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67 Resultats
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Série « Les populistes ». Giorgia Meloni : « Et préservez-nous du Mal, amen » (5)
par Jean-Paul MariElle a parlé haut et fort mais se fait discrète, part en guerre contre les institutions mais respecte l'Europe et soutient l'Ukraine. Elle a fondé les "Frères d'Italie", d'extrême-droite, admire Mussolini mais continue à accueillir les migrants, se défend d'...
Série : Giorgia Meloni : une bête noire nommée Salvini (4)
par Jean-Paul MariElle a parlé haut et fort mais se fait discrète, part en guerre contre les institutions mais respecte l'Europe et soutient l'Ukraine. Elle a fondé les "Frères d'Italie", d'extrême-droite, admire Mussolini mais continue à accueillir les migrants, se défend d'...
Série « Les populistes ». Giorgia Meloni « femme, mère et chrétienne » (3)
par grands-reportersPar Marcelle Padovani Elle a parlé haut et fort mais se fait discrète, part en guerre contre les institutions mais respecte l'Europe et soutient l'Ukraine. Elle a fondé les "Frères d'Italie", d'extrême-droite, admire Mussolini mais continue à accueillir les migrants,...
Série « Les populistes ». Giorgia Meloni « Io sono Giorgia »(2)
par grands-reporterspar Marcelle Padovani Elle a parlé haut et fort mais se fait discrète, part en guerre contre les institutions mais respecte l’Europe et soutient l’Ukraine. Elle a fondé les « Frères d’Italie », d’extrême-droite, admire Mussolini mais continue à accueillir les migrants,...
Série « Les populistes ». Giorgia Meloni et le peuple de Rome (1)
par grands-reportersElle a parlé haut et fort mais se fait discrète, part en guerre contre les institutions mais respecte l'Europe et soutient l'Ukraine. Elle a fondé les "Frères d'Italie", d'extrême-droite, admire Mussolini mais continue à accueillir les migrants, se défend d'...
Livre. Extraits. « La plupart ne reviendront pas », Eugenio Corti (Extraits en Avant première ).
par grands-reportersgrandsreporters.com, c'est aussi les livres. "La plupart ne reviendront pas", d'Eugonio Corti. Vingt-huit jours dans une poche du front russe ( hiver 1942-1943) Traduit de l’italien et préfacé par François Livi Attention : A paraître le 25 août 2022. Roman...
A la recherche des migrants en Méditerranée. Journal de bord de l' »Aquarius ».
par Jean-Paul MariJean-Paul Mari, écrivain et ex-grand reporter au « nouvel Observateur » , et Franck Dhelens, réalisateur, ont embarqué à bord de l’« Aquarius », un navire qui sillonne les eaux territoriales libyennes pour porter secours aux migrants. De cette expérience, ils ont tiré un documentaire, « les migrants ne savent pas nager ».
Jean-Paul Mari en décrypte sept images-clés.
Naples sous terre
par Jean-Paul MariEntre mer et volcan, loin du ciel et tout près des enfers, Naples a en sous-sol une sœur jumelle, une face cachée, l’équivalent d’une ville-miroir. Sous l’antique cité, un espace creux, monumental : un gruyère de huit millions de mètres cubes....
Migrants: Un trou dans l’eau.
par Jean-Paul MariGrand-reportage: De Palerme à Catane, de Lampedusa à Zarzis en Tunisie jusqu'à à la frontière libyenne, pour faire le bilan des départs, des naufrages, de l’action des ONG et des gouvernements dans la région.
Message d’urgence de « Pilotes volontaires »
par grands-reportersl'ONG française basée à Lampedusa désormais empêchée de voler au-dessus de la Méditerranée pour repérer les embarcations de migrants en détresse.
1893: « le massacre des «Piémontais »
par grands-reportersLes marais salants d’Aigues-Mortes sont
le théâtre du lynchage des « Piémontais »,
ces Italiens dénoncés comme des concurrents économiques par
les ouvriers français. Un déchaînement
de violence extrême, qui aboutit à
une parodie de justice.
EN DERIVANT AVEC ULYSSE.
par Jean-Paul Mari Si Ulysse revenait aujourd’hui en Méditerranée, que trouverait-il ? Une Mare Nostrum, une mer commune à tous ses habitants ou un espace coupé en deux, éclaté, balkanisé. Divisé au gré des rivalités, des cultures et des religions, entre les « civilisés » et les « barbares ». Serait-il plus étonné par les progrès réalisés ou horrifié par ses plaies ? Les hommes auraient-ils réussi à avoir enfin le même Dieu autour de la même mer ?
La Méditerranée aurait-elle réussi à rester le centre de la culture, la lumière du monde, un joyau de l’humanité ou, frappée par une décadence effrayante, s’était-elle transformée un cul de basse-fosse de l’intelligence ? Ulysse pourrait-il nous dire qui nous sommes ? Me dirait-il aussi, comme Tirésias, qui je suis ?
Être méditerranéen, est-ce avoir une identité ou n’être plus que le « Personne » de Polyphème, quelqu’un aux origines diluées dans un monde mondialisé. Moi qui suis né sur ces côtes, amoureux et souffrant au bord de la mer, sidéré par les guerres mais hypnotisé par la lumière d’après incendie, qui suis-je ? Qui sommes-nous ? Perdus ou sauvés ?
Il n’y a qu’un seul moyen d’obtenir une réponse à toutes ces questions. Refaire, pas à pas, ce grand voyage avec lui.
En dérivant avec Ulysse.
- Sélectionné pour le Prix Renaudot.
- Prix Encre Marine 2018
Éditions J-C Lattès
Le calvaire Libyen des migrants
par Fabien PerrierC’est finalement l’Espagne qui pourrait accueillir les 629 migrants qui se trouvent à bord. Mais la route vers l’Espagne est longue et certains migrants ont besoin de nourriture… Ce dernier épisode illustre les difficultés croissantes du bateau affrété par SOS Méditerranée et Médecins sans frontières pour secourir les migrants.
L’Aquarius , un bateau de 629 naufrages a la recherche d’un port d’accueil.
par Jean-Paul MariL'Aquarius est actuellement en standby au milieu de la Méditerranée après que l'Italie a fait fermer ses portes au bateau ambulance, sur instruction du nouveau ministre de l'Intérieur d'extrême droite, Matteo Salvini. Photo archives Patrick Bar/SOS Méditerranée
Matteo Salvini, nouveau ministre de l’Intérieur italien, d’extrême droite, n’a pas tardé à passer des paroles aux actes.
Ce que le nouveau gouvernement italien réserve aux migrants
par Jean-Paul MariExpulsions massives de 500 000 individus en cinq ans, fermeture des frontières, défiance vis-à-vis des ONG : le nouveau gouvernement italien, mené par la Ligue et le M5S, promet un durcissement radical de la politique migratoire.
Bartali, Un maillot jaune au coeur d’or.
par Jean-Paul Mari« Certaines médailles s'accrochent à l'âme, pas à la veste », affirmait le cycliste italien, coureur de légende discret sur son engagement contre le totalitarisme pendant la Seconde Guerre.
En partenariat avec Historia
En Libye, un permis de tuer ?
par Jean-Paul Mari
La Libye vient d’interdire ses côtes à tout navire étranger. Une décision qui vise à criminaliser l’action des ONG, à les réduire à l’inaction, à laisser les migrants se noyer sans témoins.
La décision est sans précédent. La Libye a annoncé le 10 août qu’elle interdisait tout navire étranger près de ses côtes. Elle crée - sinistre farce - une «zone de recherche et de sauvetage» où les navires ne pourront pas pénétrer sans autorisation, voire sans «demande express» des autorités libyennes, en particulier pour les bateaux des «ONG qui prétendent vouloir sauver les migrants». Le commandant de la base navale de Tripoli qui a fait cette martiale annonce s’irrite de ceux qui «manquent de respect aux garde-côtes et à la marine libyenne»…
En clair, la Libye interdit aux ONG de travailler dans cette région de la Méditerranée, bien au-delà de la limite des 12 milles marins de ses eaux territoriales. Jusqu’où ? Elle ne le dit pas. Et s’octroie le droit d’aller arraisonner des bateaux étrangers dans les eaux internationales. Déni de droit.
Pour mémoire, tous les observateurs savent que les garde-côtes libyens n’ont rien à voir avec leurs homologues européens, qu’ils sont souvent constitués de simples milices brutales et corrompues. Leurs «sauvetages» consistent pour l’essentiel - quand ils n’ont pas été assez soudoyés par les passeurs à terre - à aborder les radeaux pneumatiques, à rafler hommes, femmes et enfants, à les ramener vers les prisons de Tripoli où ils sont battus, violés, rançonnés et doivent payer - encore ! - pour pouvoir avoir le droit de se retrouver en enfer.
Tous les rescapés l’attestent, la Libye est un cauchemar pour les migrants, surtout s’ils sont noirs et chrétiens. A un médecin humanitaire qui lui demandait pourquoi il était dans cet état et de quoi il souffrait, un naufragé a répondu : «J’ai mal à la Libye.» Humiliations, exploitation, tortures, viols : hommes et femmes, tous ont vécu la même chose. La Libye a réinventé la traite négrière.
On imagine mal que les autorités d’une partie de ce pays, qui parlent si fort aujourd’hui, le font sans l’accord tacite des pays européens. Ce n’est pas une surprise. Ces dernières semaines, l’offensive contre les ONG est devenue générale. Paris, Berlin et Rome mettent désormais en cause le travail des ONG. Le chef d’accusation ? Les humanitaires seraient… complices des passeurs libyens.
Au départ, il y a peu de chose dans le dossier. Une déclaration d’un procureur de Catane, l’hostilité affichée et attendue de l’agence Frontex, un flot de rumeurs et d’insinuations sur les «vraies» motivations des ONG, leurs méthodes, leurs financements, etc. Une sale campagne de discrédit reprise, amplifiée et déformée avec volupté par tous les mouvements d’extrême droite qui n’ont qu’une obsession : faire disparaître les migrants de la surface de la mer.
Quand j’étais à bord de l’Aquarius de SOS Méditerranée et Médecins sans frontières, chaque sauvetage se faisait - et se fait encore - sous la direction du MRCC, le centre maritime de Rome qui désigne les embarcations à secourir et les attribue au navire le plus proche. A l’époque, le MRCC avait d’ailleurs salué l’initiative citoyenne des ONG européennes et l’amiral commandant la flotte militaire européenne de l’opération Sophia nous avait envoyé un télégramme de félicitations et une invitation à déjeuner à son bord.
Quant au financement, la plupart des navires naviguent grâce aux dons privés de milliers de citoyens, recueillis en toute transparence. Alors ?
