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Série « Les cavaliers » : Caporal (7)

publié le 19/03/2020 | par grands-reporters

De chevaux et de cavaliers du bout du monde, il faut, pour en avoir rencontré, être de ces coureurs de steppes et d’horizons dont je ne suis pas. À moins que le vrai bout du monde, ce soit le rêve. Un homme m’a fait rêver. Son cheval avec lui. L’un et l’autre s’étaient rencontrés au fin fond de la Poméranie. Ensemble, ils ont vécu une histoire triste et belle. Le récit qu’il m’en fit, il y a de cela bien longtemps, est de ceux qui ne s’oublient pas. Et qui surtout méritent de n’être pas perdus. Je suis donc heureux de pouvoir, aujourd’hui, rendre vie à Camille et à Caporal…


Pas très grand, sec comme un coup de trique, tout en muscles, Camille menait sa charrue d’une poigne vigoureuse, arc-bouté sur les mancherons, prévenant de la voix le moindre écart du cheval, avec une autorité pleine de mansuétude. L’animal aussitôt rectifiait la trajectoire, sans jamais renâcler, non pas à la façon d’une bête soumise, mais bien plutôt comme un équipier appliqué, consciencieux. Tous les deux formaient un attelage fusionnel, que dix années de compagnonnage avaient soudé indéfectiblement, chacun devinant l’autre, au moindre clappement de langue ou changement d’appui, au moindre ébrouement, à la moindre hésitation du sabot.

D’ainsi les voir tous les deux à l’ouvrage, des heures durant, sous un cagnard d’enfer, opiniâtres, infatigables, émerveillait le gamin de la ville que j’étais. Pour moi, nul doute que Camille était le plus vigoureux des hommes et Caporal le plus brave des chevaux.

– Pourquoi qu’il s’appelle Caporal, ton cheval ?

Camille, son étrille à la main, avait suspendu son geste. Caporal avait vers lui tourné doucement la tête, surpris par l’arrêt prématuré du brossage.

L’œil de Camille, d’un bleu terne, s’était un temps figé dans le vague, avant d’un peu s’assombrir. Puis il avait répondu, évasif, d’une voix songeuse, lointaine :

– C’est en souvenir d’un autre cheval. Qui s’appelait Caporal. Pendant la guerre il m’a permis de m’évader d’Allemagne, où j’étais prisonnier. Il m’a sauvé.

Il n’avait rien dit de plus. En dépit d’un caractère aimable, rieur, volontiers moqueur, Camille était un taiseux qui n’aimait guère parler de lui.

Par la suite, plusieurs fois j’ai essayé de lui arracher son histoire. Chaque fois, il se dérobait, prétextant quelque tâche urgente. Agacé, j’ai fini par un jour lui lancer :

– T’as jamais le temps ! L’hiver, t’as moins de travail, t’as qu’à l’écrire ton évasion, et me l’envoyer !

Peine perdue. Plus tard, j’ai fait une ultime tentative.

C’était à la sortie du film « La Vache et le Prisonnier » :

– Lui s’est échappé avec une vache ! Ça m’a fait penser à toi et ton Caporal ! Toi aussi tu devrais raconter ton aventure, et même en faire un livre !

Camille a répondu que la seule vraie aventure d’une vie, c’était de la vivre honnêtement, utilement, dans le respect de soi et des autres, et que c’était plus compliqué qu’une évasion.

Avec l’adolescence, le goût m’a quitté de ces étés de vacances campagnardes, passés chez ce vieil ami de mes parents. La ville m’offrait désormais des joies neuves.

Bien des années après, lors d’une de mes visites, ma mère m’a appris la mort de Camille.

Elle m’a alors tendu un mince paquet soigneusement ficelé. Sur le papier kraft de l’emballage était inscrit mon prénom. Intrigué, j’ai ouvert. Il s’agissait d’un cahier d’écolier, de la marque Héraklès, avec l’archer de Bourdelle sur sa couverture violacée, et dont les vingt premières pages avaient été bleuies par une plume laborieuse à l’écriture malhabile. Dès la première ligne, j’ai compris que c’était là l’histoire de Camille et de son cheval allemand. Elle avait été écrite sans ponctuation ni majuscules, dans un français cahoteux, souvent incorrect, à l’orthographe calamiteuse.

Il n’empêche, cette offrande d’outre-mort m’a tiré les larmes et infligé le remords bien tardif de mon ingratitude.

