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Amérique. Série: « La mort au courrier » (3)

publié le 24/08/2021 par Jean -Paul Dubois

L’Amérique, vue par l’écrivain Jean-Paul Dubois. Prix Goncourt.

Quand il ne peut vraiment pas faire autrement, il dépose lui-même ses bombes à domicile. Mais il préfère de beaucoup envoyer ses colis piégés par la poste. En seize ans, il a ainsi expédié, dans tous les coins des Etats-Unis, quinze machines infernales savamment usinées qui ont fait vingt-trois blessés et deux morts. Ses victimes sont des gens sans histoires, qui ont simplement en commun d’être professionnellement liés à des compagnies aériennes, des sociétés d’ordinateurs ou des universités. Depuis le 25 mai 1978, quarante agents du FBI travaillent sans relâche sur cette affaire. Malgré toutes ces années d’enquête, dont le coût s’élève à plusieurs millions de dollars, ils n’ont pas avancé d’un pouce. Tout au plus ont-ils établi un profil psychologique et un portrait-robot du maniaque qu’ils ont baptisé «Unabom» (university/airline/bomb). Depuis 1984, Unabom est «the most wanted man in America».

«C’est sans doute l’un des plastiqueurs les plus imaginatifs et les plus insaisissables que nous ayons jamais rencontrés», note un rapport interne du FBI. «Personne ne l’attrapera jamais, ajoute Lawrence Myers, un expert dans ce genre d’affaires. La seule chose qui terrassera ce type, c’est la vieillesse.» Une perspective qui ne rassure nullement le bureau fédéral puisque, d’après ses recoupements, Unabom aurait entre 30 et 40 ans. Autant dire que le dynamiteur commence à peine sa carrière. Mais ce qui déroute le plus les enquêteurs, c’est le caractère imprévisible, incompréhensible de cet obsessionnel animé d’un triple ressentiment contre l’aéronautique, l’enseignement et l’informatique. Dans un désordre apparent, Unabom a successivement plastiqué des sociétés d’ordinateurs, les universités d’Evanston, de Salt Lake City, de Nashville, de Berkeley, de San Francisco, d’Ann Arbour et de New Haven, avant de mettre une bombe dans un vol d’American Airlines, d’envoyer des colis piégés au directeur d’United et à l’usine Boeing d’Auburn.

A chaque fois les explosions ont fait de gros dégâts et surtout des blessés. A deux reprises les machines d’Unabom ont même tué. La première victime s’appelait Hugh Scrutton. Le 11 décembre 1985, cet employé d’un magasin de location d’ordinateurs de Sacramento, Californie, était déchiqueté par une bombe dissimulée dans un paquet déposé devant la porte de service de son commerce. «Scrutton est décédé à la suite de graves blessures à la poitrine, raconte un enquêteur à « USA Today ». Il y avait du shrapnel jusque sur le toit de l’immeuble. Ce gars-là n’avait aucune chance.» Le 10 décembre, Thomas J. Mosser, 50 ans, un cadre de l’agence de publicité Young&Rubicam, a trouvé une mort identique en ouvrant un colis piégé
adressé à son domicile de North Caldwell, New Jersey. En cherchant dans les dossiers de la victime, le FBI a découvert que Mosser s’occupait des budgets de plusieurs compagnies aériennes, ainsi que d’entreprises comme Xerox ou Digital Equipment.
Aucun de ces attentats n’a été revendiqué.

Unabom ne s’est jamais manifesté, n’a jamais rien réclamé. Il s’est contenté à chaque fois de signer son travail. Ses bombes, bourrées d’une poudre assez rare, sont en effet d’un genre très particulier. Elles sont presque ouvragées comme des objets d’art. Les coffrets en bois sont toujours minutieusement travaillés et ajustés. A l’intérieur, toutes les pièces de métal des mécanismes sont méthodiquement polies. Enfin, l’un des éléments de l’engin est toujours gravé de deux lettres: F. C. D’après le FBI, ces initiales seraient l’abréviation de «fucking computer» (putain d’ordinateur).

«Tout cela ne nous avance pas à grand-chose, observe un enquêteur. Un plastiqueur en série de ce calibre n’a jamais aucune relation, aucun contact avec ses victimes. Donc nous ne pouvons remonter aucune piste.» Il reste au FBI à travailler sur le dossier psychologique qu’ont établi des experts. Unabom aurait vécu à Chicago et serait aujourd’hui installé en Californie, à Sacramento ou à San Francisco. Ce serait un voisin discret, poli, tiré à quatre épingles, entretenant sa maison ou son appartement avec un soin maniaque, fréquentant quelques amis et occupant un emploi sans grand intérêt. Il jouirait intérieurement de ses exploits, de sa capacité à fasciner les médias et à narguer la police. Il se considérerait comme un vrai professionnel des explosifs, et chacun de ses attentats confirmerait son excellence. «Un de ces jours, espère Bob Bell, shérif de Sacramento, on peut penser que ce gars-là aura un accident en manipulant ses engins et que nous le retrouverons dans une salle d’urgence d’un hôpital.»

En attendant, deux semaines après la mort de Mosser, et en ces périodes de fêtes où le courrier abonde, le FBI, le Bureau de l’Alcool, du Tabac et des Armes à Feu ainsi que les services postaux ont donné aux Américains quelques éléments pour détecter les paquets douteux: «Les substances chimiques des explosifs laissent souvent des taches sur le papier d’emballage. Il n’y a pas l’adresse de l’expéditeur. Les colis sont généralement surtimbrés et non enregistrés dans un bureau de poste. Les emballages sont parfois très rigides ou gonflés.»

A l’heure qu’il est, stimulé par l’intérêt qu’on lui témoigne, Unabom doit être en train d’assembler les éléments de son nouveau coffret. Ensuite, avec amour, il poncera les aciers de sa machinerie. Puis, un matin, il sortira de chez lui un paquet sous le bras…

JEAN-PAUL DUBOIS

A SUIVRE…


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