Alors, il a suffi d’une seule accusation - sérieuse - contre une petite organisation allemande, Jugend Rettet, pour décréter que… toutes les ONG étaient forcément coupables.
Absurde ? Non, cohérent. Parce que les choses ont changé.
Il y a un an, l’Europe ne faisait rien. Les migrants se noyaient. Et les pouvoirs politiques se taisaient. Ou bégayaient des professions de foi sans suite à chaque tragédie spectaculaire. Seule l’Italie faisait son travail, employant ses garde-côtes aux secours, recueillant les naufragés, les recevant sur son sol.
Elle était bien seule. Comme lors de l’opération Mare Nostrum qui a sauvé - tout de même ! - près de 150 000 migrants en mer. Aujourd’hui, l’Italie a fait savoir qu’elle en avait assez de lancer des appels à l’aide qui restent sans réponse. Elle menace de fermer ses ports engorgés. Durcit le ton. Se referme.
L’Europe, elle, a choisi de ne pas faire son devoir, au mépris de toutes ses valeurs. Elle a choisi de payer la Libye, comme elle l’a fait pour la Turquie.
Ce n’est pas nouveau. Silvio Berlusconi - une référence - qui se faisait fort d’arrêter le flux des migrants, n’avait pas hésité à faire le chemin de Tripoli pour s’incliner devant Kadhafi et offrir la construction d’une grande autoroute pour 5 milliards de dollars, avec un supplément de 400 millions d’euros pour la marine nationale libyenne.
L’Europe, aujourd’hui, prend le même chemin. Dans ce contexte, les ONG sont devenues gênantes. Avec leur façon de créer un corridor humanitaire. Alors il faut les supprimer. Ou au moins, les neutraliser. En leur imposant entre autres un «code de conduite» avec un policier à bord, façon de transformer le secours en contrôle policier des migrants.
Exactement comme le veulent aussi les mouvements d’extrême droite qui ont armé un navire, le C-Star, pour refouler les naufragés vers les «secours libyens», autre farce macabre. Gageons que, sous peu, le C-Star s’opposera au travail des navires des ONG, provoquant des incidents en mer, ce qui amènera les autorités à limiter encore plus l’activité des ONG pour des «raisons de sécurité»…
Tout cela n’a qu’un but : criminaliser l’action des ONG, c’est les réduire à l’inaction, laisser les migrants se noyer sans témoins, les faire disparaître de la scène internationale. Mais surtout, loin de chez nous. Hors de notre vue. Cela ressemble à un crime contre l’humanité, non ? Avec l’indifférence comme arme de destruction.
La décision des Libyens n’est qu’une étape de plus, un permis de chasse, un permis de tuer, et au mieux, pour nous Européens, un permis tacite de laisser mourir.
Criminaliser les ONG de secours en mer
par Jean-Paul MariVoilà, c’est fait. L’offensive contre les ONG est devenue générale. Paris, Rome et Berlin mettent désormais en cause le travail des ONG qui portent secours en mer aux migrants naufragés. En un mot, les ONG seraient …complices des passeurs libyens.
Au départ, il y a peu de choses, une déclaration d’un procureur de Catane, l’hostilité affichée et attendue de Frontex, un flot de rumeurs et d’insinuations sur les « vraies » motivations des ONG, leurs financements, leurs méthodes, etc., une très sale campagne reprise, amplifiée et déformée avec volupté par tous les mouvements de droite et d’extrême droite qui n’ont qu’une obsession : faire disparaître les migrants de la surface de la mer.
Pourtant, le dossier paraît vide.
Quand j’étais à bord de l’Aquarius de SOS Méditerranée et MSF, le sauvetage se faisait – et se fait encore – sous la direction du MRCC, le centre maritime de Rome. C’est lui qui nous désignait les bateaux à secourir, les attribuait au navire le plus proche, décidait du transbordement sur un autre navire. À Rome, le MRCC avait d’ailleurs salué l’initiative de l’ONG. Comme l’Amiral commandant la flotte militaire européenne de SOFIA qui avait envoyé un télégramme de félicitations et invité le capitaine de l’Aquarius à …déjeuner à son bord. Quant au financement, c'est simple, l’ONG survit grâce aux dons des citoyens, recueillis en toute transparence.
Pourtant; il a suffi d’une seule accusation, sérieuse, contre un seul des navires de secours d’une petite organisation allemande – Jugend Rettet – pour décréter que… toutes les ONG étaient forcément coupables. Absurde.
Qu’est-ce qui a changé ?
Il y a un an, l’Europe ne faisait rien. Les migrants se noyaient. Et les pouvoirs politiques se taisaient. Seule l’Italie faisait son travail, employant ses garde-côtes aux secours, recueillant les naufragés, les recevant sur son sol.
Aujourd’hui, l’Italie a fait savoir qu’elle en avait assez de lancer des appels à l’aide qui restaient sans réponse. Elle menace de fermer ses ports engorgés. Elle durcit le ton.
L’Europe, elle, a choisi de ne pas faire son devoir, au mépris de toutes ses valeurs. Elle a choisi de payer la Turquie pour jouer les chiens de garde. Et maintenant la Libye pour « secourir les migrants » - sinistre farce quand on sait l’horreur dans cette Libye, - revenue au bon temps de la Traite négrière -, qui rançonne, torture, viole et tue les migrants. Hommes et femmes.
Oui, l’Europe a choisi. Et ce n’est pas très beau à voir pour nous Européens.
Dans ce contexte, les ONG sont devenues gênantes. Avec leur façon de créer un corridor humanitaire. Alors, il faut les supprimer. Ou au moins, les neutraliser. En leur imposant un « code de conduite » avec, entre autres, la présence d'un policier à bord, façon de transformer le secours en contrôle policier des migrants.
Exactement comme le veulent les mouvements d’extrême-droite qui ont armé un navire, le « C-Star », pour refouler les naufragés vers les « secours libyens », autre farce macabre. Gageons que, sous peu, le C-Star s’opposera au travail des navires des ONG, provoquant des incidents en mer, ce qui amènera les autorités à limiter encore plus l’activité des ONG pour « raisons de sécurité »...
Tout cela n’a qu’un but : criminaliser l’action des ONG, c’est les réduire à l’inaction, laisser les migrants se noyer sans témoins, les faire disparaître de la scène internationale.
Et la Libye ? La Syrie ? L’Afghanistan ? L’Érythrée ? Le Sud-Soudan ? Les guerres ? Les dictatures ? L’exode ? La misère ?
Peu importe.
Qu’ils meurent. Mais surtout loin de chez nous. Hors de notre vue.
Cela ressemble à un crime contre l’humanité, non ? Avec l’indifférence comme arme de destruction.
« Défendre l’Europe ! » Finalement, nos gouvernements parlent exactement comme les fascistes de Génération Identitaire et les mouvements d’extrême-droite.
L’Europe des Nations - la nôtre – est en train de perdre la bataille du cœur et de l’intelligence, celle des Droits de l'Homme. Il faudra un jour expliquer cela à nos enfants. Ce sera dur.
L’extrême-droite à l’assaut des migrants
par Jean-Paul MariL’extrême droite dépêche un navire pour entraver le sauvetage des migrants 11/07/2017 Un navire de 40 mètres affrété par des militants d'extrême droite est en route pour entraver le sauvetage des migrants au large de la Libye. | Infographie Ouest-France
Après avoir...
Abbas, jeune réfugié malade, expulsé en catimini vers Milan
par Jean-Paul MariURGENT: Un appel du Comité réfugiés de Montpellier.
Ils sont six, tous venus du Sud Soudan. Cela leur a pris des mois, des années pour atteindre la Libye où ils ont été exploités avant d'être forcés à embarquer dans embarcations qui ne méritent pas le nom de bateau.
Sauvés de la noyade, ils sont arrivés en Italie où on leur a pris leurs empreintes sous la contrainte et, de là, se sont rendus en France. Ils y sont depuis plus d'un an, progressent dans notre langue et ont une conduite exemplaire.
Il y a quelques mois, ils ont été envoyé à Montpellier
Sale campagne contre les ONG de secours aux migrants
par Jean-Paul MariQuand les migrants gênent, on dit qu’ils ont la rage. Ou que ceux qui les empêchent de se noyer en mer sont des criminels complices des passeurs. Depuis quelque temps, une série d’accusations visent les ONG dont les bateaux de...
Les ONG complices des passeurs en Méditerranée : le dossier qui a fait pschitt ?
par Jean-Paul MariGénération identitaire veut empêcher les bateaux d'ONG d'aller en Méditerranée secourir les migrants, cagnotte en ligne à l'appui. Face au silence des politiques, des militants se demandent si des solutions juridiques existent.
Comment empêcher les identitaires de saborder le sauvetage des migrants en Méditerranée ?
Migrants : de la banalisation de l’horreur
par Jean-Paul Mari
C’est un navire de sauvetage en mer – l’Aquarius – qui fait route vers Trapani, son port d’attache en Sicile. Habituellement, sur le chemin du retour, on se sent soulagés. Une rotation de trois semaines de mer, des sauvetages réussis, des vies sauvées, un équipage fatigué, des bénévoles, des médecins et des marins pressés de souffler.
Et puis soudain, un appel, un de plus, le dernier.
Le bateau se déroute, bien sûr. Sans savoir ce qu’il va affronter. L’appel du centre maritime de Rome parle de deux canots pneumatiques en détresse. Saletés de radeaux flottants en plastique que les passeurs jettent sur la mer, chargés d’au moins cent personnes, souvent plus. Il faut faire vite. Les sauveteurs savent faire. La routine, hélas.
Sauf que la marine militaire italienne informe qu’il y a de « nombreux cadavres à bord de l’un des canots». Un sauvetage de migrants en Méditerranée, face aux côtes libyennes, c’est une affaire toujours une affaire de vie et de mort. Là, en prime, il y a l’horreur.
À travers les rapports publiés par SOS MEDITERRANNEE, MSF ou le récit de l’envoyée spéciale du journal Le Monde présente à bord, on comprend le choc que les sauveteurs ont eu en découvrant le canot en plastique en train de couler. Souvent, ces pneumatiques surchargés dérivent au gré des courants, moteur en panne, boudins percés, dégonflés. Leur fond en plastique, tapissé de mauvaises planches, se casse en deux comme une boite d’allumettes.
La masse des migrants glisse inexorablement vers le centre, creuse le radeau qui s’enfonce, balayé par les vagues. Au milieu, des femmes, censées être mieux protégées. L’eau monte dans le canot, la panique fait le reste, les migrants se noient, piétinés au fond de l’embarcation.
Ils sont partis de Libye vers minuit. Vers cinq heures du matin, c’est le fond du bateau, troué, qui a lâché, l’eau a grimpé et soulevé le plancher flottant. Le premier canot de sauvetage découvre des hommes et des femmes terrorisées qui se débattent dans un mélange d’eau de mer, de vomi et de carburant, cette essence puante qui les intoxique, les fait délirer, les tue.
