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Frédéric Adnet. Fermeture des lits hospitaliers : une catastrophe logique et annoncée…

Edito publié le 02/11/2021 | par Frédéric Adnet

Le journal du Covid du Professeur Frédéric Adnet

Aujourd’hui, je suis posté à l’Unité Hospitalière de Très Courte Durée (UHTCD), unité «  tampon » entre le service des urgences et les services de l’aval hospitalier.

Cette unité regroupe les patients à hospitaliser et qui ont été vus aux urgences pendant la nuit. Comme chaque matin, je cherche à hospitaliser mes 12 patients de l’unité et les 8 autres qui stagnent dans les couloir des urgences faute de place… Je regarde machinalement l’état des lits dans mon hôpital rédigé par notre cellule « bed management » et là, surprise…cinq lits disponibles et 76 lits de fermés pour un hôpital de moins de 500 lits par manque de personnel , ce qu’on appelle « PNM ».

Quelle maltraitance !

« PNM » est un vilain acronyme  regroupant les personnels aux fonctions de soignants :  infirmiers, aides-soignants, agents hospitaliers. Ce sigle, «Personnel Non Médical », dévalorisant, symbolise le mal-être des soignants, fuyant massivement cet hôpital public, du jamais vu en trente ans de  carrière. « Personnel Non Médical », tout le mépris et l’indélicatesse de nos tutelles est contenu dans ce terme. Comment valoriser une profession en la nommant une formule négative: celle de ne pas être médecin ! 

Comment en est-on arrivé là ?

Deux autres acronymes, encore!  -T2A (Tarification à l’Activité) et Loi HPST (Hôpital, Patients, Santé et Territoires) sont, eux, synonymes d’une gouvernance guidée par la fameuse « efficience hospitalière », méthode qui n’a, finalement, pas d’autre but que de fermer des hôpitaux et des lits, en maltraitant le personnel.

Cette gouvernance impose une gestion d‘entreprise dite « comptable » des hôpitaux en tentant de trouver une équilibre entre «recettes » et « dépenses ». Il faut bien se rendre compte que les recettes sont générées par l’assurance maladie (environ 70%) et les dépenses principalement liées a la masse salariale (là aussi environ 70%).

Les recettes, c’est- à dire le déficit de l’assurance maladie, régulée par une enveloppe rigide édictée par l’Ondam. Elles ne sont donc pas extensibles.Toute  augmentation entraine donc  une révision de la tarification à la baisse pour remettre les comptes public en ordre… Un peu comme si on en vendait la même quantité de Coca-Cola, mais… avec un prix de vente de plus en plus bas.

Le résultat se traduit par une sorte de compétition inter-établissements de santé, course mortifère aboutissant à la fermeture des hôpitaux les plus déficitaires.

Il s’agit d’identifier le maillon faible qui sera la future cible d’une fermeture. Ou, mieux, de développer une politique de fermeture programmée d’hôpitaux en investissant dans un nouvel établissement. Bien sûr, ce nouvel établissement comportera … moins de lits que tous ceux qui ont été fermés en son nom .

Pour résumer,  les fameux « plans annuels d’efficience hospitaliers  » n’aboutissent qu’à une dégradation des conditions de travail. Et un seul infirmier devra toujours au final gérer un nombre croissant de lits et de malades.Autre trouvaille: la « polyvalence des soignants »,  en clair, des soignants brinquebalés de service en service pour combler les «trous », au mépris des spécialités médicales. Et au détriment de la qualité des soignants .

Il y a eu bien sûr le Ségur, mais la revalorisation salariale des soignants n’a été que le verre à demi vide, puisqu’il ne s’agissait, en fin de compte, que d’un simple rattrapage des salaires afin qu’ils s’inscrivent dans la moyenne basse des salaires de l’OCDE.

Au final, les agents – démotivés, méprisés, avec des conditions de travail toujours  à la baisse – se sentent traités comme de simple pions dans une machine complétement déshumanisée.

Cette mort programmée par la réalisation des plans d’efficience successifs s’est transformée rapidement en un véritable effondrement dès l’apparition d’une crise sanitaire non programmée.  Alors, oui, la COVID-19 a été ce point de rupture. Avec, comme conséquence la démission, à tous les niveaux, des personnels.

En terme de santé publique, les conséquences restent encore à évaluer. Les malades, eux, semblent se résigner, et c’est consternant à être mal soignés. Face à un standard hospitalier qui ne répond pratiquement jamais, des délais de rendez-vousincroyablement longs, des déprogrammations arbitraires, un retard chronique à la prise en charge de la maladie, et la fermeture de service d’urgences spécialisées.

Vous avez dit urgence?


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