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Édito. « Vaccins : la religion de la catastrophe », par Jean-Paul Mari

Edito publié le 16/09/2021 | par Jean-Paul Mari

Et si nous, journalistes, responsables de médias, étions – en partie – cause de la résistance à la vaccination ? La question est tout sauf un effet de style à l’heure du bilan de plusieurs mois d’information sur la crise sanitaire.

Qu’est-ce que le grand public a vu, entendu à la radio et à la télévision ? De mauvaises nouvelles ? Oui, bien sûr. On ne va pas feindre de découvrir aujourd’hui que « l’information » est faite surtout de mauvaises nouvelles.

Quand deux amis se rencontrent, à la question rituelle « comment ça va ? », la réponse «  très bien » clôt la discussion alors que l’annonce d’une difficulté majeure, la maladie ou la mort engage les deux interlocuteurs dans un long échange. « L’information » ne déroge pas à la règle.

Reste le choix de l’information donnée. Et surtout la place qu’il faut lui consacrer.

Pendant des mois, cent fois par jour sur les médias d’information continue, qu’avons-nous entendu ? Des nouvelles positives sur l’efficacité du vaccin, oui, certes, mais surtout…un pilonnage intensif sur les effets secondaires – possibles – des différents vaccins. Avec peu d’informations mais des questions sans fin. Effets secondaires, cas limités de thrombose, de myocardite ici ou là et immédiatement s’est installé le doute – légitime quand il est raisonnable – et un déluge de suspicion, de méfiance, jusqu’à la paranoïa. On a matraqué « l’info » sur les plateaux, mis les médecins et les scientifiques au supplice : « Et si ? » « Et si ? » « Et dans ce cas ? » « Imaginons que… »

Des kilomètres d’hypothèses et d’interrogations en rond. Reprises, amplifiées, déformées, cuisinées sur le chaudron des réseaux sociaux et empoisonnées par les délires complotistes. Si vous interrogez un médecin sur les effets secondaires d’un médicament, il vous répondra bien sûr. La notice pharmaceutique de votre boîte d’aspirine contient une pleine page d’effets secondaires. Est-ce à dire qu’en cas de mal de tête, on doive consacrer l’essentiel du débat sur les effets secondaires de l’aspirine ?

Quand les premiers rapports ont indiqué que l’on comptait 200 cas de possibles effets secondaires sérieux sur 200 000 vaccinations, on s’est rué sur l’info, ou plutôt le détail de l’info, pas l’efficacité du vaccin mais ses effets secondaires. Consacrez une seconde par cas de vaccinés. Deux cent mille vaccinations, 200 000, cela donne 3333 minutes, près de 56 heures, un peu plus de deux jours entiers, 2,3 exactement, de débat continu. Et 200 cas d’effets secondaires, soit 200 secondes, représentent à peine l’équivalent de … 3 minutes 20 secondes. Pendant combien d’heures, de jours, a-t-on au contraire disséqué à l’envi les effets possibles des vaccins sur les antennes ? Assez en tous cas pour instiller une profonde méfiance au sein de la population.

Là-dessus, le gouvernement, mis sous pression, suspend l’Asta Zeneca pour vérification pendant…trois jours. Il veut rassurer, il inquiète. Résultat : pour le public, le doute devient certitude. Vaccin = danger.

Dans les manifestations, on défile aux cris de « Liberté ! » et des infirmières, des soignants d’Ehpad expliquent sans ciller qu’ils refusent le vaccin – pourtant efficace – et acceptent donc de contaminer, voire de tuer, les personnes qu’elles sont censées soigner. Et quand Serge Rader, pharmacien connu, conseiller médical de Dupont Aignan et figure de proue du mouvement des antivax, meurt des suites du Covid qu’il a contracté, cela fait une brève vite oubliée.

Aux Antilles, une manifestante s’affirme prête à « sortir le coutelas » pour refuser le vaccin et le résultat, catastrophique, ressemble plutôt à un auto-égorgement, avec des hôpitaux submergés et une saison touristique, économiquement essentielle, sinistrée. Aidée en cela par le travail souterrain, mais efficace des évangéliques protestants ici, des islamistes ou des ultra-orthodoxes ailleurs. Belle victoire de l’obscurantisme! Et toute une société parcourue par le frisson d’un délire quasi collectif.

Ne donnons pas de leçon. Nous aussi, journalistes, pratiquons notre religion, celle de la catastrophe. Au risque, parfois, d’aider à la provoquer


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