Au fond du canot, 22 corps, dont 21 femmes. Les autres ont des regards hallucinés. Ils ont passé près de six heures à côté des morts, un compagnon, une épouse, une sœur. Quand ils arrivent à bord de l’Aquarius, la plupart n’arrivent pas à marcher, d’autres tiennent des propos incohérents. Des survivants hagards, qui n’ont rien mangé ou bu depuis des jours et qu’on douche à grands jets, pour essayer de les débarrasser de cette saleté d’odeur d’essence qui empuantit le pont du navire. Une odeur de mort.
Bien sûr, l’Aquarius a sauvé, ce mercredi 20 juillet, 209 personnes, dont 50 mineurs, des Africains qui fuyaient le Nigeria, la Côte d’Ivoire ou la Guinée-Conakry. Mais les rescapés et leurs sauveteurs ont fait le voyage du retour avec vingt-cinq sacs mortuaires sur lesquels on a tracé à la craie un numéro et un début d’identification. Sauveteur ou migrant, personne ne pourra oublier ça.
À terre, cela semble plus facile. Vingt-deux migrants morts de plus…allons, cela ne change vraiment pas le « score » des trente, quarante mille noyés en quinze ans, 2014, non ? Il y a dix ans, l’affaire nous aurait secoués et les éditorialistes auraient interrogé les consciences et les politiques. Aujourd’hui, à l’exception du récit du Monde, cela fait une courte dépêche AFP, quelques lignes d’une brève dans les quotidiens, peut-être une phrase en fin de journal…L’horreur se banalise.
Puisque le cœur nous manque, regardons les chiffres. Cette année, 80 000 hommes, femmes et enfants ont traversé la mer jusqu’en Italie (HCR). Depuis 2014, 10 000 sont morts ou sont portés disparus en tentant de gagner l’Europe par la mer, notre Méditerranée.
Dix mille…Plus vingt-deux, ce mercredi d’été. Dont vingt et une femmes. Victimes des guerre du monde, de la misère de l’Afrique, des passeurs libyens, de radeaux de plastique puant le vomi et l’essence. Victimes enfin de notre goût du confort. Et de cette formidable capacité, que nous avons développé, à accepter l’inacceptable.
JPM
Edito: « Quand la vague grossit », par Jean-Paul Mari
par Jean-Paul Mari
Ce matin-là, la mer, calme et sans vent, s’est mise à résonner d’appels radio d’embarcations en détresse relayées par le centre maritime de Rome. Un, deux, trois, dix, onze « Zodiacs » sont apparus, venus de nulle part, puisque venu de Libye, cette terre de cauchemar pour les migrants, ce pays hors du temps et de l’espace des hommes.
Onze canots pneumatiques en mauvais caoutchouc. De gros boudins qui fuient de toutes parts, se dégonflent, s’aplatissent comme des jouets de plage crevés. Une toile molle en guise de sol renforcée par un parquet de planches vissées à la diable, pointes en l’air, histoire d’interdire le repos et de transpercer les chairs. Onze radeaux humains chargés chacun de plus de cent personnes, hommes, femmes et enfants, déjà tétanisés par le froid, la soif, la faim, le mal de mer et la panique.
Tous les navires présents face à la côte libyenne ont cherché les migrants perdus, en se dépêchant de les trouver avant de ne rencontrer qu’un trou dans l’eau. Les bateaux de guerre de l’opération Sophia, chargé de traquer les passeurs et ne rencontrent que des naufragés, le « Dignity I », le navire de MSF et l’Aquarius de SOS MÉDITERRANÉE qui patrouillaient dans la zone. En quelques heures, mille cinq cents naufragés sont secourus, mis au sec, soignés et dirigés vers les centres d’accueil de Sicile.
En huit rotations, l’Aquarius prend à son bord des femmes en état d’extrême fatigue, des mineurs dont un enfant de trois ans et six hommes présentant des fractures aux bras à coup de gourdins et des traces de torture sur tout le corps, souvenir de Libye. Depuis le début de cette campagne, l’Aquarius a récupéré 1403 migrants promis à la noyade.
Un matin de mer calme, onze « zodiacs » sur l’eau d’un coup...chaque printemps produit le même effet qu’on s’acharne à qualifier de « surprise ». Un peu comme la bataille des chiffres de l’emploi, les organismes officiels s’attachent à noter ici ou là une baisse des arrivées, un jour sans, un fléchissement...rien n’y fait.
La réalité est que l’Italie a déjà accueilli 31000 réfugiés depuis le début de l’année et 2000 d’entre eux sont partis de la lointaine Égypte, dix fois plus que l’an dernier à la même époque, pour un voyage plus long, donc plus dangereux encore.
Combien se sont noyés ? Combien ont disparu sans pouvoir lancer d’appel radio, sans laisser de trace, sans un chiffre, sans un nom, sans un mot ? Combien de trous dans l’eau ? On dit déjà 800, on disait près de 4000 l’an dernier. On estime. On ne sait pas. Chez nous, un seul disparu mobilise tout un service de police ; en mer, c’est une petite virgule sur le cahier des petits comptables de la mort.
Une chose est sûre, les prévisions « rassurantes » sont déjà fausses et la Méditerranée connaît un nouvel afflux de réfugiés.
Quand la mer est calme, la vague des migrants grossit.
JPM
Sauvetage tragique
par Jean-Paul MariCrédit photo : Patrick Bar / SOS MEDITERRANEE Sauvetage tragique en Méditerranée Dimanche 17 avril, au lendemain d’un sauvetage de 116 personnes, l’Aquarius de l’association SOS MEDITERRANEE et son partenaire médical Médecins du Monde a procédé à un nouveau...
Aquarius: Le journal de bord en images
par Patrick BarPatrick Bar a rejoint SOS MEDITERRANEE à bord de l'Aquarius depuis son départ de la mer du Nord. Jour après jour, il photographie la vie à bord de l'Aquarius, les opérations de sauvetage et les réfugiés avec pudeur et talent. Il nous livre ici son journal de bord de l'Aquarius.
Sauvetage en Méditerranée
par Patrick BarPatrick Bar, photographe bénévole de "SOS MEDITERRANEE", a embarqué en janvier dernier sur l'Aquarius, le bateau de l'Association. Photo reporter confirmé, il nous offre un magnifique clip vidéo sur les récents sauvetages.
L’Edito: « Le prochain sauvetage », par Jean Paul Mari.
par Jean-Paul Mari
Il est déjà minuit, la mer est calme et je ne parviens pas à trouver le sommeil. A terre, sur la côte libyenne, les migrants se préparent à tenter la grande traversée. Je les imagine d’abord parqués dans cette grande baraque dans les dunes, là où les passeurs les font attendre des jours, parfois des semaines. Cette nuit, ils sont plusieurs centaines, Nigérians, Ghanéens, Gambiens, Maliens, Ivoiriens, Camerounais. Hommes, femmes, enfants, bébés.
On les fait sortir sous escorte. Des Libyens armés de kalachnikovs ont ordre de ne pas laisser s’approcher les groupes rivaux qui veulent leur voler les migrants. Pour les revendre, les faire travailler, les enrôler dans leurs milices. Sur la plage, une demi-lune éclaire faiblement l’eau noire. Et les réfugiés découvrent cette mer qu’ils n’ont jamais vue. A cent mètres du rivage, les « Zodiacs » les attendent, deux boudins de mauvais plastique, un vieux moteur, un plancher de fortune.
Derrière eux, ils entendent les détonations des combats. L’escorte contre les milices. Les passeurs leur ordonnent d’entrer dans l’eau qui leur arrive jusqu’au nez. Les migrants ne savent pas nager. Tous pataugent, s’agrippent, se battent, certains se noient. En posant le pied à bord, un homme crie de douleur, le pied troué par les longues vis qui pointent au fond du Zodiac. On s’entasse.
Il est déjà trois heures du matin. L’esquif a pris la mer, sans les passeurs - pas fous ! - qui ont laissé la barre à un des hommes.
Deux heures plus tard, le Zodiac est déjà en détresse. On colle des rustines sur les boudins percés qui se dégonflent, le moteur cafouille, les planches du sol cèdent et déchirent le plastique. À bord, tous sont malades. Leurs vêtements trempés dès le départ, le vent, le froid qui les tétanise, les vagues qui les font vomir, l’obscurité sur l’eau qui les terrifie. Il est 6H11, l’heure où le jour pointe sur Tripoli. Le pilote a lancé un SOS et, quand il a un GPS, donné sa position.
6H15, message radio du centre maritime de Rome à tous les navires sur zone : « Embarcation pneumatique en détresse. Une centaine de personnes. Extrême vigilance. Coordonnées... »
Sur l’Aquarius, les veilleurs balaient la mer de leurs jumelles et le capitaine pousse les machines en affinant son cap.
Un cri. Les voilà. Ce petit point blanc là-bas qui s’enfonce sur la mer. L’eau clapote au fond du Zodiac. Ils sont déjà à deux doigts de sombrer. L’équipe de secours met son premier canot à la mer.
Il est déjà sept heures du matin. Moi, je suis revenu à terre. Je ne verrai pas le prochain sauvetage. Mais l’Aquarius est en place. Je peux enfin m’endormir.
JPM
« SOS MEDITERRANEE » prolonge sa mission jusqu’à la fin 2016
par Jean-Paul MariL'association SOS Méditerranée qui a affrété un navire pour secourir des migrants en mer, va poursuivre sa mission jusqu'à la fin 2016.
Le contrat d'affrètement a été signé pour trois mois et doit s'arrêter fin avril, mais « forte de cette première expérience et au vu du nombre de vies à sauver, l'association a décidé de poursuivre sa mission jusqu'à la fin de l'année », écrit-elle dans un communiqué.
L’Editio. « Lettre à ma mer », par Jean Paul Mari.
par Jean-Paul MariAh ! Te revoilà, toi ! Mais où étais-tu donc passée? Depuis qu’on a pris le chemin du retour vers la Sicile, tu nous refais les yeux doux et le dos rond. Les 1817 tonnes de l’Aquarius glissent sur une mer lisse, une eau bleue miroir, sans un souffle de vent.
Ce matin, après une nuit sans cauchemars, j’ai écarté les rideaux de ma cabine sur un ciel transparent et léger. Dehors se profilait le paradis. Levanzo, Marettimo et Favignana, les îles des Égades à l’ouest de la Sicile, ses plages dorées, son vin noir et ses rougets frits. Surpris, j’ai écouté. Pas un craquement, plus le moindre signe de cette colère qui tourmentait la grande carcasse d’acier de notre Aquarius.
