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Wagner : la facture de Bakhmout

Edito publié le 10/07/2023 | par Jean-Paul Mari

La révolte du chef des mercenaires et sa marche ratée sur Moscou n’est que le résultat de la bataille de Bakhmout, une victoire à la Pyrrhus, dont le vrai vainqueur est l’Ukraine

Evgueni Prigojine proclamant sa victoire à Bahkmout- Photo Handout / TELEGRAM/ @concordgroup_official / AFP

Voilà, c’est fini. Une révolte de vingt-quatre heures. Un « coup d’État » ou plutôt un coup d’état-major. Un petit tour en Rostov-sur-le-Don et Voronej, à six heures de voiture de la capitale, une grande frayeur à Moscou, et puis s’en vont…
Que cherchait le chef des mercenaires de Wagner, quelle stratégie, quel objectif ? Et surtout, quelle mouche l’a piqué ?

Victoire !

La mouche ? Elle bourdonne encore de l’autre côté de la frontière en Ukraine et elle porte le nom de Bakhmout. Une ville, autrefois de 70 000 âmes, qui n’est plus qu’un cimetière urbain, immeubles en poudre, avenues ensevelies sous la terre et les arbres morts, hantée par quelques fantômes.
Dix mois de guerre – contre six seulement pour la bataille historique de Stalingrad – une guerre menée par Evgueni Prigojine, chef des mercenaires de la milice Wagner.

Le 20 mai dernier, après avoir pris l’essentiel de la ville, il proclame sa victoire totale et se retire aussitôt en laissant le bébé en loques à l’armée officielle russe. Pour en arriver là, il a perdu, selon ses propres dires, 20 000 hommes – quatre fois les pertes allées pendant le débarquement – dont 50 % des criminels qu’il a raclé dans les prisons russes.

La patrie reconnaissante

De Bakhmout, Prigojine escomptait la gloire, des médailles sur les poitrines trouées de ses hommes et, pour lui, la toute-puissance. En clair, l’aboutissement de la lutte sans merci qu’il mène contre l’état-major officiel et son ministre de Défense, Sergueï Choïgou. Entre eux, les choses vont très mal. L’armée regarde d’un mauvais œil cette milice qui se prend pour une armée de remplacement. Et Prigojine ne cesse de se plaindre à haute voix du manque de munitions et de l’incompétence de l’état-major.

En matière de récompense, Prigojine n’obtient rien. Au contraire. Pas les milliers de médailles demandées pour ses hommes, pas de couronne de laurier pour le nouveau César. Pire, l’armée se réserve désormais le droit de vider les prisons pour le recrutement de sa chair à canon et, surtout, le Kremlin – l’ingrat ! – annonce que les mercenaires de Wagner devront, à partir du 1er juin, être intégrés un à un dans l’armée régulière… en clair, au lendemain de la bataille gagnée, le général se retrouve seul, nu comme un ver. Que lui reste-t-il sinon mettre en scène son départ?

L’explosion
Prigojine avance une histoire de bombardement meurtrier de ses propres troupes par l’armée officielle, proclame que les pertes russes sur le front sont colossales et que « les soldats se lavent dans leur propre sang », que l’état-major cache le fait que le front est enfoncé… bref, si lui a mené à la victoire, le ministre Choïgou conduit la Russie à sa perte.

D’où son « coup d’État » militaire pour exiger que l’état-major se soumette au consul victorieux. Gros coup de bluff et gesticulation désespérée. Aidé en cela par la sidérante inertie des policiers et soldats de Rostov qui lèvent les bras et lui remettent leurs armes, sans avoir tiré un coup de feu.
Plus qu’une ville à deux heures à peine de Marioupol et la base logistique du front ukrainien, Rostov-sur-le-Don est un symbole. On y a longtemps entreposé, dans des trains frigorifiques, les morts de la guerre perdue d’Afghanistan.

Le choc

Début de panique à Moscou. La machine s’emballe. Poutine parle de « coup de poignard dans le dos », comprenez dans le dos de l’armée sur le front. Mais la charge des walkyries de Wagner s’arrête au-delà de Voronej, à deux heures de Moscou, après une simple tractation par l’intermédiaire de l’allié biélorusse. Une révolution ? Non, Sire, une simple révolte. Demi-tour ! Les mercenaires rentrent dans leurs casernes. Simple épisode humiliant pour Poutine qui a perdu la face aux yeux du monde ? Non.

Déroute

Les dix mois de guerre sauvage à Bakhmout et son massacre étaient une guerre d’attrition, visant à saigner l’ennemi de sa force vitale. La bataille de Bakhmout a atteint son objectif. Wagner, victorieux, est défait. Le « héros », honteux, est exilé, ses mercenaires en déroute, l’armée russe ébranlée, le Kremlin éclaboussé. Un résultat inespéré.

Une chose est sûre désormais, c’est bien l’Ukraine qui a gagné la bataille de Bakhmout.


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