Voici donc le récit de Camille, réécrit au plus près de son original, dans sa simplicité…

 

« La campagne de 40, je l’ai faite au 6ème dragons. La guerre, on l’a perdue à cause des généraux, parce que les hommes, eux, se sont bien battus. Dans mon régiment, on s’est accroché dur avec les Boches ! Y’a eu de la casse ! Finalement, dans le grand bazar de la déroute, on a fini par se rendre, comme tout le monde. Moi, ça s’est passé à La Guerche. On nous avait parqués au camp de Savernay. C’est de là que les Chleus nous ont conduits, moi et les copains, en rangs serrés jusqu’à la gare et entassés dans des wagons à bestiaux, direction l’Allemagne. Une dizaine de jours plus tard, je débarquais en Poméranie, à mille cinq cents kilomètres de chez moi. Et j’entrai à Stargard, au stalag II D.

L’endroit n’avait rien de joyeux ! Une plaine triste sous un ciel gris, des chevaux de frise, des barbelés, des miradors, des alignements de baraques et de tentes, des gars qui galochaient dans des allées boueuses avec des gueules de vaincus déprimés, c’était ça le II D !

Je me voyais mal rester là-dedans, à tourner en rond !

Heureusement, les paysans du coin manquaient de bras pour le travail des champs. Leurs fils étaient occupés à foutre le monde à feu et à sang, et on peut pas tout faire. Alors, le camp fournissait des esclaves à ces bouseux, aussi fanatiques que leurs gars.

Je me suis porté volontaire, en me prétendant agriculteur.

Le surlendemain, un Wächter, Mauser sur l’épaule, m’a mené dans une ferme sale à faire peur. Y avait là une masure avachie, flanquée d’un hangar menaçant ruine, d’une écurie et d’une soue à cochons, tout ça entourant une cour gadouilleuse, détrempée par les pluies et le purin suintant du tas de fumier qui croupissait en son milieu. Le fermier était justement en train d’en tirer de grosses fourchées dégoulinantes, qu’il balançait dans un tombereau attelé à un pauvre bougre de cheval. Mon gardien, fier de son uniforme de vainqueur, et peu désireux de crotter ses bottes, n’est pas entré dans la cour. Après un braillement de présentation, il m’a planté là, face à Adolf.

C’est ainsi que, d’emblée, j’ai surnommé mon pédezouille, à cause de son étroite moustache, du genre qui faisait fureur – et führer – dans l’Allemagne nazie. Le bonhomme s’est accoudé sur le manche de son outil, le temps de beugler un laïus d’accueil auquel je n’ai évidemment rien compris. Sinon, au ton de sa voix et à sa gueule teigneuse, qu’entre lui et moi, la guerre continuait. Après quoi, il a piqué sa fourche en terre en m’invitant du geste à poursuivre l’emplissage de la banne. Puis il s’en est allé. C’est là que j’ai remarqué qu’il boitait. Assez vite, et bien que ne parlant pas l’allemand, j’ai compris, dans le charabia de ses griefs incessants, qu’il avait rapporté sa patte folle des tranchées de 14-18 et que, depuis, il haïssait furieusement la France et les Français.

Pour l’heure, tout en fourchant le fumier, je lorgnais le cheval avec l’œil exercé du maréchal-ferrant – mon métier dans le civil – et aussi du hussard. Ça n’était pas un de ces puissants poméraniens qu’en chemin j’avais pu voir dans les champs alentour. Moins massif, plus fin d’allure, il me rappelait les braves percherons de nos campagnes. Encore que la pauvre bête fût alors dans un état déplorable, efflanquée, tellement encroûtée de boue, depuis les sabots jusqu’à l’échine, qu’on distinguait à peine le noir de sa robe.

À mon arrivée, il aurait dû poser sur moi des yeux doux et patients de bête de somme, au lieu de quoi il n’avait pas même tourné la tête et continué de regarder devant lui, inerte dans l’attente, l’œil éteint. Et puis, surtout, des zébrures sombres et durcies, en travers de ses épaules et de sa croupe, me semblèrent bien être de sang séché, stigmates de coups violents. J’en conçus pour Adolf une immédiate aversion.

Dans les semaines qui suivirent, j’eus bien des fois l’occasion de constater, qu’en effet, le rustre maltraitait l’animal, trop faible pour arracher d’un coup de reins des charretées entières de pommes de terre ou de betteraves. Et, de ne devoir emplir le tombereau qu’à moitié insupportait ce goujat, il s’en vengeait de la gueule et du geste, insultant la bête, lui donnant du fouet à tour de bras, côté lanière et côté manche.

Assommer la brute était trop risqué, mais l’envie de lui fausser compagnie eut tôt fait de me démanger. Là-bas, loin de ce cloaque, il y avait la France, et elle me manquait terriblement. Cependant, je m’étais attaché à ce pauvre cheval et ne me résignais pas à l’abandonner aux colères d’un demi-fou boiteux.

Je connaissais maintenant toutes les parcelles de la petite exploitation du bonhomme, et notamment ce champ pentu au bas duquel cheminait un ruisseau. Son eau claire me donna aussitôt une idée. J’attendais impatiemment d’avoir à y retourner.