Il y a quelques heures à peine, face aux côtes libyennes, je ne t’ai pas reconnu sous ta lumière grise, les lèvres ourlées d’une bave d’écume et le creux de tes vagues grimaçant un vilain rictus mortuaire. J’étais abasourdi. Notre mer la Méditerranée ne m’avait pas élevé avec autant de dureté. Et ce vent, ce vent ! Sifflant comme Scylla quand elle saisit les naufragés et les noie sans pitié.
Ce matin-là, ce n’était même pas des marins, mais des Africains à la dérive. Ne savaient même pas nager ! Leur moteur cafouillait, leur Zodiac dégonflé fuyait de toutes parts, radeau du désespoir qui convulsait sur l’eau comme un animal à l’agonie. Ils n’avaient aucune chance! Et toi, tu t’acharnais. L’Aquarius est arrivé juste à temps. On te les a arrachés.
Et la nuit, sur le pont de notre bateau, je les ai écoutés. D’abord, Priscille, et son bébé de trois mois, prénommée « Bénédiction », partie du Cameroun son bébé à peine né, pour fuir un mariage forcé, pour lui donner une vie où elle aura le choix. Et Willy, cinq ans, rivé au bastingage face à l’inconnu me demandant « s’il y avait des poissons dans la mer qui mangent les hommes ? »
Et l’autre, gaillard de vingt ans, fils de grand magistrat, père décédé et mère ruinée, dépossédée, escroquée par son oncle, qui a décidé de trouver l’argent pour réparer l’injustice. Et Siku, le Nigérian, qui a fui Boko Haram. Comme Cyril, le Camerounais, Chrétien, lui aussi menacé par les islamistes.
Cyril, frappé par le syndrome libyen, racisme, séquestration, viols et « maisons de torture ». Cyril, qui parle comme un docteur en philosophie en racontant à voix basse les milices et les tueurs de Daech, les migrants forcés de prendre les armes pour jouer la chair à canon.
Et ces pauvres bougres qu’on drogue pour les transformer en tortionnaires de leurs frères. Ainsi dans ces formes qui dorment autour de nous enroulées dans des couvertures, il y aurait côte à côte torturés et tortionnaires ? Et Cyril a fait oui de la tête.
Dehors, la mer grondait, ricanait et je ne la reconnaissais plus. Pour ne pas la haïr, je me suis forcé à me rappeler les dauphins venus à notre encontre lors du sauvetage du Zodiac. Un, deux, trois, quatre puis cinq dauphins qui se sont placés juste devant la proue du bateau.
Sont restés là longtemps. Jusqu’à ce qu’on le trouve. Pour nous montrer le chemin.
JPM
L’Edito: « Quand volent les migrants », par Jean Paul Mari.
par Jean-Paul MariQu’ils sont sages et disciplinés nos réfugiés ! Sur le pont de l’Aquarius, ils sont 118 à faire la queue, baluchon à la main, tête enfouie dans une couverture grise, à balancer au gré de la houle leur marche des sépulcres. Devant eux, l’île de Lampedusa, la mer, et le bastingage de bâbord à enjamber.
L’Aquarius a navigué toute la nuit à vitesse réduite, histoire de ne pas déranger leur sommeil de revenants. Les vagues nous ont d’abord bercés, avant de nous réveiller, au petit matin. Le mauvais temps était de retour. Le vent nous interdisait l’entrée dans le port. Il fallait trouver un endroit à l’abri derrière l’île et transborder nos rescapés vers deux grosses vedettes des garde-côtes qui attendaient.
Les migrants, pourtant habitués à tout, ont un peu écarquillé les yeux en voyant les membres de l’équipage italien en combinaison blanche, gants de plastique blanc et masques sur le visage. L’un d’eux, plongeur, était tout d’orange vêtu, une caméra go-pro fichée au sommet du crâne. Un doux mélange du principe de précaution et de règlement sanitaire. Le peuple des Martiens a tendu les bras au peuple des couvertures, quelques ordres en sicilien ont réglé la manoeuvre et le transbordement a commencé.
Les deux navires, bord à bord, montaient et descendaient au gré des vagues de trois mètres, leurs coques risquant à tout moment de se percuter, masses d’acier chacune capable d’écraser d’un coup toute une colonie de vacances.
On a commencé par les deux bébés que de rudes bras de marins ont cueillis avec la douceur d’une nourrice, puis leurs mères, un adolescent sans béquille, les jambes paralysées par la poliomyélite et enfin les hommes, parfois plus lourds que leurs sauveurs.
Sur l’Aquarius, marins et capitaine briefaient chaque candidat au grand saut : - « Tourne-toi ! Regarde-nous ! Descends l’échelle un pied après l’autre. Et lâche tout quand on te le dit...maintenant ! » Un bateau montait, l’autre plongeait et un corps volait dans l’intervalle, assuré par quatre paires de bras, au-dessus de l’eau qui écumait de rater sa prise.
Deux fois, nous avons dû changer de mouillage. Deux fois, le vent et les vagues nous ont rattrapés. La vedette et l’Aquarius sautaient comme des bouchons, mais les migrants volaient bien droit, atterrissant en douceur sur le pont de la vedette italienne, en terre d’Europe.
Au bout de deux heures d’acrobatie, les réfugiés ont terminé au chaud et nous en sueur. L’Aquarius était vide. Les marins des deux bateaux se sont applaudis, soulagés, les migrants ont dit au revoir de la main, et on a vu s’éloigner le peuple des ressuscités, visages noirs d’ébène et sourires de nouveau-nés.
Le capitaine Klaus, responsable de l’Aquarius, les a longtemps suivis d’un regard où se lisait à la fois soulagement et révolte : «Vaudrait mieux qu’ils voyagent en avion, non?»
JPM
L’edito : « La flottille des désespérés », par Jean-Paul Mari.
par Jean-Paul MariAujourd’hui, il s’est passé quelque chose d’effrayant. La confirmation de ce que redoutions. Hier, en regardant la mer qui se lissait sous nos yeux, l’absence de vent, le ciel bleu et sans nuages de la Méditerranée retrouvée, on a compris. Après une semaine de mauvais temps, les migrants allaient pouvoir se jeter à l’eau.
Devant nous, sur la côte libyenne, les passeurs piaffaient, pressés de reprendre leur commerce des hommes. Leur traite. Là-bas, des Africains, candidats au départ, attendaient, entassés dans des bicoques près de la plage, la peur au ventre. Peur de la brutalité des passeurs, peur de ne pas partir, peur de continuer à endurer leur calvaire dans l’enfer libyen. Il a suffi d’une journée d’accalmie, une seule. Et c’est toute une flottille qui a pris la mer.
Sur la passerelle, les messages du MRCC, le centre maritime de Rome, parvenaient à la cadence d’une agence de presse. 5H50 : « bateau en détresse- position inconnue – vigilance ». 6H10 : deux bateaux en détresse – position »...trop loin pour nous ! 8H00 : « un Zodiac secouru par Marine italienne ». Ouf ! Un répit. 8H38 : « Nouveau bateau en détresse. Lat : 32° 55’ N / Long : 012° 30 E». Un autre ? Oui, un autre. Dans la même zone.
Ils sont partis de l’Ouest de Tripoli. Sans doute des plages de Zuwara, la route la plus courte vers la Sicile. Rome nous demande de filer plein ouest, pour aller à leur rencontre. 9H13 : « Deux autres bateaux en détresse... » On fonce à dix nœuds en poussant nos machines. La mer bruisse d’appels radio. Les navires militaires de l’Opération Sophia sont eux aussi à la manœuvre. Trop de Zodiacs sur l’eau, trop de naufrages possibles. Rome distribue, coordonne. Et on arrive à temps.
Le voilà, sa masse grise de fragile jouet de plage perdu entre deux vagues. Premier repérage en canot. Ils sont nombreux, il y a des hommes, des femmes, des gosses, des bébés. On charge 120 gilets de sauvetage. Et peu après, ils arrivent. D’abord les deux nourrissons extraits du fond du Zodiac. Et deux enfants de 2 et six ans, Erwan et Willy, de Centrafrique. Leur mère monte à bord, fait des gestes pour dire qu’on leur a tiré dessus, s’effondre.
Dora, une jolie Nigériane, s’écroule elle aussi en pleurs, sans pouvoir dire un mot. Souleimane remercie le ciel par une prière à même le plancher du pont. Et il faut porter un jeune de dix-huit ans, atteint de polio, et qui a perdu ses béquilles en Libye. Certains sont plus forts, sourient, remercient comme ce groupe venu de Yaoundé au Cameroun. Mais tous sont trempés jusqu’aux os, grelottent au soleil, demandent une couverture, une bouteille d’eau, un biscuit.
On s’éloigne du Zodiac, dangereux, lesté d’un bidon d’essence qui fuit. Au fond du rafiot, toujours ces planches et ces longues vis, pointes en haut, assez longues pour déchirer pieds et jambes. Un marin de chez nous essaie de percer le boudin en mauvais plastique, déjà largement dégonflé. Le « Zodiac » ne serait pas allé bien loin.
A bord, on compte : 119 réfugiés, 13 femmes, deux enfants, deux bébés. Et les appels radio qui continuent à courir sur l’eau. Une véritable flottille en détresse. Et toute une mer qui gémit.
JPM
L’Edito: » Un gros bébé sur l’eau », par Jean-Paul Mari.
par Jean-Paul Mari
D’abord, il y a eu le silence. On était seul sur l’eau. Et la mer nous paraissait bien vide. Nos veilleurs guettaient la crête des vagues, à la recherche d’un point gris émergent, un Zodiac, avant que le creux de la houle ne l’enfouisse en son sein. Parfois, dans les jumelles, la silhouette d’un cargo, filant vers Tripoli.
Et à la nuit tombée, une lune qui inventait des ombres d’éphémères radeaux de rescapés. Et puis un matin, l’appel du MRCC, le centre maritime de Rome, pour nous signaler un Zodiac, cent personnes, en détresse. Trop loin de nous. Le temps sur l’eau est parfois synonyme de naufrage. On a poussé les machines, l’estomac noué.
Soudain, on les a vus, surgis de nulle part. Deux grands navires de guerre, un espagnol à l’est, un anglais à l’ouest, qui filaient vingt nœuds, le double de notre vitesse. Et ils fonçaient vers le minuscule Zodiac gris pris en tenaille. « Sophia », le nom a couru sur la passerelle. « Sophia », bien sûr, du nom de l’opération militaire lancée en mai dernier par l’Union Européenne dans la partie sud de la Méditerranée centrale, joliment siglée EUNAVFOR MED. Seize États membres, cinq navires de combat, un porte-avions, des hélicoptères, des militaires, des torpilles, des canons face aux côtes libyennes.
