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Amérique. Série.  » Les camelots du God business » (11)

publié le 04/09/2021 | par Jean-Paul Dubois

L’Amérique, vue par l’écrivain Jean-Paul Dubois, Prix Goncourt.
Autrefois Gene Scott enseignait la philosophie. Aujourd’hui, il exerce la profession de télé-évangéliste. Pasteur de la Los Angeles University Cathedral, il s’habille comme un prestidigitateur, fume des cigares provocateurs, organise des rodéos rémunérateurs et prêche à la télévision la parole du Seigneur.


Gene Scott officie sur Trinity Broadcasting Network (TBN), la chaîne des raisonneurs de la foi. Il fait partie de ces acrobates de l’Evangile qui, nuit et jour, se contorsionnent sur les scènes californiennes pour colporter la parole divine dans le monde entier tout en raflant l’argent de la quête. Chaque année, aux Etats-Unis et en toute légalité, Scott et ses semblables arrivent à soutirer 3 milliards de dollars à leurs fidèles. Tous ces animateurs possèdent leur show, leur PME, leur société de production et leur créneau horaire.

Pour des raisons fiscales, mais aussi en vertu d’une loi californienne protégeant strictement leur vie privée souvent tumultueuse, un grand nombre de ces révérends cathodiques se sont enkystés au sud de Los Angeles, au coeur d’une zone bénie du ciel aujourd’hui appelée la Broadcast Bible Belt. Au centre de cette ceinture de chasteté et de foi se trouve le siège de TBN, petit Vatican du God business, un complexe unique au monde diffusant plus de 700 programmes religieux sur la planète via le câble et les satellites. A Costa Mesa, les bâtiments de TBN sont à l’image de cette nouvelle industrie triomphante. Un palais d’émir, des plafonds stratosphériques, des escaliers ourlés de cuivre, des sols marmoréens piqués d’incrustations héraldiques et des statues angéliques terrassant des démons à cinq mètres de haut.

Plus un chemin de croix virtuel, des auditoriums bien réels, une « salle des Chérubins » où sont exposés les portraits de tous les enfants des employés de la société, et quelques autres gadgets bibliques chargés de flatter l’âme chromée du visiteur. Mais cette basilique des nigauds cache en réalité une surprenante pompe à finances, une machine de communication truffée de studios dotés de tous les perfectionnements. « De nos jours, en Amérique, pour que les religions continuent à exister, explique un médiologue, elles doivent être présentes dans la sphère télévisuelle et médiatique. Un marketing performant et une stratégie de communication élaborée sont indispensables. Les télé-évangélistes ont parfaitement compris cette nouvelle règle. »

Et c’est pour cela qu’ils se sont regroupés dans le ventre de ce Sud californien, accrochés aux bretelles d’autoroute toutes proches de Hollywood. « Los Angeles est la capitale de la communication et du cinéma, dit Pat Boone, ancienne vedette de TBN. Il est logique que pour se lancer dans le business du spectacle, les chrétiens s’installent ici. » Chaque prédicateur a pour unique commandement de conquérir une audience fidèle et des parts de marché confortables. Aujourd’hui les révérends vedettes s’appellent Schuller (il prêchait jadis sur le toit d’un drive-in), Scott ou Benny Hinn. KC Price et EV Hill, deux pasteurs noirs sous contrat avec All American Network, voisin et concurrent de TBN, ont, eux, pour mission d’embobiner la communauté afro-américaine.

La région, assez religieuse et plutôt conservatrice, est aussi un havre pour bien des télé-évangélistes déjà convaincus de scandales sexuels et financiers, mais qui recommencent ici à zéro, sous un petit label et un patronyme d’emprunt. Les autres, les grands, travaillent sous leur nom encore propre et traitent directement avec l’industrie du cinéma. Dans une interview au « Los Angeles Time », Don Mattews, directeur exécutif de « Faith for Today Television », un programme des Adventistes du Septième Jour, expliquait les avantages que ces néochrétiens numériques tiraient de leur nouvelle localisation : « Lorsque nous sommes prêts à produire un show, nous n’avons qu’à plonger la main dans cet immense bassin de professionnels de l’industrie pour trouver les meilleurs techniciens du show et de l’image, les meilleures machines. »

Ensuite, chaque pasteur, selon son style et sa méthode, n’a plus qu’à tondre son propre cheptel. Et quand, à l’image de Benny Hinn, on veut se débarrasser d’un substantiel emprunt contracté pour bâtir un bien prétentieux Hinn World Media Center, on sermonne ses fidèles en direct pour les exhorter à rembourser les 4,5 millions de dollars de dette, tout en ouvrant un site sur Internet chargé de collecter leurs offrandes. Maintenant, vous devez savoir qu’à une cinquantaine de kilomètres au nord de cette « Bible Belt » se trouve son homologue lubrique, tout aussi florissante, la « Sex Belt », puissante concentration de sociétés de productions pornographiques, elles aussi implantées dans la région en raison de son potentiel artistique et technique.

Et voilà donc prêcheurs invétérés et pécheurs impénitents, d’apparences si contraires mais au fond très semblables, accrochés, pour les mêmes motifs, à la même ceinture dorée. Les temps sont loin où les conciles se demandaient si le fait de regarder une messe à la jumelle ne lui ôtait pas son caractère sacré. Les sacrés caractères de Boone, Hinn, Hill ou Price ont réglé le problème en venant, via leurs shows, à domicile vous proposer une gamme complète de polish pour la foi. On l’aura compris : cela fonctionne à peu près comme le téléachat, sauf qu’à la fin rien, jamais, n’arrive par la poste.

JEAN-PAUL DUBOIS

 


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