Le jour venu, je cachais dans la banne un seau et une grosse poignée de chiffons sales. Arrivé sur place, je me hâtai de ramasser mes betteraves puis dételait l’animal et le conduisit jusqu’à la rivière. La brave bête sembla comprendre et tourna vers moi un regard où je crus lire comme un frisson de vie.

J’entrepris de le laver à grande eau, déversant sur lui de pleins seaux, le bouchonnant longuement, avec application, en évitant de trop peser sur ses blessures. Sous lui, le ruisseau avait pris une couleur terreuse, et peu à peu la robe de l’animal avait retrouvé son lustre. Y tranchaient laidement les croûtes des sillons creusés par le fouet.

Je m’étais accroupi devant lui pour débarrasser sabots et paturons de leur gangue boueuse que le courant n’avait fait qu’amollir. Il se laissait faire et son menton, par deux fois, était venu caresser mes cheveux. J’en étais à nettoyer un sabot quand mon cœur a bondi. D’une main fébrile, j’ai fourbi plus énergiquement et un soudain émoi m’a tiré les larmes.

Je me suis frotté les yeux, c’était bien ça, j’avais bien vu, le matricule apparaissait nettement, imprimé au fer dans la corne : T. E. 9 et 3 sur la face interne ! Je me hâtai de décrasser l’autre sabot, estampillé lui du nombre 25 ! Alors je me suis relevé, j’ai pris dans mes bras la tête de l’animal et longuement je l’ai serrée, ma joue contre la sienne, lui parlant à l’oreille, bouleversé :

– T’es français toi aussi, t’es français, t’es un bon vieux cheval de chez nous !

J’en pleurais presque, lui rappelant notre belle France à mots tremblants, nos blonds champs de blés piqués de coquelicots, nos vignes sages se gorgeant de soleil, les grasses prairies qu’il avait dû brouter. Et lui m’écoutait. Me comprenait. J’en étais sûr, tant frémissaient ses oreilles. Tant ses yeux maintenant revivaient.

– Mais alors, tu dois avoir un nom français ! Quel dommage que tu ne puisses me le dire !

Le retour jusque chez Adolf a été trop court. Nous allions, le cheval et moi, devoir retrouver le bourbier de sa ferme dégueulasse. En tout cas, j’y aurai désormais un ami, presque un frère ! Un de nos braves percherons, ôté par notre armée à son paysan de maître, pour s’en aller faire la guerre, dans le train des équipages, 9ème escadron, 3ème section, numéro de matricule 25. Un prisonnier, comme moi ! Donné par les Chleus à un de ces cul-terreux dont la Wehrmacht avait, en 39, réquisitionné le cheval. Cette crevure d’Adolf savait donc que le cheval était français ! Il lui faisait payer le prix de sa patte folle ! À coups de fouet !

Lorsqu’au dernier détour du chemin est apparue la bâtisse, j’étais bel et bien décidé.

– On va se tirer toi et moi, prendre la poudre d’escampette ! Laisser dans sa merde cette saloperie de Boche ! Le temps que je me trouve des fringues civiles et on fout not’ camp !

Deux jours plus tard, en pleine nuit, n’emportant que mon rasoir, mon couteau et un quignon de pain, je suis allé chercher le cheval, et on est partis.

C’est pas que je me sentais très à l’aise dans les croquenots du vieux crasseux, culotté d’un pantalon de velours râpé, rapiécé aux genoux, et affublé d’un vilain paletot de drap usé de partout. Mais bon, je pouvais quand même pas me sauver avec ma capote kaki, peinte dans son dos à la peinture blanche, du grand KG des prisonniers de guerre.

Le cheval et moi, on a lentement quitté la cour, à pas comptés pour ne pas réveiller notre moustachu en train de ronfler d’un sommeil abruti. La lune jouait avec les nuages, rayonnant juste assez pour nous éclairer le chemin.

Il s’agissait de s’éloigner de la ferme, au plus vite et au plus loin. Demain, Adolf ne manquerait pas de lancer après nous les soldats et leurs chiens. Fallait pas moisir dans le coin ! Je marchais d’un bon pas en tirant sur le licol de la bête. Curieusement elle semblait partager ma hâte, suivant l’allure sans faiblir.

Passé l’excitation du départ, après que nous eûmes mis, entre nous et Adolf, une confortable distance, m’assaillit brutalement la pleine conscience de ma folie. Ce retour de lucidité me coupa les jambes. L’entreprise était vouée à l’échec ! Décidée sous le coup de l’émotion, sans aucune préparation, comment pouvait-elle réussir ?