Objectif : identifier, capturer et neutraliser tout ce qui flotte et peut-être utilisé par des passeurs ou des trafiquants de migrants. Ils ont le droit d’arraisonner un bateau suspect, le sommer de s’arrêter, le fouiller et s’il y a soupçon, de le saisir. Une quinzaine de suspects ont déjà été remis à la justice italienne. La deuxième étape de l’opération, pénétrer à l’intérieur des 12 miles nautiques, une vingtaine de kilomètres, n’attend plus que le feu vert du Conseil de Sécurité et feu vert officiel de Tripoli.
Face à une telle armada...notre Zodiac paraissait bien fragile. Rome a demandé par radio à l’Aquarius de rester à l’écart, mais présent, en assistance, avec notre clinique médicale opérationnelle à bord. Puis les militaires ont commencé leur opération de sauvetage. Ouf de soulagement sur la passerelle. Ah ! bien. Les militaires savaient aussi secourir.
D’ailleurs, le très vilain nom de EUNAVFOR MED avait été rapidement remplacé par « Sophia », du prénom d’un bébé de réfugiés né à bord d’un navire de secours allemand en août dernier. Les jours suivants, ils étaient toujours là, visibles. Un Italien notamment qui nous accompagnait au gré de nos changements de cap. Le « Virginio Fasan » - navire amiral ! – portait le nom d’un commandant de la Deuxième Guerre mondiale qui avait préféré saborder son vaisseau plutôt que de le livrer aux Allemands.
Il ne nous quittait pas de ses jumelles. Le temps s’est soudain mis au beau, autorisant le départ des embarcations de réfugiés. Et l’Aquarius a dû aussitôt reprendre sa ronde et la veille. N’empêche.
L’Amiral nous fait parvenir un dernier télex pour « exprimer sa gratitude pour votre inestimable soutien apporté aux autorités italiennes dans cette difficile situation ». Finalement, Sophia ne manque pas d’élégance.
JPM
L’Edito: » A même la peau », par Jean-Paul Mari.
par Jean-Paul Mari
Quelque chose a changé sur l’Aquarius. Et pas seulement le temps. Du Grand frais, 7 sur l’échelle de Mr Beaufort, vagues de 5 mètres de haut, vent de 50 à 60 km/h, l’écume blanche soufflée en trainées et train de lames déferlantes.
Le navire monte, descend, roule et les coursives sont habitées par des hommes qui titubent, bras écartés, comme des alcoolos au petit matin. Non, ce n’est pas cette mer qui dérange. Plutôt un mouvement de houle qui vient de l’intérieur.
La flamme est toujours là, la volonté de faire intacte. Sauf qu’entre temps, l’Aquarius a hébergé 74 réfugiés. Et ce qu’ils ont dit, le peu qu’ils ont lâché, par bribes, sur leur calvaire, en mauvais français ou anglais, la gorge serrée ou pire, sur un ton apparemment détaché, a mis l’équipage face au réel de l’horreur. Depuis, tout le monde est plus silencieux. Et sait que chaque sauvetage apportera son lot de gifles.
Patrick, notre photographe, s’enferme parfois dans sa cabine. Lui, il savait déjà. Sur son écran, deux photo. Une, au petit matin, grisâtre, couleur du plastique du « Zodiac » du dernier sauvetage ; l’autre, en noir et blanc, une jonque en mer de Chine, bourrée de boat-people vietnamiens, surmontée d’un grand « SOS » noir écrit à l’huile de moteur sur un sac de jute. C’était
il y a 28 ans, sur le « Mary », un navire affrété par un mécène de Monaco. À Cergy-Pontoise, le jeune pigiste s’était lié d’amitié avec Monsieur Thanh, sauvé quelques années plus tôt et devenu cadre dans une société d’alimentation. En apprenant le projet en mer de Chine, Patrick s’est précipité. Il avait vingt ans. En un mois, le « Mary » a secouru 327 hommes, femmes et enfants.
Débarqué, un peu sonné, le jeune photographe a couru la Roumanie, la Somalie, le Cambodge et le Burkina Faso. Mais à l’époque, l’humanitaire n’était pas encore un métier. Deux enfants à nourrir, un poste à Nice-Matin, un autre à Ici Paris, des Boat-people au People et cette photo qu’il regardait souvent, en noir et blanc, couleur du tatouage qu’il s’est fait faire sur l’épaule droite : « SOS. Boat people. 1988 ». Aujourd’hui, le voilà en Méditerranée, sur l’Aquarius.
Ses cheveux et sa barbe ont blanchi. Des hommes dérivent toujours sur l’eau, mais on ne les appelle plus « réfugiés » mais « migrants ». Et quand on les a déposés à Lampedusa, Patrick le photographe a eu un haut-le-cœur en découvrant des voitures de police à côté des ambulances de la « Miséricordia ». Les rescapés vietnamiens circulaient librement dans le camp de réfugiés de l’île de Palawan aux Philippines, nos Africains migrants, eux, attendront leur sort dans un camp de rétention gardé par des Carabinieri.
Depuis, Patrick passe un peu plus de temps qu’avant dans sa cabine à éditer ses photos. Il a partagé son écran d’accueil en deux, la jonque de Chine d’un côté, le Zodiac de l’autre. Il pense souvent à son ami, Monsieur Thanh, aujourd’hui disparu. Et, à la première escale, il a juré de se faire tatouer un second « SOS ». Sur l’épaule gauche.
JPM
L’Edito: « J’ai mal à la Libye », par Jean-Paul Mari.
par Jean-Paul Mari
C’est l’histoire d’une gamine qui rêve devant une photo de magazine. On y voit un médecin assis à l’arrière d’un pick-up, en Afrique, un bras levé pour tenir une perfusion au-dessus d’un blessé. Et la petite fille se fait une promesse : « Un jour... » Rêve de gosse.
Anne a aujourd’hui 51 ans. Elle a fait médecine et 4 ans d’internat mais seule une matière l’intéresse, la médecine généraliste, loin des cabinets et des hôpitaux bien trop blancs. Ce sera l’Afrique, le Cameroun d’abord, la « Vallée des combats » où huit tribus animistes et très guerrières font une trêve, le jour de Noël, pour faire plaisir au toubab chrétien.
En Égypte, Anne fait escale, et y reste quinze ans, amoureuse d’un copte-orthodoxe son futur époux. Revenue en France, elle choisit la Normandie, pour leurs deux enfants, la mer et une tentative de médecin de campagne. Calais n’est pas loin. Et les premiers migrants souffrent d’épuisement, de tuberculose, de vieilles blessures et de terribles traumas psychiques.
Dans la tente de sa salle d’attente, les adultes s’emparent des crayons pour enfants et dessinent des bateaux qui coulent et des hommes qui se noient. Alors quand elle apprend que l’Aquarius, le navire affrété par SOS MÉDITERRANÉE, part en campagne...
La Méditerranée, notre mer pleine de grâce, sait aussi se montrer cruelle. La tempête empêche les départs des migrants. Docteur Anne en profite pour distribuer de l’anti-mal de mer et briefer son équipe de « Médecins du Monde », Stéphanie, l’urgentiste mexicaine, les infirmières Céline et Maryse et Richard, un logisticien de choc. Au matin du onzième jour, le réveil est brutal. Un Zodiac, sur l’eau, bourré de réfugiés.
Un quart d’heure plus tard, la clinique de bord est opérationnelle et voilà les premiers rescapés qui arrivent. Dans quel état ! Ils titubent, raides, le regard vague, trempés jusqu’aux os, tétanisés par le froid, s’effondrent sans un mot. On déchoque une femme enceinte, on recoud le pied d’un homme transpercé par les clous au fond du Zodiac, on panse toute la misère du monde.
Anne sait écouter les migrants. Les hommes lui racontent l’horreur, par petits bouts, la faim, la soif, les coups, la torture, l’humiliation dans les geôles libyennes. Les femmes, elles, ne disent pas un mot. La plus jeune, la plus jeune, se cache, roulée ne boule sous la table d’examen.
- « Où as-tu mal ? »
- « Je n’en peux plus.»
- « Un homme t’a fait du mal ? »
-« Je n’en peux plus !»
La gamine est enceinte. Anne comprend qu’elle a été violée. Comme toutes les autres rescapées. Le médecin de Calais revoit les terribles dessins faits par les migrants de la jungle, clairs, précis, souvenirs intacts. Traumatisés.
Le lendemain, sur le port de Lampedusa, médecins et réfugiés s’appellent par leur prénom et s’embrassent. Et Anne fait passer de petites notes médicales aux autorités sanitaires italiennes : « attention à celui-ci, blessé...attention à celle-là, fragile. » Le bateau, vide, est revenu sur la mer démontée face à Tripoli.
Malgré ses vingt-cinq ans de carrière, Anne confesse qu’elle n’a jamais vu de tels maux, une telle détresse. Une sorte de syndrome inconnu. Comme cet homme jeune venu la voir en consultation. Une fois, deux fois, trois fois, le médecin a demandé :«De quoi est-ce que souffres?»
Et le jeune migrant a fini par répondre : « J’ai mal à la Libye. »
JPM
L’Edito: « Ô rage… », par Jean paul Mari.
par Jean-Paul Mari
Le temps de la mer n’est pas toujours celui des hommes. Deux jours que nous avons quitté l’escale de Lampedusa où nous avons déposé nos 74 réfugiés sains et saufs. L’Aquarius a poussé sans moteur de 2300 kw pour filer toute la nuit et arriver à 6 H00, pile à l’heure où les migrants atteignent les 20 miles au large de la côte libyenne.
Peine perdue. La mer creusée, le vent violent, empêchaient tout départ des fameux « Zodiacs » qui ne sont que des bateaux pneumatiques, façon gros jouets de plage. Têtu, notre navire a recommencé à patrouiller, d’est en ouest, d’ouest en est. Et la Méditerranée a pris en soirée une vilaine couleur grise. Ce matin, le froid est arrivé, moins de 14 °. Pour partir, les migrants sont obligés de se jeter à l’eau et de nager le plus vite possible jusqu’à leur embarcation ancrée loin de la plage.
À peine arrivé à bord de l’Aquarius, Moussa, un ancien footballeur ivoirien s’est effondré. Il venait de perdre ses deux frères. Les militaires les avaient rafalé sur la plage. Quand les fugitifs finissent par grimper dans leur Zodiac, ils sont déjà terrorisés, épuisés et trempés jusqu’aux os. La nuit, le froid, le vent font le reste. La mer est cruelle. Et moi, j’enrage. L’Aquarius est condamné à faire des ronds dans l’eau, parfois sous l’eau.
Comme dans le mess où chaque vague de quatre mètres submerge les hublots en vous donnant l’impression de vivre à l’intérieur d’une machine à laver. On reste là, à regarder les petites bulles d’air qui tourbillonnent vers la surface, avec l’étrange sensation d’être un noyé. Et cette météo qui annonce des vagues de six mètres !
