Mariann Budde, la femme évêque qui ose défier Trump
Déjà, le jour de l’investiture, dans son homélie à la cathédrale, elle l’avait réprimandé face à face. Depuis, elle incarne l’opposition
Le mérite de Mariann Edgar Budde, évêque épiscopalienne de Washington, n’est pas seulement d’avoir dénoncé l’inhumanité de Donald Trump, de l’avoir admonesté le jour même de son intronisation, mais de montrer à la face du monde que cet homme n’est pas un chrétien. Le président des États-Unis a beau prétendre que c’est Dieu qui l’a sauvé lors de l’attentat du 13 juillet 2024, ses partisans ont beau assurer qu’il est l’élu choisi par Dieu pour sauver l’Amérique, le locataire de la Maison-Blanche a beau introduire la prière avant les réunions de son cabinet, rien n’y fait. Trump, en nouveau messie, semble procéder d’une grotesque imposture. En fait, Dieu et la religion sont pour le président républicain un outil de marketing politique, destiné à séduire les évangélistes obscurantistes et les chrétiens intégristes de tout poil qui l’ont soutenu.
Une église progressiste face à l’imposture
Cette démonstration a donc été faite par Mariann Budde, évêque de la branche américaine de l’anglicanisme, une confession protestante qui réunit des communautés plutôt progressistes à travers le monde. On se rappelle, en Afrique du Sud, les combats de Desmond Tutu, archevêque anglican du Cap, contre l’apartheid. L’évêque de Washington s’inscrit dans cette lutte incessante pour les droits de l’homme. Une allure frêle mais une âme forte, une expression douce mais une parole ferme : cette femme vient d’écrire un livre, Apprendre le courage (Flammarion), paru ces dernières semaines en France, qui raconte ses combats, y compris parfois contre elle-même, pour servir sa foi et ses convictions. Jusqu’au 21 janvier 2025, où, dans la cathédrale de la capitale fédérale, alors que Donald Trump assistait à sa messe d’investiture, elle a prononcé une homélie qui a fait le tour du monde.
L’homélie de la fracture
Le président s’attendait sans doute à un discours lui souhaitant bonne chance pour son nouveau mandat, saluant sa victoire. Au lieu de cela, il a pris une leçon de ce qu’il y a peut-être de meilleur dans le christianisme : l’esprit de charité, dont, a priori, il semblerait passablement démuni. Le président triturait, mal à l’aise, le programme des festivités du jour, le regard fuyant vers le plafond ou le sol, pendant que l’évêque, d’une voix calme et du haut de l’autel, lançait un appel à l’unité d’un peuple américain passablement fracturé. Puis, s’adressant directement à Trump, elle le suppliait :
« Au nom de notre Dieu, je vous adjure de prendre en pitié les personnes qui ont peur aujourd’hui dans notre pays. »
Et elle les citait : les parents des enfants transgenres et homosexuels, les immigrés qui assurent les récoltes, le nettoyage des locaux divers, la plonge… « Peut-être n’ont-ils pas les bons papiers », reconnaissait-elle, « mais ils paient leurs impôts et vivent paisiblement. » Et elle concluait :
« Notre Dieu nous enseigne que nous devons être miséricordieux avec l’étranger, car nous étions jadis étrangers sur cette terre. »
Trump humilié, Budde insultée
Une façon de rappeler au président que lui aussi était un descendant d’immigrés, en l’occurrence allemands. Il n’a pas du tout accepté la leçon. Il est sorti la mine renfrognée de cette cérémonie. Il a trouvé qu’elle avait eu « un ton méchant », traitant plus tard l’évêque de « gauchiste »… entre autres épithètes. L’évêque a reçu, elle, des wagons de messages de soutien… et des tombereaux d’insultes. Son statut d’icône anti-trumpiste était dès lors établi, d’autant que la suite a montré que les immigrés et les communautés LGBT avaient raison de craindre Donald Trump, et que les États-Unis sont en train de se fracturer toujours plus sur la question de l’immigration.
Une voix engagée, enracinée dans la foi
Les trumpistes ne se sont pas méfiés de cette évêque de 66 ans, mariée à un enseignant, mère et grand-mère, œuvrant naturellement pour la défense des faibles et des opprimés. Ils ont oublié en elle le docteur en théologie, l’oratrice brillante, et la chrétienne engagée.
Ils auraient dû se méfier. Déjà, en 2020, elle s’indignait de la façon dont étaient traités les manifestants en réaction à la mort de George Floyd, tué par un policier. Donald Trump, une Bible à la main, s’était exhibé devant l’église St John’s, à deux pas de la Maison-Blanche, sous l’œil complaisant des caméras, pour condamner les troubles. Elle avait jugé cette séquence « insultante » pour le christianisme.
En 2023, l’évêque fait remplacer les vitraux de la cathédrale à la gloire de deux généraux sudistes de la guerre de Sécession par des scènes honorant la lutte des Afro-Américains pour les droits civiques. En 2024, elle a signé avec 200 dirigeants et universitaires une lettre ouverte en faveur de la défense de la démocratie pluraliste contre les régimes autoritaires.
« Le brave est celui qui conquiert sa peur »
En exergue de l’épilogue de son livre, Mariann Budde cite Nelson Mandela. Le premier président noir de l’Afrique du Sud, enfermé 27 ans dans les geôles du pouvoir blanc, écrit :
« Le brave n’est pas celui qui ne sent pas la peur, mais celui qui la conquiert. »

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