« Drôle de métier ». Chute du Mur de Berlin, la nuit où j’ai failli dormir…
Des histoires de reporter qu’on adore se raconter entre nous mais qu’on ne publie jamais. Ratages, bourdes, coup de veine ou de malchance, situations ridicules voire grotesques, reporters désespérés, perdus, ou sauvés in-extrémis… Allez, on vous dit tout!
J’étais à Berlin la nuit où le mur est tombé, envoyé par France-Soir. À Berlin –Est, dans ce qui était encore la RDA. Cette extraordinaire nuit de la liberté, j’ai failli la passer sous la couette. Pour le restant de mes jours, on aurait dit : « mais si, tu sais, c’est celui qui a dormi la nuit du Mur ».
L’histoire commence par une suggestion d’un rédacteur en chef : « Va en Allemagne de l’Est et rapporte-nous des histoires ».
Ce 9 novembre, je débarque à l’aéroport de Tegel, à Berlin-Ouest. Direction l’un des deux points de passage réservés aux étrangers, celui de Friedrich Strasse, pour les piétons (l’autre était le fameux Checkpoint Charlie, surtout dédié aux véhicules).
Me voilà donc à la réception du Palast Hotel, où je rencontre un photographe français de l’AFP. J’allume la télé, par réflexe. Il est 19h45. J’ai posé mon sac à Berlin à la minute même où l’histoire va basculer. À l’écran, une conférence de presse de Günter Schabowski, un membre du Comité central du SED, le Parti Socialiste Unifié qui dirige le pays. Langue de bois au menu. Un type arrive et passe un papier à Schabowski, qui toujours sur le même ton monocorde dit un truc du genre « On me dit que les citoyens de RDA peuvent maintenant voyager à l’Ouest sans autorisation ». Des mains se lèvent : « Mais alors, ça veut dire que le mur ne sert plus à rien ? » L’apparatchik hausse les épaules.
Nous décidons d’aller voir les points de passage réservés aux citoyens de RDA. Nous interpellons de loin un Vopo, un policier de l’Est : « Vous savez, qu’on peut passe librement ? » De loin, l’ordre claque « sortez de la zone frontière ! »
Juste à ce moment arrive une Trabant, une de ces petites voitures à moteur deux- temps de la RDA. À bord de la pétrolette, des jeunes désabusés : « on a fait tous les points de passage, rien de nouveau ».
Il est environ 23h, mieux vaut dormir un peu avant des journées chargées. Par acquit de conscience j’allume la télé et je vois…des images de checkpoint Charlie. Des centaines d’Allemands de l’Est s’y étaient rassemblés, attirés par ce lieu emblématique. Nous faisons du Trabant-stop et découvrons un spectacle étonnant : là-bas, à l’ouest, derrière les chicanes et les guérites, on entend une rumeur et on devine dans la nuit une foule désordonnée, des bouteilles de champagne brandies au-dessus des têtes.
De notre côté, à l’Est, tout le monde attend sagement. En rang. Les habitudes de discipline ne changent pas en un jour. Dans la file, un slogan monte : « Wir kommen wieder ! » (Nous allons revenir! ). Au bout d’un moment, la porte s’ouvre. Un officier de police au physique massif commence à contrôler les passeports. Cette fois la foule fait pression, la file se défait. Et le gros Vopo escalade sa guérite. Il fait un large geste du bras qui veut dire « allez-y ».
Et la foule s’engouffre pour une nuit de folie. La nuit où j’ai failli dormir.