Déjà mal à l’aise sur ma table d’écriture qui joue les rocking-chairs, je me vois mal faire l’ascenseur entre le rez-de-chaussée et le deuxième étage. Bah ! La mer n’est pas un animal domestique.Tripoli n’est pas une station de métro et on ne peut pas demander aux migrants d’annoncer l’heure et le lieu de leur arrivée. De préférence en soirée, juste avant le journal de vingt heures !
D’un côté, cette absence nous rassure. Pas de radeau sur l’eau, pas de naufrage. Nous sommes là pour secourir ceux qui se noient, pas pour « faire du chiffre ». Sauf que l’équipage sait que ce n’est pas par manque de prisonniers sur la plage. Ils sont là, impatients d’embarquer. Et ils souffrent.
Il suffit d’écouter les récits de Assiz, Moussa, Zenawi...tous disent que la Libye et un enfer. Et que chaque jour qui passe est une épreuve. Je les imagine, hommes et femmes, coincés dans le baraquement où les passeurs les entassent, regardant comme nous la mer pour savoir quand leur calvaire finira.
Demain ? Oui, demain, peut-être. La Méditerranée devrait se calmer. L’Aquarius, notre navire, est au bon endroit. Nous sommes là. La rage, oui, mais sans le désespoir. Et tant pis pour le journal de vingt heures !
JPM
L’Edito. « Entre Thawarga et Calais », par Jean Paul Mari.
par Jean-Paul MariJ’ai quitté Assiz sur le quai du port de Lampedusa. À travers la vitre du bus qui emmenait les réfugiés au camp de rétention, je l’ai vu rire comme un gamin en exhibant son tee-shirt « j’aime pas le lundi ». L’Aquarius a aussitôt largué les amarres et filé plein sud vers la Libye. Sans ses 74 migrants, le navire semblait un peu vide. Allongé sur ma couchette, j’avais du mal à dormir même après une nuit sans sommeil.
Je repensais aux sept années de cavale d’Assiz, de sa Guinée natale jusqu’à l’enfer libyen, son kidnapping, la détention, la torture, les cicatrices sur son visage. Soudain m’est revenu, très clair, le souvenir d’un reportage pendant la guerre là-bas. D’abord la longue route côtière qui suivait l’itinéraire des batailles jusqu’à la chute de Khadafi le bouffon sanguinaire. On longeait la mer de Tripoli à Misrata, ville martyrisée par un siège de quarante-cinq jours.
Un peu avant s’élevaient des colonnes de fumée noire des ruines de Thawarga, cité fantôme autrefois peuplée de trente mille habitants. Plus aucun humain dans les rues vides. Des chiens errants, des ânes, des vaches affamées, à l’abandon. Et dans le salon de cette villa où j’avance un pied prudent, un grand tapis moelleux occupé par un mouton mort de soif. Je me souviens de la mort et de la désolation. Partout des villas saccagées, la vaisselle fine brisée, le mobilier pillé, les rideaux arrachés, les lits couverts de merde. Sur le fronton d’une maison, une main avait écrit : « Negros. Esclaves. »
Thawarga a toujours été une cité de lépreux. C’est ici qu’on regroupait les esclaves arrachés à l’Afrique tropicale, ici que leurs descendants se sont sédentarisés. Des immigrés de l’intérieur à la disposition des notables arabes locaux. Un cortège de domestiques, de manœuvres et de filles à abuser. Khadafi s’en est servi pour enrôler de force ses hommes de main. Pour leur malheur. J’ai tourné longtemps dans la poussière de Thawarga.
Le vent des combats chargeait l’air de fumée grasse, de sable et d’électricité. Venu des dunes, il soufflait sans faiblir. Si longtemps que les arbres poussaient inclinés vers la mer. Si fort qu’il avait fait basculer le talus du chemin de fer en construction. Ce vent du désert rendait fou. Et la nuit, au coin d’un feu puant l’essence, les combattants de la katiba de Misrata s’excitaient à coups d’histoires de mercenaires africains, de récits d’exactions épouvantables, de trahison et de complots. Ah ! la faute aux Noirs bien sûr !
Après la victoire finale, les « combattants de la démocratie » ont dévasté la ville sans défense qu’ils ont rebaptisée « New Misrata ». Thawarga avait trahi, Thawarga devait disparaître. En quittant la cité en ruines, j’ai pu lire sur un mur en grosses lettres l’objectif de cette noble bataille : « Épurer la ville de ses esclaves à la peau noire. »
L’Aquarius est arrivé à l’aube devant les côtes libyennes, pile à l’heure où les migrants se jettent à l’eau. Mais la Méditerranée était mauvaise et ses eaux vides. On est resté là à se dandiner sur les flots, face aux immeubles de Tripoli qu’on voyait à l’œil nu. Allez ! Venez, camarades migrants, si vous y tenez. Calais, pour un Noir, c’est pas terrible, je sais. Mais c’est toujours mieux que le vent du désert libyen.
JPM
L’Edito: Douzième jour : « J’aime pas le lundi », par Jean-Paul Mari.
par Jean-Paul MariQuand on l’a hissé sur le pont de l’Aquarius, mouillé et fripé, il grelottait. L’un de nous lui a enlevé son blouson en mauvais nylon pour l’enrouler dans une couverture. Sous sa veste, il portait un tee-shirt blanc inscrit : « J’aime pas le lundi ». J’ai regardé ma montre, il était 6h40 ce lundi 7 mars. Plus tard, les réfugiés dormaient, assommés, la tête enroulée dans une serviette éponge, ne se réveillant que pour demander à boire, à manger, une aspirine.
Assiz a étalé son tee-shirt sur le pont pour les sécher. « J’aime pas le lundi » éclatait au soleil. Torse nu, il est sec comme un migrant en cavale. La sienne a duré sept ans. Depuis sa Guinée natale, vers le Sénégal, la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie jusqu’en Libye. Avec des allers-retours entre les pays au gré des expulsions policières et du travail dans les champs. Il avait 18 ans, il en a 25. Assiz a survécu, il a tout encaissé.
Même en Libye, le seul pays capable d’effacer son sourire d’adolescent. Il dit le racisme, les civils armés, les hommes qui vous crachent dessus, frappent et rackettent, les gosses qui vous pointent une lame sur le ventre - « Donne l’argent, sale négro ! » - au milieu de respectables vieillards qui sourient au turbulent gamin. Et les « Maisons de torture ». Assiz est kidnappé, revendu, séquestré, affamé, fouetté, torturé. On lui tend un téléphone pour appeler sa famille en exigeant une rançon. Cela tombe bien, son village n’a pas le téléphone et sa mère pas un sou.
Assiz est un mort en sursis. Et il se réveille le matin, le corps et le visage couvert de cicatrices, entouré des corps de ceux qui n’ont payé assez vite. Au bout de trois mois, il réussit à s’évader. Il se cache, réussit à récupérer huit cents euros pour payer un intermédiaire qui encaisse et disparaît, trouve l’argent pour un deuxième voyage et le voilà, en pleine nuit, pieds nus sur une plage près de Tripoli.
Le passeur libyen lui montre le « Zodiac » posé sur la mer, gros jouet de plage normalement interdit de navigation. Les migrants ne savent pas nager. Ils entrent dans l’eau, pataugent, s’agrippent, se battent, coulent. « Il y a eu deux ou trois noyés cette nuit-là », dit Assiz. Ceux qui réussissent à grimper dans l’embarcation découvrent un plancher fixé par de longs clous, pointes vers le haut, véritable tapis de fakir qui interdit de s’allonger.
La première déchirure du plastique est survenue à l’aube...l’Aquarius est arrivé à temps. Assiz remet son tee-shirt blanc : « J’aime pas le lundi » et retrouve son sourire face au port de port de Lampedusa: « Je me sens comme un bébé qui vient de naître. » Moi, je pense à Donald Tusk, président du conseil européen, qui a annoncé que les « migrants économiques » ne passeraient plus par la route des Balkans.
La Turquie a réussi son chantage. Elle a obtenu de l’argent et des visas ouverts pour l’Europe, et promis d’interdire la mer vers Lesbos. La Libye restera le chemin. L’Aquarius, lui, fonce à 10 nœuds, plein Sud, vers la côte libyenne. Le soleil brille et la mer est calme.
Nous serons sur zone dès demain 6H00 du matin, à l’heure pour les migrants. Cela me rassure. Moi, j’aime bien les lundis.
JPM
L’Edito: « Premier sauvetage », par Jean Paul Mari
par Jean-Paul Mari
Au fond du Zodiac, trois jerricans d’essence et des planches croisées en renfort de la toile. Et pour les fixer, des clous de dix centimètres, de longues pointes qui percent et... pointent vers le haut. Infernal tapis de fakir qui interdit aux passagers de s’allonger ou de s’asseoir pendant un voyage qui peut durer plusieurs jours. Celui-ci, heureusement, n’a pas été aussi long.
Dès 5H34 ce matin, nous avons reçu un appel du centre maritime de Rome. Deux Zodiacs en détresse, au large de Tripoli, là où nous patrouillons. L’Aquarius a filé vers la position indiquée à la recherche de cette aiguille sur l’eau.
6H15 : nos veilleurs sur la passerelle discernent le gris d’une embarcation.
6H31 : notre canot de sauvetage est à l’eau. D’abord une première navette, pour vérifier l’état du bateau, rassurer les migrants et leur distribuer des gilets de sauvetage. Puis le transfert peut commencer.
À bord, ils sont 74, entassés, dont 10 femmes. Le plus jeune n’a pas quinze ans. Gambiens, Sénégalais, Maliens, Ivoiriens, Guinéens. Il était minuit à peine quand ils ont embarqué d’une plage près de la capitale libyenne. Et déjà, les voilà transis de froid, les lèvres pincées, malades du mal de mer, paniqués par cette immense étendue d’eau qui monte et qui descend. Du Zodiac, on extrait deux femmes enceintes et deux hommes méchamment blessés, le pied transpercé par ces saletés de clous.
Il faut calmer les autres, les empêcher de sauter à l’eau ou de se jeter sur l’échelle de coupée, au risque de chuter et de se faire broyer entre le canot et la coque du navire. Jean, le marin, a pris la place du pilote et Zenawi notre interprète, l’ancien réfugié, ne cesse de leur parler. Les rescapés n’ont qu’une hâte, quitter ce radeau de l’enfer.
