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Drôle de métier : Tyson ou la chasse au Dahu.

Edito publié le 21/12/2019 | par benoit Heimermann

Il y a entre la chasse au dahu et la course au scoop un certain nombre de similitudes. Une tombe sous le sens : dans l’un comme dans l’autre cas, le préposé à traque prend le risque, à un moment ou à autre, de devenir le dindon de la farce. Le gibier convoité cette fois là pesait son comptant de notoriété et de dollars. Au mitant des année 1990, Mike Tyson, devenu le boxeur le plus redouté de la planète dix ans plus tôt, en imposait encore. Espérer échanger avec lui, lui soutirer quelques confidences relevait (forcément) du parcours du combattant. Croisé au Festival de Cannes, James Toback qui venait de réaliser un documentaire sur sa lente descente aux enfers consentit à me mettre en relation avec son agent ou l’un de ses agents tant ce statut, à son propos, semblait hasardeux.

Un rendez-vous fut fixé un jour de janvier à New York. La veille, pas encore descendu de l’avion, une assistante ou supposée telle m’indiqua que la rencontre n’aurait pas lieu le lendemain mais le jour même à 19 heures au Waldorf Astoria. Au moment et à l’endroit dit une deuxième assistante m’informa de l’ajournement supplémentaire de l’entretien espéré, non pas au jour suivant, non pas même à New York, mais quatre milles kilomètres plus à l’ouest, à Los Angeles, où Tyson s’était rendu entre temps pour enterrer un proche.

Trois avions et quinze heures plus tard, un nouveau point de chute m’est suggéré : le Millenium Baltimore à 9 heures du matin. Cette fois, c’est l’agent en personne qui est de faction pour m’annoncer que son client est, malheureusement, « too high », sous l’effet de trop de substances illicites, pour être capable de répondre à ma demande. On me préviendra dès qu’il aura retrouvé ses esprits. Un jour, deux jours, quatre jours : la chasse au dahu impose derechef son rythme et ses angoisses.

Le journal s’impatiente et plus encore le préposé à l’intendance. Un samedi matin, une (autre) assistante m’invite à me rendre à l’aéroport de Burbank où l’agent, grande âme, consent à couvrir mon titre de transport pour Las Vegas (« votre patience mérite bien ça »). Là, il a réservé une suite au Bellagio où Tyson est supposé nous rejoindre d’une minute à l’autre. Cinq heures plus tard encore rien, toujours rien. Si ! Un message de la réception : le dahu ne viendra pas, mais juré, craché, il nous attend à la périphérie de la ville, au cœur du désert et d’un condominium sans âme.

Mike est bel et bien là, affalé dans un canapé, lucide et décidé. Il s’excuse. La conversation roule, le courant passe. Dehors, Exodus, sa fille de quatre ans, s’amuse sur un portique de jeu en plastique. Fin de la traque. Fin des tourments. Le dahu a (enfin) rendu les armes. Un mois encore et une dépêche d’agence bouleverse la donne. En trois phrases, l’ « urgent » annonce que la petite Exodus Tyson est morte accidentellement à Las Vegas, dans le jardin d’une villa louée par son père, en chutant d’une balançoire en plastique.

Et, dans l’instant, on convient du futile de la chasse et du dérisoire de tout ce qui précède.


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