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Gaza. Hamas: la somme de toutes les haines

Edito publié le 19/10/2023 | par Jean-Paul Mari

L’attaque du Hamas et son déchainement de haine et de violence a amalgamé toutes les formes du terrorisme contemporain.

Il nous en a fallu du temps, au-delà de la condamnation immédiate,  pour réaliser l’envergure et l’horreur qui a frappé Israël le 7 octobre. Beaucoup de temps. Pourquoi ? Bien sûr les découvertes des résultats de l’attaque du Hamas ont été révélées progressivement. Et l’ampleur des violences dont le recensement, même pour un état organisé, a pris plusieurs jours. Le tout mêlé dans l’actualité en cours, réactions, bombardement de Gaza, préparation de l’offensive… Oui, évidemment. Mais il y a plus.

Camp militaire israélien.près de la frontière de Gaza dans le kibboutz Bar’am, en Israël –Photo Mostafa Alkharouf 

Dans la conscience du monde, et dans celle des Israéliens eux-mêmes, on achoppait sur la difficulté à qualifier l’horreur à la fois protéiforme et particulière qui s’étalait devant nos yeux. Le mot sauvagerie est pratique, mais vague et il restait insuffisant. Alors on balbutiait notre émotion, à chaque découverte macabre, notre stupeur à chaque chiffre impressionnant, notre trouble face à cette chose obscure venue d’ailleurs.

Oui, il nous en a fallu du temps pour comprendre que les tueurs du Hamas ont réalisé une synthèse historique des hécatombes de l’histoire contemporaine, et pas seulement des massacres des juifs. Comme s’ils avaient décliné un catalogue des horreurs, une synthèse concentrée, et longuement,  de la vengeance et de la haine.

Rave Party

D’abord cette Rave Party dans le désert. Une vallée, un terrain sableux, des champs, des forêts d’eucalyptus, à la fin de Soukkot, la fête des cabanes, près du Kibboutz de Réïm, à six kilomètres de la barrière qui la sépare. De là-bas, les jeunes Palestiniens ont vue sur ce territoire interdit, eux qui vivent sous le régime du Hamas, corps cachés et austérité. Deux mondes à bout touchant. Les fêtards, des jeunes, dansent jusqu’à l’aube, face à un Bouddha géant, symbole de paix et d’harmonie universelle.

Une jeune femme qui participait à la rave party s’enfuit pour échapper aux tireurs du Hamas, près de Reïm – (Tweeter)

Les tueurs du Hamas à moto surgissent de nulle part. Et ils ouvrent le feu au fusil automatique. Stupeur, incompréhension, fuite dans les bois. Les hommes en noir les pourchassent, avides de mort. Quelques heures plus tard, ne restent que des voitures calcinées sur le bas-côté et 260 corps dans le désert. Regardez cette jolie fille qui fuit, en tenue de soirée, short, cape rouge et bustier de soie noire. Aberrant.

Mais déjà vu. Loin du sable de Réïm, le 13 novembre 2015, dans les rues de Paris. Là aussi, la fête, un concert, et une jeunesse au café, en terrasse. Là aussi, le massacre, 130 morts dont 90 au Bataclan. Là encore, la boucherie pour punir l’autre, son bonheur de vivre. Façon Daech.

Prises d’otages

Militairement, elles ont toujours existé. Prises de guerre. Et jusqu’ici, le Hamas ne s’était attaqué qu’aux soldats de Tsahal qu’ils monnayaient, cher. Près de cinq ans de négociations et un millier de prisonniers islamistes relâchés pour la seule libération du soldat Shalit. Cette fois, les agresseurs ont raflé à l’aveugle. Combien ? Ils seraient 164, des hommes, des femmes, des vieillards, des enfants.

