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Édito. « Vive l’Ukraine, monsieur ! », par Laurent Joffrin.

Edito publié le 01/03/2022 | par grands-reporters

On se souvient peut-être du cri de Charles Floquet, député républicain sous le Second Empire, voyant passer le tsar Alexandre II en visite à Paris : « Vive la Pologne ! », repris par un autre républicain, Maurice Joly, qui ajoute à l’adresse de l’autocrate, « Vive la Pologne, monsieur ! », mot qui a fait florès.

L’infortunée Pologne, malgré trois révoltes populaires, était toujours partagée en trois entre ses voisins de Prusse, d’Autriche et de Russie. Aujourd’hui, c’est l’Europe tout entière qui s’adresse au nouvel autocrate russe en lui criant : « Vive l’Ukraine, monsieur ! ».

Réconfortante réaction, même si, dans cette lutte inégale, l’Ukraine envahie par Poutine risque toujours le sort de la Pologne à l’époque, écrasée par les troupes russes. Réveillée par l’agression insensée de Poutine, l’Union Européenne, suivie par la Grande-Bretagne, la Suède et la Finlande – et même par la Suisse – exige l’arrêt des combats et apporte aux Ukrainiens héroïques un soutien à la fois humanitaire et militaire.

Ce faisant, elle endosse dans l’unité ce rôle de puissance que les plus européens, la France en premier lieu, souhaitent depuis longtemps lui voir jouer. Si cette prise de conscience se confirme, elle aura de nombreuses conséquences.

L’irruption de la guerre, la vraie, sur ses marches fait comprendre à chacune et chacun le gain précieux apporté par l’Union Européenne à ce continent si souvent ensanglanté. Depuis soixante-dix ans, l’Union a établi et conservé la paix entre les nations qui la composent, alors que les siècles précédents les avaient vues s’affronter dans d’innombrables conflits armés, jusqu’aux deux guerres mondiales.

L’argument de la paix, si souvent invoqué en faveur de l’Union, paraissait usé tant la guerre sur le continent semblait improbable en tout état de cause, à l’ombre de la dissuasion nucléaire. Tous les Européens, les jeunes générations en particulier, chez qui s’estompe parfois le souvenir des guerres du XXème siècle, constatent désormais le bien précieux que Poutine menace de lui faire perdre.

Instruites par cette agression venue du froid, les nations de l’Europe unie constatent qu’elles doivent désormais prendre en mains leur propre sécurité. Non pour s’éloigner de l’Alliance atlantique, bien au contraire, dont la garantie prend soudain une valeur nouvelle, mais pour ne plus dépendre exclusivement pour sa défense de la politique américaine, désormais préoccupée par la montée en puissance de la Chine plus que par la situation sur le vieux continent.

De nombreuses voix s’élèvent pour mettre sur pied une véritable défense européenne. Plus qu’une perspective lointaine, souhaitable mais floue, cette idée est devenue aujourd’hui le bon sens même et l’impératif des années qui viennent.

Le président Zelenski demande à adhérer immédiatement à l’Union. Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission, a répondu prudemment aux Ukrainiens, mais plutôt positivement, en concluant ses propos par cette formule : « ils sont des nôtres ».

Ce serait un geste utile et juste mais symbolique. Il n’existe aucune procédure d’adhésion accélérée ; aussi bien, certains pays, dont la France, sont réticents à élargir encore l’Union avant d’avoir renforcé sa cohésion. Mais l’essentiel est ailleurs.

Certains commentateurs, souvent à la droite ou à l’extrême-droite, glosent sur la supposée décadence des démocraties, sur la montée en puissance des dictatures identitaires. L’affaire est plus complexe : les « démocratures » et les dictatures jouent en effet un rôle croissant et défient, à l’instar de Poutine, les pays de liberté et d’état de droit.

Mais l’exemple de l’Ukraine montre que pour beaucoup de peuples, le modèle démocratique exerce toujours une force d’attraction irrésistible.

Les tenants de la « realpolitik » soulignent gravement que des pays comme l’Ukraine ont longtemps été inclus dans l’ensemble russe. Poutine, disent-ils, s’appuie sur l’histoire pour justifier ses prétentions. Léger problème : les peuples concernés disent exactement le contraire. Instruits par l’histoire, ils veulent se détacher de l’emprise russe et se rapprocher de l’Europe. Autrement dit, la liberté garde pour eux son impérieuse séduction.

Incapable de convaincre les Ukrainiens, Poutine remplace ses arguments par des chars d’assaut. En Russie même, il craint les tentations démocratiques de son peuple, qualifie de « traîtres » ceux qui le critiquent et ne cesse de mentir aux Russes pour maquiller son forfait. Il attaque militairement parce qu’il est politiquement sur la défensive.

Il n’est qu’une réponse : aider par tous moyens ces peuples à s’émanciper des oukases du Kremlin, faire naître une politique européenne autonome et unitaire, qui marquera l’entrée tant espérée de l’Union dans le jeu international, pour faire pièce aux empires agressifs et aux dictateurs ivres de puissance.

 

Laurent Joffrin
http://www.engageons-nous.org/


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