Le deuxième effondrement du World Trade Center
Le président américain qui a fait carrière dans l’immobilier est avant tout un démolisseur

Personne n’a oublié les images du World Trade Center en flammes, le sommet de l’immense tour qui fond littéralement, s’effondre étage par étage, l’un sur l’autre, comme un soufflé qui s’aplatit jusqu’au sol, dans un enfer de feu, de métal fondu, de chairs calcinées.
Après moins de deux mois de présidence Trump, on a un sentiment similaire. Tout ce qui a été construit et défendu avec tant d’efforts – la démocratie américaine, l’USAID, l’OMC, l’OTAN, l’ONU, l’Europe, la défense de l’Ukraine, la lutte contre la dictature du Kremlin, le pacte écologique, les droits des femmes et des minorités… arrêtons-là, la liste est longue – chaque étage de cet édifice est en train de s’écrouler l’un après l’autre, l’un sur l’autre, en flammes, à une allure stupéfiante, percuté par l’action d’un président qui ressemble à un avion fou.
Ce n’est pas un hasard si les articles les plus consultés cette semaine sur notre site concernent Trump, bien sûr, mais aussi son entourage. J.D. Vance, le vice-président, est un homme encore plus dangereux que son président, parce que froid, constant et ancré dans ses convictions, qui ne sont pas seulement mercantiles. En Allemagne, où il s’est rendu, lui et Elon Musk interfèrent lourdement dans les prochaines élections en soutenant ouvertement le parti d’extrême droite. L’objectif est simple : faire tomber un à un les partis démocratiques au pouvoir pour les remplacer par des « amis », façon Orbán en Hongrie, Fico en Slovaquie ou Meloni en Italie. Aux États-Unis comme ailleurs, quand quelqu’un s’oppose, il suffirait de le remplacer.
Ou Candace Owens, une hystérique version jeune, noire, conservatrice et complotiste, autrice d’une série où elle explique que Brigitte Macron est un transgenre, d’autres s’empressant d’ajouter qu’elle aurait épousé son fils… Emmanuel. Tout cela sous le regard bonhomme, voire complice, d’un Trump prêt à tout pour déstabiliser ses opposants européens. Ne souriez pas. Cette série, relayée par les réseaux, connaît un succès mondial. Et pan sur la France !
En Ukraine (« Il faut oublier le soldat Ryan »), la chose est tellement énorme que même les capitales européennes ont du mal à y croire. On sait le « deal » brutal que la nouvelle Amérique veut imposer : 1/ Trump négocie « la paix » en tête-à-tête avec Poutine, entre parrains. 2/ Dehors l’Europe et l’Ukraine, chassées de la table des négociations.3/ Main basse sur les terres rares d’Ukraine, un trésor inestimable, pour « rembourser » l’aide américaine que le « protecteur » estime à 500 milliards de dollars. Rien de moins.Le président Volodymyr Zelensky, étranglé, a le choix entre être vassalisé par l’Amérique de Donald ou la Russie de Poutine.
En Israël, la démolition ayant déjà été assurée par l’entreprise Netanyahou, Trump rêve d’une riviera à Gaza. Et il parle désormais comme les islamistes, « promet l’enfer » à ceux qui lui résistent et ne serait pas contre l’annexion de la Cisjordanie, que l’armée d’Israël et les colons sont en train de dépecer vivante. Netanyahou, les extrémistes de droite et les fanatiques religieux battent des mains, extatiques, mais les Israéliens les plus éclairés, et les plus écœurés – jeunes, citadins, diplômés – ont discrètement commencé à prendre le chemin de l’exil, le contraire de la mythique Alya.
Quant aux anciens, survivants d’Auschwitz ou de Treblinka, créateurs de kibboutz et tenants des valeurs universelles, ils s’éteignent peu à peu, et avec eux les lumières d’Israël. À ce rythme, le pays ne sera plus peuplé que d’ultra-sionistes, ultra-religieux et ultra-partisans de « Bibi ».
Pendant ce temps-là, loin de Washington, le soldat Poutine fait son chemin, bien plus réaliste, lui, en construisant un réseau militaire et d’influence en Afrique. À côté de lui, le défunt Prigojine et son armée de mercenaires de Wagner n’étaient que des amateurs. Mali, Niger, Burkina Faso, Libye, même le Tchad et peut-être un jour le Sénégal… Tous ces dirigeants, ravis d’échapper à « l’emprise de la France coloniale », se jettent dans les bras d’un nouveau colonisateur hors pair, peu regardant sur la morale et les droits de l’homme, mais intraitable sur les intérêts économiques et géostratégiques, l’œil rivé sur sa stratégie méditerranéenne-sahélienne. Et qui salue chaleureusement la vision de son nouvel « ami » américain.
Tout cela – la mise à bas de la démocratie américaine, le néo-impérialisme économique mondial, l’effondrement moral international, la mise au placard de l’écologie, la volonté de démolir l’Europe comme entité démocratique, l’abandon de l’Ukraine, le feu vert donné à Moscou pour ses basses œuvres… – tout cela tient à un seul homme et à son administration.
Quant à l’Europe, qui prend lentement conscience de la catastrophe et de son impuissance consentie, elle a bien du mal à sortir de sa sidération – comme devant l’image du World Trade Center qui s’effondre en flammes, étage par étage – et à intégrer que le président-promoteur immobilier mondial est d’abord un démolisseur.
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