Trump : l’arme de guerre des droits de douane
On commence à deviner la façon de procéder de Trump, avec Moscou, face à l’Europe, en Afrique et contre la Chine

Un accord humiliant pour l’Ukraine ?
Ce pourrait être une fiction, mais ce n’en est pas une. Trump reprend bel et bien, à propos de l’Ukraine, la rhétorique de Poutine et ses arguments mensongers. Il se peut qu’en faisant ainsi ami-ami avec le dictateur russe, il obtienne sa neutralisation momentanée en forçant le président ukrainien à une paix humiliante, consacrant l’abandon des territoires occupés par les Russes. Au passage, il obtiendrait la signature d’un accord sur les minerais dans l’espoir de récupérer les « 500 milliards » qu’aurait coûtés, selon lui, à l’Amérique, l’aide à l’Ukraine.
Tant que l’Europe, dont la France, se contentera de moulinets verbaux aux accents guerriers sans construire une véritable Europe de la Défense avec les pays décidés à le faire (après tout, on a bien fait l’euro avec un nombre réduit de pays), les choses en resteront là. Mais la peur d’être abandonnés par Trump et l’armée américaine est aujourd’hui si forte qu’elle paralyse tous les pays européens. Ces derniers se contentent d’afficher des montants financiers colossaux pour se réarmer, sans que l’on sache encore de quoi sera fait ce réarmement.
Vassaliser l’Europe, neutraliser la Russie ?
L’augmentation des droits de douane imaginée par Trump procède de cette même stratégie visant à accroître le plus possible la dépendance vis-à-vis des États-Unis, cette fois sur le plan commercial. En effet, un grand nombre de marchés européens dépendent du marché américain, à commencer par l’industrie automobile, et pas seulement le cognac, les vins ou les parfums français.
Politiquement, militairement ou commercialement, Trump, plus rationnel qu’on ne le croit parfois, a un objectif clair : vassaliser l’Europe, neutraliser autant que possible la Russie pour se consacrer à ce qu’il considère vraisemblablement comme la mère des batailles : s’attaquer à la Chine. Là, on pourrait rapidement ne pas être non plus dans la fiction. En réalité, Trump n’a pas peur de la Russie, qu’il sait plutôt pauvre, affaiblie à la fois par la guerre en Ukraine et par les sanctions économiques.
À bien des égards, Poutine et lui se ressemblent par leur mode d’usage du pouvoir, leur mépris pour la démocratie, et plus encore leur appât du gain, leur sens aigu d’un « business » sans morale. La Chine, qui lui fait face de l’autre côté du Pacifique, c’est autre chose. C’est avec elle que la vraie compétition va avoir lieu.
L’enjeu africain
Il peut en effet y avoir une tension renforcée en Asie, vers la mer de Chine et autour de Taïwan ou de la Corée. Mais une fois l’Europe et la Russie neutralisées pour un moment, le champ de bataille de Trump s’ouvrira directement vers l’Asie, naturellement, mais aussi vers l’Afrique, le seul continent (si l’on excepte l’Océanie) en apparence encore à l’écart des conflits du Nord. Ce que va y faire, ou non, Trump sera très éclairant.
Dans une chronique relativement récente, on avait déjà soulevé la question de savoir si un deuxième mandat de Trump représentait une menace pour l’Afrique. On avait alors noté trois dangers principaux :
- La poursuite, par Trump et ses proches, d’un mépris teinté de racisme pour des pays incapables de rembourser leurs dettes.
- La fin possible du traité de libre-échange entre l’Afrique et les États-Unis (AGOA).
- La suspension, voire l’arrêt, de tous les crédits américains susceptibles d’aider les pays en développement à affronter le changement climatique, conformément aux accords signés lors des COP depuis l’Accord de Paris.