J’étais à plus de mille kilomètres de chez moi, nous ne venions guère d’en parcourir qu’une petite quinzaine et déjà le mollet me tirait ! La sabotée du cheval, le cognement de mes tempes, me semblaient devoir réveiller tout le pays ! De chaque arrondi de la route, je m’attendais à voir surgir les phares d’une auto, d’un camion ou d’un side-car. Alors, pour échapper à l’angoisse, je me suis mis à parler à l’animal, interminablement, d’une voix étale, inventant pour lui la belle vie qu’ensemble on se ferait quand, au terme du voyage, et la paix revenue, j’aurais retrouvé mon village, ma forge, et que lui n’aurait plus qu’à se laisser vivre dans le pré de bonne herbe, derrière ma maison.

De pouvoir enfin parler français, librement, à un compatriote, me rendit quelque confiance.

Au petit matin, nous étions à proximité d’un bourg glaiseux tassé au milieu des champs.

Il nous fallait nous reposer. J’avisais un bois, à l’écart de la route.

À peine m’étais-je assis au pied d’un arbre que je m’endormais.

C’est un bruit de voix qui m’éveilla. Je me relevai. Le soleil était haut. Dans un champ jouxtant une ferme, une poignée d’hommes et de femmes, le dos courbé, ramassait des pommes de terre, à pleins paniers, avant de les aller vider dans un charreton. Je cherchais des yeux mon cheval, il broutait un peu plus loin, tranquillement, dans un trou de lumière du sous-bois. Mon estomac et ma gorge réclamaient. Le croûton de pain que j’avais emporté n’était plus qu’un souvenir, j’avais soif. J’ignorais où j’étais et ce que je devais faire maintenant.

Le cheval m’avait aperçu, était venu vers moi.

De sillon en sillon, les ramasseurs s’étaient rapprochés. Je tressaillis soudain, en distinguant parmi eux une paire d’uniformes kaki ! Un instant plus tard, je crus même avoir la berlue quand il me sembla reconnaître le trouffion le plus proche.

Je m’avançai prudemment et, restant à couvert, me risquait à le héler, à voix étouffée d’abord, puis plus fortement :

– Caporal ! Caporal ! Caporal ! Ho, Albert ! C’est moi !

Il a fini par entendre, s’est tourné dans ma direction. Je me suis montré, juste un peu.

L’instant d’après il m’avait rejoint. Éberlué.

– Ben merde ! Qu’est-ce que tu fous là ?

J’ai raconté. Lui aussi. Et son histoire ne ressemblait en rien à la mienne.

Ses fermiers à lui étaient de braves gens. Il s’entendait au mieux avec les ouvrières polonaises. Son clin d’œil en disait long. Lui et son copain se trouvaient très bien là.

Quant à mon entreprise, il ne fut guère rassurant :

– Enfin quoi, t’es maboule, t’as pensé à la distance ? Et tu dis que t’as même pas de carte ! D’accord, t’as un cheval, mais qui tire rien ! En plus, tu ressembles davantage à un épouvantail qu’à un paysan boche qui part aux champs ! Sans compter que tu parles pas l’allemand ! Quitte à te sauver, t’aurais mieux fait de partir avec ton tombereau plein et ta tenue de prisonnier! C’était plus plausible !

Albert m’a apporté à manger et à boire.

Pour le cheval, il est allé chercher un grand seau d’eau, vite englouti.

– Garde le seau, ça pourra te servir !

Il m’a appris que je n’étais guère qu’à une petite trentaine de kilomètres de Stargard.

J’avais intérêt à m’en éloigner davantage, et vite !

Pris d’une inspiration soudaine, il m’a dit :

– Attends-moi, je reviens !

Dix minutes plus tard, il était de retour. En souriant, il me tendit une carte du Grand Reich victorieux, la page d’un journal que son patron avait punaisée dans son atelier.

J’ai remercié, on s’est salué et j’ai repris la route. Pas bien tranquille. Ce que m’avait dit Albert me turlupinait. En effet, traîner un cheval pas attelé, ça pouvait sembler curieux. Et à la moindre question, j’étais bon pour les menottes et le retour au camp !

Un souvenir m’est soudain revenu, m’arrachant un instant à mon inquiétude.

À l’orée du bois, lorsque j’avais interpellé Albert, j’avais cru remarquer quelque chose.

Je voulais m’en assurer. J’ai lâché le licol, laissant filer la bête, avant de commander :

– Ho, Caporal, ho !

Le cheval s’est aussitôt arrêté, attendant là, sans bouger. J’ai appelé :

– Caporal !

Il a vers moi tourné la tête ! Exactement comme je l’avais vu faire tout à l’heure, tandis que je hélais Albert. Je n’avais pas rêvé ! Mon compagnon d’infortune se nommait Caporal !

J’en demeurais interloqué. Mon percheron désormais avait un nom, il n’était plus un quelconque animal, il devenait une connaissance, un familier même, presque un intime ! J’ai marché jusqu’à lui, enserrant son encolure, le nez dans sa crinière, en répétant : Caporal, Caporal, Caporal. Lorsqu’à la fin je lai lâché, il a posé sur moi des yeux emplis de ce qui ressemblait fort à de l’affection.