« Mais pourquoi est-ce qu’on construit ce genre d’engin ? » demande, sidéré, Majd le Syrien, marin professionnel. Le plastique du Zodiac est de piètre qualité, le moteur faiblard et les planches cloutées cisaillent le boudin. À l’intérieur, on clapote dans l’eau sale. Déjà, on aperçoit une déchirure au niveau de la ligne de flottaison qui s’enfonce doucement sous le poids de l’eau de mer que le rafiot embarque. Il faut faire vite. En deux heures, tout le monde est amené à bord. Les blessés envoyés aux urgences, avec deux hommes et une femme choqués, les yeux vagues, qui ne peuvent plus marcher ou parler.
Une nuit, une toute petite nuit de voyage... ce radeau n’aurait pas tenu deux jours ! L’angoisse nous prend en pensant au deuxième Zodiac dont on n’a plus de nouvelles. À bord, tout le monde tente de cacher son émotion, les infirmières, les membres de l’équipe de secours et même les rudes marins de l’Aquarius. Surtout quand un des réfugiés tombe à genoux sur le pont, les bras levés, pour remercier le ciel, en pleurant de joie.
Premier sauvetage de l’Aquarius
par Jean-Paul MariL'appel du centre maritime de Rome a été reçu très tôt ce matin, vers 5H34 heure française. Deux Zodiacs en détresse au large des côtes libyennes. Nous faisons route immédiatement vers le point signalé. Une demie heure plus, ils sont...
L’Edito.Neuvième jour: « Ma nuit sur l’Aquarius », par Jean-Paul Mari.
par Jean-Paul Mari
J’ai passé une toute nuit avec l’Aquarius. À parcourir le navire de la proue à la poupe, monter et descendre les cinq niveaux du pont supérieur à la salle des machines. J’ai découvert un animal puissant et docile, lourd de plus de 1800 tonnes équipé de quatre générateurs et d’un moteur de 2300 kw qui le fait ronronner comme un gros chat.
Précisément, en passant les doigts sur son nom fraîchement repeint, l’ « Aquarius », j’ai retrouvé son ancienne appellation martelée sur la tôle blindée : « Meerkatze ». Quelque chose en allemand comme « mer-chat », un félin de la mer, un fauve, mais aussi le nom allemand d’un singe rare qu’on trouve au cœur des forêts de Nouvelle-Guinée.
J’ai déambulé en m’agrippant – le roulis – le long de ses coursives blanches, froides, cliniques qui n’ont pas la prétention du charme. L’Aquarius vient du Nord. Ce garde-côte est taillé pour la mer Baltique et l’Atlantique-Nord où il a longtemps joué les chiens de garde pour les flottilles de pêche allemandes.
La quarantaine bien trempée, il est fait pour la bise glaciale, les mauvais coups et la tempête, dur à manœuvrer par vent de travers, mais qui sait fendre les plus grosses vagues sans dévier d’un pouce. Bien sûr, il n’accepte que les marins aguerris, roule comme un rocking-chair et vous met le cœur au bord des lèvres. Pas fait pour les touristes en croisière.
Avec lui, on se sent immédiatement en sécurité, mais sans confort inutile. En ce moment, il frissonne d’aise dans cette mer qui se creuse de vagues-tourbillons qui transforment les hublots du mess en « machines à laver ». Son immense coque d’acier grince, craque, siffle, gémit de plaisir.
Au plus fort de la houle, j’ai soudain entendu de grands han ! han ! qui résonnaient en fond de cale, là où Sergeï, le lieutenant-boxeur lituanien, frappait comme un sourd sur un sac de sable. Quant au sauna, unique coquetterie, personne n’a le temps et le cœur à l’allumer.
Non, la vérité de l’Aquarius est ailleurs, dans la salle des machines qui sent l’iode et la graisse chaude, là où clignotent de petites lampes rouges dans l’obscurité, dans ce coeur qui cogne fort mais au ralenti, en attendant de donner toute sa mesure. Le « Meerkatze » n’a pas rechigné à devenir l’ « Aquarius.
Comme tant d’autres, le garde-côte s’est lassé de son travail de flic, même si, dans sa jeunesse, il mettait un point d’honneur à ne laisser personne pénétrer dans les eaux territoriales allemandes. Aujourd’hui, le long des côtes libyennes, il est prêt à accueillir tous les migrants qui cherchent à s’en échapper.
Oui, j’ai passé une belle nuit avec ce félin de la mer avant de m’effondrer sur ma couchette. Dès le petit matin, un puissant roulis m’a réveillé. Je me suis levé en titubant de fatigue. Et un roulis plus fort que les autres m’a jeté tête la première contre la paroi opposée de ma cabine...l’animal sait aussi plaisanter.
JPM
L’Edito. Huitième jour : « Deux hommes à la mer », par Jean Paul Mari.
par Jean-Paul Mari
À force d’être à l’écoute de l’Aquarius, ce bateau m’a raconté une histoire extraordinaire, celle de deux hommes à la mer. Le premier est né sur le port de Hambourg, entre mer du Nord et mer Baltique, les pieds sur le quai et le nez pointé vers le large. À dix-huit ans, il se fait marin et embarque, émerveillé, sur un cargo qui vogue vers l’Indonésie. À bord, le gamin va grimper tous les échelons de l’échelle de bord qui mène au pont supérieur.
Officier, second maître, premier maître. La compagnie maritime le remarque et lui confie un cargo. Les années passent et on le retrouve commandant un porte-conteneur, monstre long de 293 mètres, une usine sur l’eau qui sillonne le globe de l’Atlantique au Pacifique et ne s’arrête qu’aux ports – le temps est cher et précieux – pour décharger. Dans le monde de la mer marchande, il est réputé brillant et sérieux, ses pairs le respectent, sa vie est tracée.
Le deuxième est né au même endroit, mais rêvait d’être médecin. Deux années d’études l’ont déçu, trop loin de la détresse des hommes. Alors, il s’en va, prend la mer, apprend à garder un cap en rêvant, mais abandonne son poste pour voir naître son premier enfant. Le voilà à nouveau étudiant, obtenant un doctorat en histoire, liant des amitiés avec les penseurs à Göttingen, Paris et Rome.
Quand la famille s’élargit d’un quatrième enfant, il retrouve la marine marchande et un salaire plus confortable. Sans renoncer à s’inventer une vie où l’homme ne se résigne jamais. Aujourd’hui, il navigue d’ailleurs sur un ancien garde-côtes austère qu’il a fait repeindre en rouge-orangé histoire d’être mieux repéré par les naufragés.
Deux hommes à la mer. Qui pourraient avoir eu deux vies très différentes. L’extravagant est que ces deux marins n’en font qu’un : Klaus Vogel. L’ex-commandant du porte-conteneurs n’a pas accepté qu’on lui demande d’éviter la route des embarcations de migrants à secourir. Il n’a pas supporté la fin de l’Opération « Mare Nostrum », cette mer vide, sans secours, sans espoir. Il en a parlé à ses très sérieux collègues qui l’ont écouté, un peu embarrassé. Sans hésiter, le capitaine a démissionné de son poste pourtant plein d’avenir. A parlé de son projet à sa famille qui l’a applaudi des deux mains. Et contacté ses amis européens de Göttingen, Paris et Rome.
Un an plus tard, le voilà maître de cet étrange navire à la coque rouge-orangé, baptisé Aquarius, battant pavillon de Gibraltar, qui croise face aux côtes libyennes pour sauver des migrants en détresse.
Au mess, le soir, quand l’équipage barbouillé par le mal de mer lui parle de cette tempête qui n’en finit pas de nous secouer et retient les migrants, l’ancien commandant de porte-conteneur répond tranquillement :« l’Aquarius est solide ». Et le gamin qui rêvait d’être médecin ajoute : « Nous sommes au bon endroit, au bon moment. À notre place. »
JPM
L’Edito: Septième jour : « C’est pas l’homme qui prend la mer… »par Jean-Paul Mari
par Jean-Paul MariC’est la mer qui prend l’homme, da, da, da ! Très mauvaise surprise ce matin à l’aube, alors que le vent s’était calmé en soirée, l’équipage de l’Aquarius s’est réveillé sur une balançoire, avec un ciel plombé et le sifflement de l’air dans les hublots entrouverts.
Dehors, la méditerranée fait la gueule, creusée de vagues de quatre mètres, soulevée par des rafales de 20 nœuds, près de quarante kilomètres-heure, vent du diable qui courbe les hommes sur le pont. Et en plus, il tourne ! Ouest, puis nord-ouest, et puis plein nord.
Tous moteurs réduits, l’Aquarius lourd de ses 1800 tonnes saute comme un bouchon, joue les toupies sur l’eau et le visage d’une partie de l’équipage a pris une jolie couleur verdâtre. Bien sûr, la mer est vide. On a beau être un migrant prêt à mourir, pas question de marcher au suicide. Et nous, on fait des ronds dans l’eau bouillonnante.
D’autant que la terre de Libye n’est pas forcément plus calme. Des combats ont éclaté à l’ouest et au sud de Tripoli, vers la frontière tunisienne. Mieux : à l’ouest de la capitale, la guerre...fait la grève. Des groupes armés au service du gouvernement réclament bruyamment une paie qui ne leur a pas été versée. Du coup, ils ont coupé la route qui mène à Zuwara et sa côte d’où partent la plus grande partie des migrants.
Restent l’Est, ses plages, ses courants et ses passeurs qui ont établi leur industrie à Garabouli et Khoms, à une centaine de kilomètres de la capitale. Le vent, la guerre, le vent de la guerre, la méditerranée en ce moment ne fait pas de cadeaux. Et nous sommes là, migrants et marins, soumis aux vagues et aux caprices du temps.
Alors on enchaine les exercices de sauvetage sur la houle, en répétant les manœuvres dangereuses, une fois, dix fois, vingt fois, comme des soldats à l’entrainement qui savent qu’au moment de l’action, le geste devenu automatique permettra d’être efficace, de sauver des vies, d’éviter qu’une femme ou un enfant au moment de l’embarquement soient pris entre le canot de sauvetage et l’échelle de coupée.
J’ai souvent pensé à ce Zodiac surchargé de migrants qui avait lancé un appel de détresse et que nous avons cherché en vain. Il vient d’être retrouvé, dans un piteux état, par la marine militaire au large de Syracuse, en Sicile. A bord, il y avait 100 personnes, dont 7 femmes et 20 mineurs !
Il était déjà loin derrière nous, au Nord, quand nous avons atteint les eaux libyennes. Au moment où il a lancé son message de détresse, on ne pouvait plus le trouver. Rageant de se dire qu’à vingt-quatre heures près, on aurait pu lui éviter trois jours de mauvaise mer.
Ouest, nord-ouest, nord...ma table de travail joue les bouchons sur les vagues :« C’est la mer qui prend l’homme / Dés que les vents tourneront, nous nous en allerons ! »
Livre: « Le salaire des enfants »
par grands-reportersLe gamin passait d’une table à l’autre, portant son large plateau à deux mains. Sur son visage, un sourire qui disait l’enfance et des cernes d’un noir profond qui racontaient une autre vie. C’était il y a deux ans à Naples, à la terrasse d’un café.
