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Iran. Drôle de métier: Téhéran 1979 : « Allah ! Allah ! » vs « Alain ! Alain ! ».

publié le 16/12/2019 par Alain Louyot

1er février 1979. Depuis plusieurs mois je suis à Téhéran où je « couvre », comme envoyé spécial du magazine « Le Point », la révolution islamique à l’assaut de 2500 années de monarchie.

L’ayatollah Khomeiny est, depuis une centaine de jours, l’hôte encombrant de la France, à Neauphle-le -Château, d’où il envoie ses cassettes vengeresses afin de porter l’estocade au régime vacillant du Shah.

Internet n’existe évidemment pas encore et les prônes enflammés de l’Imam sont aussitôt diffusés, entre deux « Allah ô Akhbar ! », par les hauts parleurs placés au sommet des minarets de toutes les mosquées d’Iran.

Ayant méthodiquement attisé, à distance, la haine de ses ouailles, et leur avoir fait miroiter des lendemains qui chantent avec la promesse de l’instauration prochaine d’une « démocratie islamique « , l’inflexible enturbanné estime que l’heure est venue, après quatorze ans d’exil, de revenir au pays pour constater l’effet produit par ses diatribes sur les masses. Il est à peu près sûr d’y être accueilli comme le Sauveur d’autant que, chaque soir, nombre de ses compatriotes hallucinés montent sur les toits, convaincus d’apercevoir les traits de leur Imam vénéré dans… la lune.

 

Air France affrète, pour ce retour qui s’annonce triomphal, un Boeing 747. Afin de permettre à ses lecteurs de ne rien rater de cet événement qui, évidemment, va faire l’objet d’une énième « coverstory » sur l’Iran, » Le Point » décide de mettre à bord du long courrier ayatollesque mon confrère et ami Jérôme Marchand.

On ne sait jamais si l’avion était détourné ! Avec Jérôme, nous convenons donc de nous donner rendez-vous tout simplement à l’aéroport de Téhéran d’où je l’emmènerai à mon hôtel pour que nous y écrivions, à quatre mains, notre papier de 40.000 signes. Le seul petit problème pour se retrouver c’est qu’au pied de la passerelle de l’aéroport plusieurs millions d’Iraniens surexcités se sont aussi donnés rendez- vous ce jour-là pour accueillir le Guide de la Révolution.

 

Balloté, écrasé, noyé au milieu de la marée humaine en délire, je me rends compte très vite de l’absurdité de ce lieu de rendez-vous. Sans portable -les téléphones mobiles, eux aussi, n’existent pas encore- je parviens cependant à apercevoir au milieu d’une dizaine d’enturbannés, le crâne chauve de l’ami Jérôme qui descend les marches de la passerelle. Je tente alors, bêtement, de l’appeler en hurlant désespérément : « Jérôme ! Jérôme !  » .

Ce cri insolite fait vraiment désordre. Car, autour de moi, toute la foule déchaînée hurle « Droud bar Khomeiny ! » (Vive Khomeiny !) et « Marg bar Shah! » (Mort au Shah !) . Mes voisins immédiats, contre lesquels je pense mourir bientôt étouffé, me lancent des regards effarés voire assassins. L’un d’eux vocifère à mon encontre : « Yankee go home ! » Peut-être pensent-ils que l’Occidental, éminemment suspect que je suis avec mes cheveux blonds, profère des insultes à leur Imam. Même situation absurde pour le confrère Jérôme qui, à la sortie de l’avion, hurle en direction du raz de marée fanatisé : « Alain ! Alain ! » tandis que de toutes parts fusent les « Allah ! Allah !  » incantatoires…

 

Pourtant le miracle journalistique advient quelques heures plus tard au cimetière de Behecht Zahra, dans la banlieue de Téhéran. Khomeiny, au terme de sa chevauchée fantastique, escorté depuis l’aéroport par des centaines de milliers de voitures, camions, autobus, motos ou vélos, atterrit dans la nécropole chiite pour rendre hommage aux « martyrs » de la révolution islamique.

Portés par une même vague déferlante de la noire tempête de tchadors et de barbus en transe, Jérôme et moi, finissons par nous retrouver, nez à nez, entre deux tombes fleuries de roses d’Ispahan. Enfin réunis, les deux envoyés spéciaux au pays des mollahs ont même l’insigne privilège de voir, ensemble, l’inflexible Imam perdre son turban sous un coup de vent sacrilège qui nous révèle -scoop- son crâne aussi chauve que celui de l’ami Jérôme !

 

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