On a marché de jour ou de nuit, c’était selon, j’ai chapardé dans les vergers, dans les potagers, on a bu aux rivières et aux fontaines, fuyant les villes, les bourgs trop gros, évitant les routes, préférant les chemins. Je me dirigeais au soleil. Sud-ouest. La solitude ne me pesait pas. Lorsque l’ennui ou le découragement me prenaient, je parlais à n’en plus finir, Caporal écoutait, m’offrant sa patience et l’amicale douceur de son regard.

Dans les jours qui suivirent, nous eûmes deux fameux coups de chance !

Une nuit, comme nous longions un champ, j’y aperçus sous la lune une petite gerbière laissée là, à demi pleine, posée sur sa béquille, une fourche contre une roue, les harnais posés sur un timon. En pays nazi, on craignait moins les voleurs que les gendarmes. Je m’en voulais un peu de charger Caporal. Il le fallait pourtant. Il se laissa atteler sans renâcler. Nous partîmes aussitôt, d’un bon train, pour être loin quand s’en reviendraient les moissonneurs.

Une semaine plus tard, sur un chemin, à l’écart d’une grosse ferme, alors que nous suivions un long talus boisé, des cris joyeux, des braillements rigolards, me donnèrent à craindre une mauvaise rencontre. Ça sentait le troupier au repos ! J’allais pousser l’allure, pas rassuré, quand, dans le tapage, j’entendis qu’on s’apostrophait en français. J’arrêtais le cheval.

À plat ventre sur le haut du talus, j’éprouvais un sentiment mêlé. D’envie et de jubilation.

En contrebas, dans l’eau d’un étang, s’ébattaient une huitaine de jeunes types bronzés et musclés, s’aspergeant et chahutant. Sur la berge, accrochés dans les branches d’un taillis, pendaient leurs uniformes kaki marqués du KG blanc. À terre, s’alignaient leurs godillots. J’eus une pensée pour mes croquenots qui commençaient à fatiguer. À l’évasion comme à la guerre, chacun pour soi, pardon les gars ! Je me mis à ramper vers le bosquet…

Caporal et moi, on formait maintenant un équipage tout à fait acceptable. Albert avait raison. Un prisonnier, fourche sur l’épaule, rentrant à la ferme de son Arbeitgeber, avec sa gerbière, rien là que de très normal dans ce Reich esclavagiste. Normal aussi qu’un Französischer Kriegsgefangener, à l’air passablement ahuri, ne comprenne rien à ce qu’on lui disait. Cependant, pour limiter les rencontres, je continuais d’éviter les routes trop passagères au profit des chemins de cambrousse, signifiant par gestes mon incompréhension aux curieux ou aux braves gens qui, me croisant, s’avisaient de vouloir me parler.

Toutefois, j’étais parfois contraint d’emprunter des axes plus fréquentés. Les premières fois que j’y ai vu s’avancer vers nous une troupe en armes, au pas cadencé, je me suis senti sacrément mal. En fait, ces glorieux guerriers, la plupart du temps, n’eurent pas même pour moi un regard.

Trouille autrement plus grande – et justifiée – lorsqu’il s’est agi des feldgendarmes ! À la vue de leurs colliers à vaches, j’en avais les jambes en flanelle ! C’est qu’eux alors, ils vous regardaient ! Avec des gueules de dogues prêts à tout bouffer ! La plupart m’ont laissé passer, mais en deux occasions j’ai dû m’expliquer, la première fois au passage d’un pont, la seconde à un carrefour en rase campagne. J’ai alors joué les demeurés, les indécrottables, les saoulant de mon charabia, de gesticulations affolées, non sans talent puisque les deux fois, de guerre lasse, ils m’ont laissé filer. Il n’empêche, l’alerte avait été chaude.

L’affaire s’est corsée lorsque je me suis trouvé face à l’Oder. À quinze kilomètres de Fürstenberg. Il me fallait trouver un pont. Mais entrer en ville avec Caporal, ma fourche et mon tombereau de paille, décidément non, je m’en ressentais pas. Le fleuve devant moi roulait ses eaux grises, tapi dans son lit d’une largeur menaçante.

Je n’avais pas le choix. Le retour au camp à coups de pieds au cul, non merci. Sans compter que pour mon compagnon, ce serait pas le camp mais l’abattoir ! Je lui ai expliqué tout ça à l’oreille. Il fallait qu’on passe. En tout cas, qu’on essaie. Le coin était tranquille, à l’écart de la route, sans maison à proximité. On pouvait y arriver ! Ça dépendait de la profondeur. Et du courant…

Sur le soir, à la brume, on s’est lancé. Plutôt que de monter dans la voiture, j’ai préféré rester près du cheval, le tenir au licol pour l’encourager de la voix et du geste.

