombe duquel je ne manque jamais de m’incliner lorsque, pour une raison ou pour une autre, je me rends dans la région : il est enterré dans le très charmant cimetière de Bagneux, quelque part entre Saumur et Terrefort.

 

Dans sa jeunesse, il avait, au début du XXe siècle, avant même la Première Guerre mondiale, été « dans les chevaux ». De modeste origine, il était resté dans de modestes fonctions : pour dire les choses clairement, il était quelque chose comme palefrenier. Un palefrenier de catégorie supérieure, certes, mais palefrenier quand même. On appelait ce genre de subalterne du joli nom, nettement plus valorisant, de « cavalier de manège ». C’étaient de simples soldats du rang ou sous-officiers auxquels ces Messieurs de la haute qu’étaient les officiers confiaient le sale boulot tel que, par exemple, le débourrage des jeunes chevaux qui, arrivant par centaines au début de la guerre, devaient être vite mis sous la selle, ce qui se révélait souvent, on le devine, assez sportif.

Bref ! Me voilà donc, ému et transi, au milieu du Manège des Ecuyers, avec mon ami Racinet, qui papote avec son ami Durand, écuyer-en-chef, s’il vous plaît, du Cadre Noir de Saumur.

Il faut savoir que la tradition qualifie de « Grand dieu » l’homme qui occupe cette éminente fonction. De là à me prendre, moi aussi, sinon pour Dieu mais au moins pour un demi-dieu, il n’y a pas loin !

Autour de nous, les écuyers du Cadre travaillent – chacun de son côté – leurs chevaux, auxquels ils demandent toutes sortes d’exercices nécessitant, tant de la part du cavalier que de la part de sa monture, une certaine concentration. D’où une espèce de silence de cathédrale, troublé seulement par le cliquetis des embouchures, le martèlement des sabots et le chuchotement de ces deux grands bavards que sont Durand et Racinet.

Un homme en noir amène aussitôt au centre du manège un grand cheval bai, bridé et sellé, dont il me tend les rênes : à moi de jouer !

 

Avec l’application de quelqu’un qui a conscience qu’il joue là sinon sa vie, du moins sa réputation, je me hisse sur le bestiau qu’on me confie, d’une taille pourtant tout à fait ordinaire mais qui me paraît soudain vertigineuse. Puis je me rends, d’un pas que j’espère majestueux, vers la piste, le long du pare-bottes, où je suis censé montrer ce que je sais faire, ou plutôt obtenir du cheval ce qu’heureusement il sait parfaitement faire. Je lui suis en effet reconnaissant de me donner instantanément tout ce que je lui demande. Au pas, au trot, au galop : changement de main, changement de pied, épaule en dedans, volte à droite, volte à gauche…

Entièrement mobilisé par le désir de bien faire, je n’ose pas trop regarder au centre du manège, où je risque de croiser le regard probablement désapprobateur ou, au mieux, condescendant de maître Durand et maître Racinet. En une vingtaine de minutes, je déroule tout mon savoir-faire, puis me rends, ma reprise terminée, au centre pour mettre enfin pied à terre.

Anxieux de les entendre commenter ma prestation, je me tourne alors vers mes juges. Petit problème : ceux-ci semblent ne s’être pas même aperçus que je suis revenu auprès d’eux ! Imperturbables, ils continuent à deviser entre eux, poursuivant je ne sais quelle interminable conversation sur je ne sais quel sujet sans fin (en quoi consiste, par exemple, le tact équestre, ou l’indépendance des aides !).

Plongés dans leur passionnant bavardage, ils n’ont pas même daigné jeter un coup d’œil aux contorsions appliquées de leur ami Gouraud. Rien : ils n’ont rien regardé et n’ont donc rien à me dire ! A moins que, consternés par le spectacle, ils aient, avec la délicatesse qui les caractérise (?), fait semblant de n’avoir rien vu.

Rien n’est pire pour un dieu que les incroyants ; rien n’est pire pour un demi-dieu que de passer inaperçu.

 

Les auteurs :

– Jean-Louis Gouraud, écrivain, éditeur
– Atiq Rahimi, écrivain, prix Goncourt
– Pierre Durand, cavalier de Jappeloup
– Alain Connan, commandant de Marine marchande, fondateur de Greenpeace France, ayant notamment commandé le Rainbaw Warrior, le Syrius

– Hubert de Gévigney, amiral
– Adriana Tager, sambiste
– Mahyar Monshipour, champion de boxe – Alain Louyot, grand reporter
– Antoine Grospiron Jaccoux, réalisateur – Jean-Francis Vinolo, journaliste
– Sylvain Chaty, astrophysicien
– Pauline Ambrogi, auteure
– René Bruneau, écrivain

Préface par Claude Thomasset, professeur émérite Paris 4 Sorbonne.

L’ELOCOQUENT, éditeur Association loi de 1901

Format : 224 pages
Prix de vente TTC : 23 euros

Contact :
Elise Dürr
06 87 66 13 96 elise.durr@wanadoo.fr

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