Tout est bon à prendre. Et à filmer. Un gamin de douze ans. Il pleure de peur. Et les autres gamins palestiniens autour de lui le moquent. Et Yaff Adar, 85 ans, elle qui n’a plus sa tête et lance de grands sourires aux brutes qui l’emmènent. Et le corps nu, désarticulé de cette jeune femme jetée à l’arrière d’un pick-up. Les combattants à l’arrière la piétinent de leurs bottes. Un ado crache sur elle au passage. Morte ou otage ? On ne sait pas.

L’attente et l’angoisse. Que le Hamas avive cruellement en utilisant les portables des otages pour envoyer des vidéos aux proches. Une fillette découvre ainsi sur son téléphone l’image de sa grand-mère exécutée. Un homme apprend en allumant son téléphone que sa femme et ses deux petites filles ont été kidnappées. Prise d’otages – pour se prémunir des bombardements à venir certes – mais prises d’otages de civils en masse. Et cruauté. Là aussi, le Hamas a franchi la limite.

Sabra et Chatila

On revoit les images de cauchemar de Sabra et Chatila. Quand nous, reporters pénétrons 48H plus tard dans ce camp de réfugiés palestiniens de Beyrouth attaqué par les milices chrétiennes de Élie Hobeika, l’odeur omniprésente de la mort serre la gorge. Civils rafalés, gorgés, hommes découpés vivants à la hache, femmes éventrées, violées, gosses immolés… C’est trop. Impossible à décrire. Même ce cheval encore debout, dressé, figé dans la mort. Le monde est horrifié. L’armée d’occupation de Tsahal est accusée d’avoir apporté une aide logistique. En Israël, 400 000 personnes, 8 % de la population, manifestent en demandant la vérité.

Quarante ans plus tard, c’est en Israël, dans le Kibboutz de Kfar Aza que les premiers soldats arrivés ont découvert un spectacle similaire. Une première pour Hamas. Le massacre de masse. Encore une ligne rouge de la barbarie franchie.

Pogroms

L’angoisse et la colère étreignent tout un peuple. La mémoire collective et imbibée des grands massacres des Juifs. L’Holocauste. Et aussi les grands pogroms qui ont marqué l’histoire des Juifs. Le premier aurait eu lieu dans l’antiquité, en l’an 38, par des tribus d’Alexandrie. Suit une liste interminable qui passe par la Russie de 1881, à Elisabethgrad, Kiev, Odessa, Varsovie (alors russe). « Un tiers de juifs seront convertis, un tiers émigrera, un tiers périra », écrira l’historien Gérard Nahon.

Pillages, viols, assassinats, expulsions accompagnent l’histoire jusqu’en 1919 – 6000 morts – , les 887 pogroms majeurs de la Russie révolutionnaire – 60 000 morts – jusqu’au pogrom annonciateur du pire, la Nuit de Cristal, où l’on brûle une centaine de synagogues. Et les pogroms continueront, encore et encore, même après la Deuxième Guerre mondiale. Mémoire ancienne, mémoire encore fraîche, mémoire à vif de la haine du Juif.

Et maintenant le Hamas qui, au début d’un nouveau siècle, se livre à un pogrom, le premier à l’intérieur même de l’état juif, pourtant fort et puissant, barricadé, mais vulnérable. Où aller ? Où se réfugier ? Que reste-t-il du sanctuaire d’Eretz Israël ? Très vite, l’angoisse collective cède la place à la rage. Il faut aller à Gaza, dans l’antre du mal, pour en finir une fois pour toutes. Quel que soit le prix à payer.

Pogroms, massacres aveugles d’une jeunesse festive, boucheries historiques, prises d’otages de masse, méthodes de terroristes, islamistes, cruauté et barbarie… les combattants fanatiques du Hamas, fous de haine, ont franchi toutes les limites et réussi à libérer, en une fois, un monstre à plusieurs têtes, une catharsis collective de l’horreur passée. Et on comprend mieux alors pourquoi il nous a fallu tant de temps pour prendre conscience de l’inimaginable.

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