D’abord un peu surpris face à l’eau turbulente, Caporal s’est décidé à y entrer. Et j’ai vite compris que, de nous deux, il serait le plus volontaire. C’est lui qui me tirait, tandis que je m’accrochais à son licol comme à une bouée. Il avait de l’eau jusqu’au ventre, moi jusqu’à mi-torse. De la gerbière on ne voyait plus les moyeux, et le courant commençait à la malmener si rudement que Caporal eut bientôt le plus grand mal à la traîner. Si l’on devait s’enfoncer encore il faudrait renoncer. Ce fut bientôt le cas.

La peur me prit quand l’eau m’atteignit le cou, effleurant le dos du cheval, noyant carrément le fond de la gerbière, emportant les bottes de paille au fil du courant. Et nous n’étions qu’à mi-traversée. Je décidai de faire demi-tour, tirant sur le licol. Mais le cheval résistait, ramenait la tête vers l’avant, opiniâtre dans l’effort, tirant sa charge avec un regain d’énergie. On avançait, en dépit de la poussée du courant. L’eau ne montait plus, et bientôt même commença à baisser. L’espoir me revint, l’ardeur avec lui. Réapparurent les flancs luisants de mon brave Caporal, et puis la plateforme de la charrette, vide.

Le fleuve acceptait sa défaite, le courant faiblissait. La rive se rapprochait. On aborda enfin, dégoulinants, pantelants, mais saufs. Devant nous, la terre ferme déroulait ses champs paisibles sous un crépuscule débonnaire. J’ai longuement serré contre moi la bonne tête de mon vaillant compagnon, puis je l’ai dételé, je me suis dévêtu pour mettre à sécher mes habits et, côte à côte, on s’est accordé une nuit d’un repos bien mérité.

Ma gerbière était vide. Ma fourche avait, elle aussi, pris le large. Il me fallait retrouver un chargement qui justifiât mon déplacement. La Saxe, région de vignobles, y pourvut. C’était la pleine période des vendanges et, parmi les rangs de ceps couvrant les pentes des collines, plus d’une fois j’aperçus des copains PG parmi les tâcherons penchés sur les grappes. Avec un rien d’envie quant à leur vie tranquille. Mais bien décidé pourtant à poursuivre ma route. J’avais bouclé la moitié de mon périple.

C’est là que j’ai commis la plus mauvaise action de ma vie, dont la honte parfois me revient encore. C’était un dimanche matin. Le village que prudemment je traversais semblait vide de tout habitant. À la sortir du bourg, je passai devant un portail cossu, ouvert sur le petit parc d’une modeste maison de maître. J’en vis sortir une calèche, tirée par un beau bai à la longue queue blanche et menée par un cocher coiffé d’un chapeau à toupet. Dans la voiture à la capote repliée, un couple bavardait face à deux enfants apprêtés. Vision fugitive d’un bonheur oublieux des misères du monde.

Au passage, j’avais eu le temps de remarquer, sur le côté de la cour, une bâtisse devant laquelle séchaient des tonneaux qu’on venait de nettoyer. Le chargement rêvé en ce pays vigneron ! Je fis faire demi-tour à Caporal, arrêtai la voiture à hauteur du portail et là, feignant de vérifier son harnachement, je lorgnai l’intérieur. Ni bruit, ni mouvement. Pas d’ouvriers allant ou venant. Rien. Il n’empêche que c’est la gorge serrée que je tirai le cheval jusque dans la cour.

À peine avais-je franchi les grilles qu’un molosse, heureusement attaché, se mit à gueuler en tirant furieusement sur sa chaîne. Caporal ne parut pas s’en émouvoir, ayant sans doute été naguère habitué aux aboiements. Moi, par contre, surpris par ce tintamarre, je m’apprêtais à filer lorsque s’ouvrit la porte de la maison. Parut une femme charpentée, l’air pas commode, qui, tout en s’essuyant les mains à son tablier, s’enquit de ce que je voulais, dans un gueulement de walkyrie, très germanique. Ce devait être l’épouse du cocher, elle et lui constituant le personnel de la maison.

Décontenancé, apeuré par le raffut, je baragouinai en français une réponse qu’elle ne pouvait évidemment comprendre. Elle me chassa du geste, en me scrutant d’un œil tellement suspicieux que j’eus aussitôt la certitude qu’elle savait avoir affaire à un prisonnier évadé. Alors, pris de panique, je marchai droit sur elle. Effrayée elle tourna les talons, voulut rentrer et verrouiller sa porte, plus rapide je l’agrippai par le collet, la poussai à l’intérieur. On était dans un corridor. J’aperçus sur ma gauche une cuisine, des victuailles sur la table, un jambon pendu au plafond. La femme se mit à hurler.

