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Drôle de métier: le dernier mort du Mur de Berlin.

Edito publié le 30/11/2019 | par Pierre Prier

Le mur de Berlin venait de tomber, le 9 du mois. Coup de téléphone de la rédaction. « Tu pourrais retrouver la famille du dernier Allemand de l’Est mort en tentant de franchir le mur ? Il l’a survolé en deltaplane et il s’est crashé ». Les indications sont minces : un nom, Müller, l’équivalent allemand de Dupond, et un village, situé près du rideau de fer, l’ancienne frontière entre les deux Allemagnes, donc dans un endroit jusque-là zone interdite aux étrangers. J’’applique la méthode « allons-y, on verra bien sur place » et saute dans mon Audi de location. À la nuit tombée, je me retrouve dans le village en question. Sauf que ce n’est pas un village, mais une petite ville. Je suis là, debout au milieu de la place centrale, en train de me dire que je vais renter bredouille à Berlin.

C’est à ce moment-là que m’aborde un petit monsieur d’un certain âge, coiffé d’un petit chapeau : « Jeune homme, j’ai oublié mes lunettes. Pouvez-vous me lire la liste des courses que ma femme m’a donnée ? » Il faut vraiment qu’il ait la vue basse pour me prendre pour un local. Je lis le papier rapidement : « vous devez acheter un litre de Schnaps, un paquet de pâtes, des saucisses, du pain et des cornichons ». J’ajoute dans la foulée : « Par ailleurs je suis un journaliste français, et je cherche la famille dont un membre est mort en survolant le mur ».

Le petit bonhomme me répond : « je suis le notaire de la ville, je les connais bien. Ils n’habitent pas ici mais dans un hameau ;à l’extérieur. Je vais vous emmener chez eux ».

Les anges gardiens peuvent prendre toutes les apparences. Par exemple celle d’un petit monsieur à chapeau, myope et presbyte. « Avant d’aller chez mes amis, vous allez m’accompagner dans mes courses ». À chaque boutique, l’ange clame : « Nous avons un Français chez nous ! » Des mains se tendent on me demande d’où je viens, comment je suis arrivé là…puis en route vers les Müller, une maison simple dans un village fleuri, où je suis invité à partager en famille l’Abendbrot, le dîner de sandwiches que l’on prend vers sept heures du soir, par le frère du dernier mort du mur.

Je découvre que les « Müller » s’appellent en réalité Freudenberg. Sans mon ange gardien, aucune chance de les trouver. J’apprends aussi que le deltaplane était en réalité un ballon gonflé au gaz, un gros ballon de dix mètres de diamètre, bricolé par Winfried. Jeune ingénieur de 32 ans, il s’était fait embaucher dans une usine où il pouvait trouver du gaz naturel. Il s’était élancé d’un toit, à cheval sur un morceau de bois accroché à son ballon. Les policiers n’avaient pas tiré, craignant une explosion. Il avait réussi à passer à l’ouest, mais il n’arrivait pas à perdre de l’altitude, et il avait été ballotté dans les airs pendant plusieurs heures. Puis le ballon s’était dégonflé brutalement et Winfried s’était écrasé dans le quartier de Zehlendorf. Du côté de la liberté.

Quelques mois… avant la chute du mur.


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