Quelques semaines après l’installation de Trump au pouvoir, un premier test est intéressant : celui des droits de douane. Au moment même où Trump annonçait à grands renforts de déclarations qu’il allait taxer tous les pays développés ou presque, les Africains exportateurs de matières premières – minerais notamment, comme le cuivre, la bauxite ou différents matériaux stratégiques – n’avaient qu’une crainte : qu’il en soit de même pour eux.
On peut observer que ce n’est pas encore le cas. Peut-être en sera-t-il autrement plus tard, mais on peut aussi faire l’hypothèse que, tout à son obsession de la Chine, Trump écrira un autre scénario. Car c’est aussi en Afrique que se déroule aujourd’hui la guerre froide.
Tout ce qui peut-être rentable…
Un tout autre scénario que celui redouté jusqu’ici pourrait voir le jour. Les États-Unis pourraient, presque paradoxalement, reprendre pied en Afrique pour y perturber les intérêts chinois, retrouver un certain leadership par des soutiens financiers à des opérations susceptibles d’être rentables et leur permettant de peser à nouveau sur une scène en partie désertée.
L’AGOA pourrait ne pas s’arrêter si vite, voire prendre un nouvel élan. On se souvient en effet que d’importants milieux d’affaires américains faisaient pression sur la Maison-Blanche pour que la liste des produits bénéficiant de l’AGOA, jusqu’ici limitée en grande partie aux textiles, soit étendue aux minerais. Trump a l’oreille de ces milieux-là, et réciproquement. Il pourrait donc entendre ces voix.
Un deal à la Trump
Il pourrait ainsi, profitant de sa nouvelle « amitié » avec le Kremlin, encore bien occupé en Europe, s’ouvrir de nouveaux contacts vers des régimes africains tout aussi peu soucieux de morale et de loyauté que lui. Comme on l’a déjà suggéré ailleurs, l’origine sud-africaine d’Elon Musk ne serait peut-être pas étrangère à tout cela, notamment si l’on se souvient que l’Afrique du Sud est l’un des pays qui bénéficient le plus de l’AGOA.
Il est de même probable que les États-Unis ne vont pas abandonner les grands projets structurants, comme le corridor ferroviaire de Lobito en Afrique australe. Ce qui serait logique dans la perspective d’une guerre économique et commerciale sur les minerais africains.
Enfin, rien n’interdit d’imaginer que Trump pousse jusqu’au bout le paradoxe, non parce qu’il aurait modifié son climato-scepticisme, mais par pur sens des affaires, en comprenant son intérêt à aider les pays africains en développement à s’adapter au changement climatique. La force d’un « deal » au sens trumpien est de pouvoir s’adapter à toutes circonstances, pourvu qu’il soit profitable à son initiateur.
Une guerre économique contre la Chine
Pendant ce temps, la Chine, si discrète ces derniers mois à propos des grands conflits en Ukraine comme au Moyen-Orient, poursuit son entreprise africaine. On la dit en crise, minée par sa « bulle immobilière », mais ces péripéties internes ne l’empêchent pas d’afficher des perspectives de croissance qui feraient rêver n’importe quel pays occidental, même les États-Unis.
Un article récent de Jeune Afrique (du 3 mars 2025) fait ainsi état des exactions commises par des ressortissants chinois exploitant le pétrole nigérien vis-à-vis des populations locales habitant le long de l’immense oléoduc qui dessert les champs pétroliers. Avec de tels excès, qui s’ajoutent à ceux commis par les djihadistes, le Niger, sous la férule de sa junte militaire, est passé d’une domination à une autre.
Une porte d’entrée vers la guerre
Mais l’essentiel est ici de voir la façon dont Trump va déclarer la guerre – commerciale et financière au moins – à la Chine. Les droits de douane font évidemment partie de l’arsenal prévisible. Mais ils ne constituent qu’une première offensive, qui devrait être suivie de beaucoup d’autres.
Quelle part y prendra l’Afrique ? Tous les scénarios sont possibles, les droits de douane n’étant qu’une porte d’entrée dans une stratégie guerrière.
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