Affolé, je la fis taire d’une gifle magistrale. Elle chancela, interloquée, puis rouvrit la bouche pour beugler de plus belle. Je l’empoignai, le tirai vers un placard aménagé dans le mur du couloir, l’y jetai d’une violente bourrade, refermai sur elle en rabattant le loquet. Elle donna du poing dans les portes, en braillant. Le bois étouffait ses cris. Dehors, le chien gueulait toujours. Il allait me faire repérer ! D’un porte-cannes, je tirai un bâton de marche à bout ferré, sortis, allai vers le clébard. Il écumait férocement, s’étranglant presque avec sa chaîne, cherchant vainement à sauter sur moi.

Vingt fois j’abattis sur lui le bâton, de toutes mes forces, jusqu’à ce qu’à la fin, reins brisés, gueule en sang, il s’affaissât en geignant. Sans plus tarder, la tête en vrac, la trouille au ventre, je me hâtai de charger les quatre barriques vides sur la charrette. J’allais repartir, ce que j’avais entrevu de la cuisine me retint. Depuis trois semaines, pas une fois je n’avais mangé à ma faim.

Je rentrai dans la maison, la femme criait toujours, je décrochai le jambon, mis sous mon bras un gros pain qui se trouvait sur la table, bourrai mes poches de carottes qui trempaient dans l’évier, ressortis en fermant la porte, jetai mon butin dans la voiture puis, en évitant de regarder le chien agonisant, pressait le cheval jusqu’à la route. Là, je grimpai dans la gerbière et mis Caporal au trot. Il s’agissait de filer au plus vite et au plus loin.

Je n’étais pas fier de moi. Un vague restant de mon éducation catholique me donnait à craindre d’être puni par le sort d’une action aussi vile.

Une dizaine de jours plus tard, alors qu’à l’orée d’un bois, assis sur le talus bordant la route, je m’octroyais quelque repos, je vis soudain surgir un side-car et sa paire de Chleus. Le conducteur m’aperçut, il arrêta sa bécane. L’autre s’arracha de sa nacelle, pour s’en venir vers moi, la mitraillette sur le ventre. Il considéra le cheval, la charrette, les tonneaux, ma tenue de prisonnier et, l’œil ombrageux, s’enquit d’un air teigneux de ce que je faisais là. À cet instant, acceptant d’avance mon juste châtiment, j’étais prêt à me laisser reprendre.

C’est Caporal qui alors fit diversion, en se mettant à pisser dru, dans un bruit de cataracte, avec un éclaboussement qui fit s’écarter le Boche. J’avais eu le temps de me ressaisir et d’aussitôt mettre en œuvre une tactique désormais bien rôdée. De l’air le plus niais qui fût, dans un sabir mêlant le français à des bribes d’allemand, avec une débauche de gestes désordonnés, j’expliquai que je m’en allais rapporter mes barriques, après les avoir nettoyées à cette rivière que j’avais aperçue peu avant.

Il y eut d’autres questions, auxquelles, bien sûr, j’étais affligé de ne rien comprendre, affolé, apeuré, et le gars, sur un haussement d’épaules finit par regagner son engin. La Providence, bonne fille, me laissait une chance. Il faut dire qu’on n’était alors qu’à l’automne 40, l’évasion n’était pas encore devenue un sport national, la vigilance du vainqueur était moindre.

Trois semaines plus tard, je me figeai, enfin, tout au haut de la colline que le cheval et moi venions de gravir, le long d’un interminable chemin de terre. Un chemin qui, curieusement, s’arrêtait là. La fatigue me quitta instantanément, tandis que l’émotion coupa ce qu’il me restait de souffle. Face à moi, de l’autre côté du val et jusqu’à l’horizon, la Suisse déroulait ses rondeurs molles piquées de hameaux paisibles. J’étais arrivé au bout de mon voyage !

Entre la liberté et moi, n’était plus, en contrebas, que la ligne sinueuse d’une double rangée de chevaux de frise. Mes derniers barbelés. Mais pas les moindres.

J’en scrutai les méandres. Sans apercevoir le moindre poste douanier. J’avais bien fait de quitter la route et de couper à travers champs. Encore que m’inquiétaient fort les boqueteaux isolés qui, par endroits, me cachaient la frontière. Abritant peut-être des postes de garde.

Le cœur me cognait dur. Au terme de mon long périple, après avoir surmonté cent fois le risque d’être repris, j’en étais à l’instant crucial. Là allait se jouer le succès ou l’échec de mon entreprise. Il y avait de quoi en éprouver quelque émoi.

Il faisait encore trop jour pour tenter de passer. J’attendrais le soir. Pour l’heure, il s’agissait de ne pas se faire remarquer et d’observer la ligne afin de repérer la fréquence d’éventuelles patrouilles. Je tirai donc Caporal vers l’arrière, le dételai, abandonnant la charrette hors de vue, laissant mon compagnon paître à sa guise.

Moi, à plat ventre, tapi dans les herbes, j’entamais ma longue surveillance.

