Drôle de métier! « Guerre du Golfe : question de taille »
Des histoires de reporter qu’on adore se raconter entre nous mais qu’on ne publie jamais. Ratages, bourdes, coup de veine ou de malchance, situations ridicules voire grotesques, reporters désespérés, perdus, ou sauvés in-extrémis. Oups! Chef, j’ai glissé… Allez, on vous dit tout!
Le grand reporter part à la guerre . Son patron lui souhaite bonne chance. Poignée de main virile, émotion réelle mais dominée. Scène émouvante et obligatoire pour film sur le journalisme de guerre. Je me fais ce petit cinéma dans la tête en apprenant que le directeur de France-Soir veut me voir avant mon départ pour l’Arabie saoudite. Certes, l’homme est l’un de ces pâles apparatchiks de la presse, carriéristes sans relief placés là pour « tenir » les rédactions et veiller à la dépense. Mais les circonstances sont exceptionnelles.
Nous sommes en janvier 1991. On attend pour bientôt l’offensive terrestre de l’opération Desert storm, la Tempête du désert. Les armées de la coalition dominée par les Etats-Unis sont sur le point de chasser du Koweït les troupes de Saddam Hussein, le dictateur irakien qui a envahi l’émirat en août de l’année précédente.
Je suis chargé d’aller relever l’envoyé spécial du journal, qui souhaite rentrer. La perspective de couvrir cette guerre est enthousiasmante, malgré les risques. L’armée française, partie prenante du conflit, a envoyé un message aux rédactions pour conseiller vivement aux reporters de se munir d’un masque et d’une combinaison NBC – Nucléaire, Bactériologique et Chimique – très ajustée, hermétique, indispensable notamment contre les gaz de combat. Mon prédécesseur en avait d’ailleurs emporté une, mais il mesure… dix centimètres de moins que moi.
Un autre journaliste de France-Soir étant parti avec les forces françaises, je dois aller du côté américain. J’ai prévu d’enfreindre les consignes de l’armée US, qui interdit le terrain aux reporters qui ne sont pas intégrés dans ses troupes dans des « pools » dont les articles seront transmis à l’arrière par l’armée américaine, seront libres de droit et pourront être reproduit par n’importe quel média dans le monde. Le directeur du journal a décidé d’ignorer la règle. Les Américains ont prévenu : tout journaliste non accrédité surpris en zone de combat risque de se faire tirer dessus.
Prêt pour l’aventure, je pénètre dans le bureau directorial réconforté par l’idée que, dans les grands moments, l’homme se révèle derrière le chef bureaucrate.
Lequel voulait seulement me poser une question :
« Vous avez vraiment besoin d’une combinaison anti-chimique à votre taille ? C’est drôlement cher ! Vous ne pourriez pas prendre celle … de votre confrère ? ».
Épilogue : j’ai quand même obtenu une combinaison à ma taille. Saddam n’a pas utilisé les gaz. Et un hélicoptère américain qui faisait des ronds autour de ma voiture a finalement décidé de ne pas me tirer dessus.
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