Édito : « Antivax ce jour, climato-sceptique toujours », par le Professeur Frédéric Adnet.
le journal du professeur Frédéric Adnet.
Force est de constater une forte analogie dans la genèse, les modes de pensée, les actions des antivax/ anti-masques d’aujourd’hui et les mécanismes du déni du changement climatique de demain. Ces analogies ont de quoi faire frissonner puisque c’est l’espèce humaine qui pourrait être menacée.
De quoi parle-t-on ? Une pandémie, effroyable, environ 270 millions de cas et 5 millions de morts comptabilisés en décembre 2021. Un virus inconnu, le SARS-CoV-2. Des peurs ancestrales réveillées face à une pandémie mondiale. Et… des réactions collectives à contre-courant, aussi bruyantes que délirantes, mêlant déni, complotisme et fuite en avant vers des raisonnements cloisonnés et alimentés par des gourous illuminés, enfermés dans une bulle sectaire.
Des mouvements populaires, que des responsables politiques ont repris, entre naïveté et franc calcul politique. Ainsi, tous nos politiques, de tous bords, sans exception, ont eu, à un moment donné dans leurs discours, une relation au minimum ambiguë avec cette mouvance.
De Florian Philippot, ex-Front National, un peu oublié jusqu’à ce que son audience augmente à nouveau en même temps que son opposition aux mesures de restriction prises contre la pandémie.En passant par notre président, qui est allé à Marseille offrir une visite au Pr Raoult dans son Institut Hospitalo-Universitaire. Jusqu’à Jean-Luc Melenchon qui tient un discours plus que douteux sur les vaccins.
Résultat : Les antivax ont acquis une légitimité qui engendre des actions violentes contre les soignants. Et encourage, par le refus obstiné d’un traitement préventif, des comportements individuels suicidaires. Le tout, enveloppé dans une communication qui manie l’art du sophisme pour mieux convaincre un peuple crédule, devenu soudain apeuré.
Sophisme : Il y a beaucoup de morts après la vaccination/ La vaccination entraine des effets secondaires / Donc, les effets secondaires de la vaccination provoquent beaucoup de morts
Ajouté à cela la diffusion, facile, de fake news par les réseaux sociaux plus quelques erreurs du discours scientifique, comme par exemple la bévue du « Lancetgate », et le résultat se traduit par … une totale confusion de l’opinion.
Triste bilan. L’inévitable comptabilité des morts évitables – en clair, ceux qu’on aurait pu et dû sauver par la vaccination – se compte probablement en dizaine de milliers de victimes.
Quel rapport avec le réchauffement climatique ? Le voici. Ce sont toujours les mêmes mécanismes qui sont en œuvre. La peur encore, induite par des scientifiques regroupés au sein du GIEC qui nous annoncent froidement la fin de l’humanité si nous ne faisons rien, et un danger difficile à percevoir, hors par quelques scientifiques initiés.
Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a pourtant qualifié le réchauffement de « code rouge pour l’humanité », ajoutant que « les sirènes d’alarme sont assourdissantes ». Les scientifiques l’ont constaté, le niveau de la mer monte, la glace polaire fond. Et ont conclu que l’activité humaine était « sans équivoque » la cause des brutales inondations, des sécheresses et des « dômes » de chaleur.
Face à cela, certains politiques surfant sur des mouvements populaires opposent… un déni ahurissant !Et on retrouve le même cocktail que pour la pandémie : refus des mesures nécessaires, parole sceptique de certains scientifiques – tiens ! ce sont souvent les mêmes – et un discours global alimenté par l’avidité des lobbies industriels gavés aux énergies fossiles.
Aujourd’hui, certains nient encore cette simple vérité, au profit de la leur, éclatante et sans discussion. Allons donc ! Le coronavirus n’est qu’une pandémie déclenchée par l’Américain Bill Gates, fondateur de Microsoft devenu milliardaire. Ou, mieux, causé par des antennes relais 5G. Voire des extraterrestres. Et le vaccin, injecté dans notre cerveau, nous transformera en futurs zombies…
Cet aveuglement, volontaire, à l’avantage de ne plus avoir à regarder en face une réalité trop dure à supporter. Ne nous y trompons pas, le cercle s’étend bien au-delà d’un noyau dur de sceptiques ou de manifestants bruyants.
Mais, si le vaccin ce n’est qu’une banale piqure, les mesures pour lutter contre le réchauffement climatique seront, elles, coercitives, voire punitives. Là, il faudra bien bouleverser notre façon de vivre.Quelle aubaine pour les futurs bonimenteurs ! Ils auront ainsi l’occasion d’entretenir un climat de violence et de peser sur les politiques nationales dans nos démocraties.
Les dizaines de milliers de morts évitables de la COVID-19 ne seront alors qu’une goutte d’eau comparée à la catastrophe planétaire annoncée. Une catastrophe amplifiée par les mêmes croyances, les mêmes mécanismes obscurs et sectaires.
Sectaires, sans doute, mais puissants.
* Frédéric Adnet est directeur médical du SAMU de la Seine-Saint-Denis et responsable du service des Urgences du CHU Avicenne à Bobigny.
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