De patrouille, je n’en vis aucune. Cependant, il me parut, à un moment, entrevoir un éclat de lumière à travers le feuillage d’un bosquet, comme un miroitement métallique. Une heure durant je m’arrachai les yeux à fixer l’endroit. Vainement.

Peu à peu me revint quelque confiance. J’avais peut-être, sans le savoir, choisi le bon coin.

Le jour lentement faiblissait, l’ombre gagnait…

– Mon vieux Caporal, c’est maintenant, va falloir qu’on se lance !

Je me suis levé, j’ai marché jusqu’à lui, posé mon front sur son chanfrein.

En lui caressant les joues et l’encolure, doucement je lui ai parlé :

– Tu vas devoir galoper, et sauter, tu crois que tu pourras ?

Déjà je ne distinguais plus vraiment son regard. Pourtant, à ses oreilles dressées, je le savais attentif, conscient de l’importance du moment.

C’était l’heure. Il fallait y aller. J’ai empoigné sa crinière et sauté sur son dos, retrouvant aussitôt les sensations du hussard à l’entraînement de monte à cru. Bien calé dans le creux de ses reins, genoux et mollets au contact, je l’ai mis au pas et nous avons commencé la descente. Je le sentais tendu, répondant nerveusement à mes sollicitations. Quand il a eu pris la mesure de la pente, je l’ai passé au petit trot, en continuant de lui parler, pour le tranquilliser, l’encourager. Puis j’ai forcé l’allure. Dans le soir tombant, je scrutai la ligne sombre montant vers nous. Elle m’apparaissait maintenant plus large. Plus dangereuse.

– Halt ! Halt ! Halt !

Une ombre venait de surgir de sous les arbres les plus proches. Je perçus nettement le fusil, que déjà le soldat pointait vers nous.

Je hurlai : – Au galop, Caporal ! Au galop !

Fouaillé par mes coups de talon, par mes cris, le cheval a bondi, se lançant dans une galopade forcenée. Accroché à sa crinière, j’appuyai son effort, épousant le lourd roulement de son corps, le poussant de la voix et des jambes. Le soldat a vu le cheval débouler droit sur lui. Il a tiré sans prendre le temps de viser. La balle a sifflé très au-dessus de ma tête. Presque aussitôt un autre Boche est accouru, braquant aussitôt son fusil, tirant à son tour, de loin. Caporal a tressailli, touché sans doute, accélérant pourtant son galop, en soufflant.

La barrière était devant nous, noire, trapue, imposante.

– Saute, Caporal, vas-y saute !

Face à l’obstacle, le cheval s’est ramassé sur l’arrière, détendu de toute sa force, arraché violemment en lançant le col, passant le premier rang de barbelés. Le second était trop écarté, un saut n’y suffirait pas, mais trop près cependant pour permettre à Caporal de se recevoir et de bondir encore. Les antérieurs ont accroché, la pauvre bête, déséquilibrée, est tombée en plein travers des rouleaux acérés, avec un long hennissement effrayé.

Projeté en avant, j’atterris brutalement dans l’herbe. De l’autre côté.

Dans la pénombre, d’un seul coup d’œil, j’entrevis Caporal, couché sur les barbelés, s’efforçant vainement de s’en dégager, avec des cris d’effroi, et derrière lui, à moins de dix mètres, un soldat qui me mettait en joue.

Je me suis relevé et j’ai détalé, affolé, en zigzaguant pour fuir la balle.

Il n’y a pas eu de détonation. Rien que les longs hennissements douloureux, insupportables. Alors je me suis arrêté, et retourné.

Le soldat avait baissé son fusil. Peut-être sur l’ordre de l’autre. J’étais en Suisse. Intouchable.

Caporal se débattait toujours, ne faisant que s’empêtrer dans les fils de fer, s’y déchirant davantage. J’aurais voulu courir vers lui, prendre sa tête dans mes bras, lui parler, l’aider.

Un des trouffions a levé son fusil, a visé le crâne de l’animal, et tiré.

Sa tête est retombée lourdement sur la barrière.

L’écho du coup de feu s’est prolongé dans la vallée. J’ai regardé le grand corps étendu, larmes aux yeux, le cœur défait. Les deux Chleus me lorgnaient, je ne distinguais plus leurs visages.

Je suis parti, m’enfonçant dans l’ombre. Mes jambes étaient de plomb. Et mon âme était morte… »

Là s’achevait le récit de Camille. Un peu plus bas, il avait rajouté quelques lignes, après coup, d’une encre différente.

« À mon retour, j’ai épousé Suzanne et repris la ferme de son père. J’ai voulu un cheval plus jeune, j’ai choisi un percheron noir, et je l’ai appelé Caporal.

Voilà, j’ai répondu à ta question. »

 

René Bruneau

 

 

 

 

 

 


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