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« Drôle de métier » : Voyage au pays de la drogue.

publié le 28/12/2021 | par grands-reporters

Quand Jean Botella, reporter à Capital, découvre l’Asie, la drogue, ses sombres, règles …

Ce jour-là, le père Joseph Maier est pressé. «Soyez à l’heure!», a prévenu son secrétariat au téléphone. Je viens de débarquer de Paris dans la moiteur de Bangkok, avec une heure de retard. La valise à peine posée chez mon ami photographe Yvan Cohen, qui vit sur place, il nous faut nous dépêcher de plonger dans un taxi pour ne pas rater le rendez-vous.

Le journal m’a envoyé en Thaïlande pour enquêter sur le trafic des stupéfiants. Et le père Maier, qui sillonne les bas-fonds de la mégapole pour tenter d’aider les âmes à la dérive, est bien placé pour nous donner un aperçu de la situation. Dans le quartier aux rues défoncées de Klong Toey, le plus grand bidonville de la capitale, le chauffeur du taxi hésite à plusieurs reprises avant de trouver les bureaux du prêtre.

Je regarde ma montre. Enfin, voilà notre homme! C’était prévisible, il n’a plus que quelques minutes à nous accorder. Bien trop peu pour raconter la misère, la maladie et la mort que depuis trente ans, cet américain aux joues rondes et au crâne dégarni côtoie «au pays du sourire» comme disent les cartes postales.

Dans le centre qu’il dirige, la «human development foundation», il accueille des malades du sida, des enfants dealers qui essaient d’échapper à l’emprise des trafiquants, des gosses des rues qui trouvent là une structure pour les scolariser… «Je dois absolument partir au Temple, venez-donc, nous poursuivrons notre discussion», finit par lancer Maier après nous avoir jaugé…

La voiture du père a quitté le quartier pourri où siège sa fondation. Nous arrivons au temple bouddhiste, but de notre court périple. Sous une galerie remplie de colliers de fleurs jaunes où brûlent de longs batons d’encens, trois pauvres caisses de bois sont alignées. L’une, de petite taille, renferme à l’évidence le corps d’un enfant.

«C’est un gamin du centre, décédé ce matin du sida, explique le prêtre. Il fallait que j’assiste à la crémation.» La famille arrive. Il y a la mère, porteuse du virus HIV et qui probablement n’en a plus pour longtemps. Elle est entourée de quelques femmes, des travailleurs sociaux. Le mari, lui, est déjà mort.

«Il se droguait au ya ba, passait ses nuits dans les bordels, sans se protéger», poursuit Maier. C’est comme ça qu’il a contracté la maladie et contaminé sa femme, laquelle a donné naissance à un enfant séropositif. Ici, de plus en plus de cas de sida sont liés à la frénésie de sexe qui saisit les consommateurs de ya ba, une puissante drogue de synthèse qui en l’espace de trois ou quatre ans, est devenu le stupéfiant le plus consommé en Thaïlande.

Au départ, seuls les routiers et les pêcheurs de crevettes s’envoyaient régulièrement leur dose pour travailler plus dur. Mais avec le boom économique des années 90, les cadres s’y sont mis, eux aussi, puis les jeunes, qui en ont fait un produit festif. Aujourd’hui, le ya ba est partout…

Quatre bonzes vêtus de toges safran se sont installés en tailleur devant le cercueil de l’enfant pour se lancer dans une étrange mélopée. Les rites de purification accomplis, le corps est hissé sur une plateforme couverte d’un dôme doré, où l’on accède par un large escalier. Au fond de cet espace circulaire trône un four crématoire moderne de couleur verte, incongru dans ce décor d’un autre temps.

A quelques mètres du petit groupe venu accompagner l’enfant pour son dernier voyage, la vie suit son cours. Un petit garçon déguisé d’un gilet de sauvetage orange trop grand pour lui joue avec un chien. Deux femmes discutent à voix haute et rient de leurs plaisanteries. Un type est assis à l’ombre et croque une pomme.

«Des gamins qui meurent, victimes indirectes de la drogue, il y en a tous les jours, soupire le prêtre, c’est ce que je voulais vous montrer. Et n’oubliez pas : malgré tout ce qui est dit, personne ne cherche vraiment à arrêter le trafic.»

Sacrée entrée en matière, elle me marquera à jamais.


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