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Russie-Ukraine : la vraie guerre a commencé

Edito publié le 10/07/2023 | par Jean-Paul Mari

500 jours de conflit, triste anniversaire, le temps des bilans. En réalité, après les opérations spéciales, les offensives éclairs et les coups d’éclat, la « vraie » guerre vient à peine de commencer

Rappelez-vous, c’était il y a déjà un an et demi, un petit matin de février 2022. Trois jours plus tôt, Vladimir Poutine a reconnu l’indépendance des républiques séparatistes du Donbass. Dès novembre, les Russes ont massé 92 000 soldats aux frontières. Joe Biden alerte sur une invasion prochaine de l’Ukraine. L’Europe reste sceptique, voire hostile, les Américains crient au loup, voilà tout ! On n’y croit pas parce qu’on ne veut pas y croire.
« Opération spéciale »
24 février, 5 h 30. L’invasion commence. Objectif proclamé de Moscou : « démilitariser et dénazifier ». Kiev, Kharkiv bombardés, débarquement à Odessa et Marioupol, quatre fronts sont ouverts en même temps. Surtout, un commando est largué sur l’aéroport d’Hostomel, aux portes de la capitale, terrain propice à un débarquement massif.

La guerre ? Plutôt une opération spéciale intérieure, façon Budapest ou Prague ou un blitzkrieg. Allons ! l’État ukrainien n’existe pas et son président n’est qu’un farceur ! Il s’agit de décapiter ce gouvernement ukrainien, le faire tomber et installer un gouvernement fantoche prorusse à la place. Opération éclair, opération échec.

Quelques semaines plus tard, Kiev est quasiment encerclée, mais tient bon. Mieux, les Russes sont repoussés en banlieue, à Boutcha. De rage, ils massacrent les civils. Une colonne de blindés venus de Biélorussie, au Nord, se retrouve immobilisée, sans essence, sous le feu des Ukrainiens. Tir aux pigeons.

L’armée russe a échoué. Péché d’orgueil. Elle se croyait surpuissante, sa logistique est nulle, ses soldats des conscrits mal équipés qui croyaient partir à l’entrainement, ses communications chaotiques et ses généraux médiocres. Des amateurs.

« Siège de Marioupol »
Il va durer trois mois. Dans un réflexe pavlovien, les Russes reprennent la vieille méthode de la Deuxième Guerre mondiale. On écrase la ville sous le feu des canons, des missiles, de l’aviation. Images des femmes enceintes blessées et évacuées de la maternité sur des brancards. Quand il ne reste plus que des ruines, on avance.

Les défenseurs manquent d’hommes, de canons, de munitions, de tout. Trois mois, 25 000 morts selon les Ukrainiens, 3500 soldats capturés, dont la célèbre légion Azov, des combattants, haïs des Russes, dont on ne sait plus rien. Une guerre ? Non, plutôt l’Opération Marioupol.

Contre-offensive éclair
On attendait une poussée des Ukrainiens au sud. Le 6 septembre 2022, à la surprise générale, ils enfoncent les défenses au Nord, à Kharkiv, sur plus de 40 km, en direction d’Izioum. Deux mois plus tard, ils libèrent la grande ville de Kherson, au sud. On prédit l’effondrement des Russes, à tort. En brisant un barrage gigantesque, Moscou n’hésitera pas à inonder la région. Un crime ? Oui, les Alliés appelaient cela faire la guerre.

La bataille de Bakhmout
Stalingrad, la ville de Staline, a duré trois mois. Bakhmout, sans intérêt stratégique, va prendre dix mois. Ne reste que des cendres tièdes pour un symbole. On découvre la milice de Wagner, 25 000 hommes, des mercenaires, condamnés à la prison ou à la mort. On découvre aussi qu’ils savent se battre. Bakhmout est une double hémorragie, destinée à saigner l’autre. Une fois la ville prise, le serpent Prigojine retire Wagner et mord la main de Moscou. Une guerre ? Non, un coup pour rien. Sinon la démonstration d’une fragilité politique au Kremlin.

Contre-offensive ukrainienne
Kiev en parle depuis des mois, la voici. On s’attend à un show spectaculaire, nouvelle édition de la contre-offensive de Kharkiv. Erreur. Pas de percée décisive. Les Ukrainiens gagnent certes du terrain, village par village, mais au prix du sang. Sans coups d’éclat. Les lignes russes tiennent bon.

Pourquoi ?
Parce que la « vraie » guerre vient enfin de commencer. Dire cela après cinq cents jours de massacres, cela ressemble à une provocation. Et pourtant…

D’un côté, l’armée russe. Elle a appris de ses échecs. Logistique, entrainement, communications, armement, commandement… les « amateurs » se sont professionnalisés. Elle a mobilisé plusieurs centaines de milliers d’hommes, les a formés, n’ouvre plus quatre fronts à la fois, mine le terrain contre les chars sur des centaines de kilomètres. Bref, les Russes ont appris à respecter leur adversaire.

On redécouvre que la Russie est un immense pays, riche, puissant et fort de dizaines de millions d’hommes. Une armée qui sait maintenant se battre, avec ou sans Wagner.

En face, les Ukrainiens. Ils défendent leur territoire, leurs familles. Un moral en béton armé, des combattants en formation permanente, et des armes – celles qui leur manquaient – chars, missiles, obus et bientôt avions, que l’Ouest leur fournit sans trop rechigner.

Résultat : exit les opérations éclair ! Les deux armées se retrouvent dans l’état réel de leurs forces, face à face, dans une terrible guerre de positions où chaque tranchée se paie au prix fort.

Oui, la « véritable » guerre vient à peine de commencer. Et comme toute guerre de ce genre, il est probable qu’elle est faite pour durer. Longtemps.


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