Cette année, Giovanni fêtera ses 14 ans. Tous les jours, il se lève, va à l’école, et rentre déjeuner. Ensuite, il part travailler. Huit heures durant, jusqu’à la nuit tombée, il sert des cafés dans un bistrot de son quartier. Giovanni n’est pas une exception. À Naples, comme partout en Europe, ils sont des milliers de gamins à devoir travailler. Pour leur famille, ce n’est plus une question d’amour mais de survie. Le salaire des enfants leur est devenu indispensable.
De Naples, l’enquête de Cécile Allegra l’a menée jusqu’au fin fond de la région des Rhodopes en Bulgarie, à la banlieue de Doncaster en Angleterre, mais aussi en France dans le cas d’élèves apprentis, sur les traces d’un phénomène méconnu : la résurgence du travail des enfants en Europe.
Et ces portraits d’enfants et de leur famille, ces situations, interrogent l’attitude de nos sociétés face à la crise, les décisions politiques inadaptées ou inexistantes, la lente paupérisation des familles, la dissolution du lien entre les citoyens et l’état, le choix du travail au noir comme une évidence, seule voie pour s’en sortir.
L’Edito: Sixième jour : « Sentinelle », par Jean-Paul Mari
par Jean-Paul MariSixième jour : Sentinelle.
Je viens de passer trois heures sur le pont, pour mon quart de veille. Le radar de bord ne suffit pas à repérer les petites embarcations et en l’absence d’appel de détresse, il faut absolument repérer un petit chalutier ou un Zodiac surchargé de migrants avant qu’il ne coule. Le bon poste se situe à 25 mètres au-dessus de l’eau, sur le toit de la passerelle du commandant, juste au-dessous des pâles de ventilateur du radar.
Depuis ce matin, l’Aquarius regarde vers le nord, moteur tout réduit, et se laisse dériver par le courant et le vent vers l’est. Je vois distinctement la côte libyenne, à 23 milles de distance, et crois reconnaître les cheminées d’une immense cimenterie que j’avais remarquée, en reportage sur la route entre Tripoli et Misrata.
Une bonne vigie divise son périmètre en quartiers. Sur Bâbord arrière, je ne vois rien. La mer roule des vagues lourdes ourlées d’une écume nacrée qui scintille sous le soleil. Sensation d’un vol au-dessus des nuages ou de contempler la banquise de l’antarctique qui dégèle en blocs de glace éblouissants.
Bâbord avant, l’obstacle est cette eau qui mousse au loin sous le vent. Un petit triangle blanc dessine une coque, un bouillonnement sombre ébauche un Zodiac. Et tout disparaît. Ce n’était qu’un rond dans l’eau. J’ai passé mon quart à considérer une myriade de mirages.
Le temps est précieux. En cas de naufrage, la règle est simple et mortelle. Un humain tient 1H05 dans une eau à 4 degrés, 1H25 à 10 degrés. La méditerranée, relativement clémente, laisse un peu plus de deux heures à vivre à des hommes sains, pas des migrants, déjà affaiblis par la soif, la faim, le mal de mer. Pour garder son corps à la bonne température, il faut une eau à 34 degrés, autant dire un bain chaud à la maison.
Quand la température du corps descend au-dessous de trente-trois degrés, le naufragé est en hypothermie, il délire, perd conscience, renonce à lutter.
Trois heures que je scrute les vagues en essayant de ne pas me laisser emporter par mes pensées. J’en arrive à pouvoir détecter un mini paquet d’algues jaunâtres à bonne distance. Mais trop d’attention tue l’attention. La recherche devient obsessionnelle. On finit par voir ce qu’on cherche.
Hier, à l’appel de la vigie, l’Aquarius a fait demi-tour pour ne découvrir qu’une bâche plastique qui flottait entre deux eaux. Et la nuit est terrible : « J’ai vu distinctement un chalutier tous feux allumés », m’a dit un officier de quart. Ce n’était qu’un bout de lune sur la mer.
En face, sur la côte, il y a la foule des migrants. La mer est mauvaise et des combats entre Tripoli et Zuwara freineraient les départs. Seul, au sommet du bateau, j’ai l’impression d’être la sentinelle d’un poste avancé. Sauf que l’Aquarius n’est pas là pour les arrêter, mais pour les tirer de l’eau.
JPM
L’Edito: Cinquième jour : « La mouche », par Jean-Paul Mari
par Jean-Paul MariElle s’est posée juste au milieu de l’écran de mon ordinateur au moment même où j’écrivais. Je l’ai chassé de la main. S’est envolée. Est revenue, têtue, au même endroit. Il n’y a rien de plus gênant qu’un insecte au milieu d’une phrase.
En plus, j’ai horreur des mouches. Dans le désert, elles sortent de nulle part pour torturer le marcheur qui a soif, tourmente les blessés et ne respecte pas les morts. Les mouches vivent de l’ordure du monde.
La tentation était forte de l’écraser. J’ai renoncé. Après tout, cette mouche n’était pas là au départ de Lampedusa en Sicile et elle n’est apparue qu’à douze miles des côtes d’Afrique. Pas de doute, c’était une mouche libyenne. Elle est chez elle.
Le fait est qu’elle a décidé de quitter la côte et de prendre le large pour venir se réfugier sur l’Aquarius. Cette mouche têtue, agaçante, mais perdue est de la race des insectes migrants. Alors, j’ai repris mon écriture et elle est allée se poser sagement à côté de ma machine sans plus déranger.
Bien plus gênante est cette mer qui roule des vagues de plomb et joue les « machines à laver », du nom que les marins donnent aux hublots soudain submergés par une lame. Le temps commence à s’améliorer. L’accalmie permet de parler avec ceux que nous ne connaissons pas. Une chose est sûre. Ce bateau est habité par un esprit et des hommes pas comme les autres.
Il y a Jean le marin, jeune officier formé à l’école navale et habitué des plates-formes pétrolières qui dit avoir compris sur l’Aquarius la véritable nature de son métier-vocation. Et celle de Majd, naviguant né à Idlib en Syrie, réfractaire au service militaire et vogue depuis en frôlant les côtes de sa terre natale.
Et celle de Zenawi, l’Érythréen qui a fui voilà trois ans la dictature de son pays, a franchi la Méditerranée sur un rafiot pour gagner Lampedusa, s’est installé en France et fait office d’interprète en arabe et en tigréen. En attendant de se retrouver sur le pont de l’Aquarius, du bon côté, pour tendre la main au naufragé qu’il était.
Et puis, il y a l’histoire de Klaus Vogel, capitaine de navire marchand et président de l’association à l’origine du projet, personnage peu commun qui voulait devenir médecin, se retrouve marin à l’âge de dix-huit ans, pose son sac cinq ans plus tard pour fonder une famille et faire un doctorat d’histoire entre Paris et Gottingen.
Revenu sur l’eau, il sillonne le globe comme capitaine sur d’immenses porte-conteneurs, mais abandonne tout, d’un coup, à 58 ans, parce qu’il ne supporte pas de voir la Méditerranée vide quand les migrants se noient et appellent au secours.
Oui, ce navire est un creuset capable de fondre plusieurs vies ensemble. Tiens ! La mouche s’est envolée. Plus légère.
JPM
L’Edito : »Une tête d’épingle sur l’eau » par Jean-Paul Mari.
par Jean-Paul MariJour J + 4.
Le message est arrivé hier par radio du centre maritime de Rome. : « Ce matin à 6H40 UTC, message de détresse en Méditerranée du Sud. Selon la Convention du Droit de la Mer et le devoir d’assistance, nous vous informons qu’un bateau pneumatique est en détresse sur une position inconnue avec environ 120 personnes à bord. Demandons à tous les vaisseaux sur zone la plus grande vigilance et rapporter tout contact visuel.»
Voilà, nous n’étions pas encore arrivés sur notre zone de recherche que déjà...les marins de l’Aquarius se sont regardés un peu estomaqués. Devant nous, la mer était grosse de vagues de 4 mètres et le vent soufflait à 50 kilomètres à l’heure. C’était un temps à ne pas mettre une vedette de sauvetage à l’eau, encore moins un Zodiac, un bateau pneumatique lesté du poids de 120 personnes, prêt à couler. Ces migrants avaient bien un téléphone mais pas de GPS. Ils ne pouvaient pas dire où ils se trouvaient. Seulement appeler au secours. On sait que leur batterie va s’épuiser. Et qu’il n’y aura plus ensuite qu’un radeau fantôme perdu en haute mer.
Klaus, le capitaine de l’Aquarius a décidé une réunion en urgence. Tout le monde s’est déclaré prêt. Les marins, les sauveteurs et les médecins, leurs procédures confirmées, le matériel vérifié. Ne restait plus qu’à organiser une veille visuelle pour repérer une tête d’épingle sur la mer. En plastique qui plus est, même pas capable de renvoyer l’écho de notre radar.
La nuit est tombée, les officiers se sont succédés sur la passerelle, les jumelles à la main, scrutant le sommet des vagues qui pouvaient engloutir et nous masquer le Zodiac.
Deux heures de veille, la relève, deux heures de veille. Toute la nuit. À la lumière de la lune. « Un cargo est passé à moins de 4 kilomètres sur bâbord. Sans ces feux de navigation, je ne l’aurais pas vu » m’a dit Jean, l’officier, les yeux rougis.
Ce matin, le jour s’est levé sur une mer vide, mais assagie. Il fait beau, un peu plus chaud. L’Aquarius a réduit ses moteurs -Slow Go Ahead – face à la Libye. Enfin, nous y sommes. Voilà la zone opérationnelle que nous allons patrouiller d’est en ouest, d’ouest en est, pendant au moins deux mois. Avec le retour du temps calme, tout le monde à bord sait que le risque est grand de voir les passeurs précipiter le départ des embarcations de migrants.
Ce matin, Klaus a fait son briefing technique. À la fin, contrairement à l’habitude, il nous a demandé ce qu’on ressentait. Une chose simple : être ici est un soulagement et une douleur à la fois. Le soulagement de pouvoir agir, la douleur devant l’inacceptable.
Et on s’est tous retrouvés sur le pont, appuyés au bastingage, à chercher une tête d’épingle sur l’eau.
JPM
Plus léger qu’un bouchon.
par Jean-Paul Mari
Voilà, nous voguons. Enfin. Même si la Méditerranée, notre mer pleine de grâce, a parfois mauvais caractère. Hier, quand notre navire l’Aquarius s’est présenté devant le port de Lampedusa, le fort vent qui venait plein ouest et roulait des vagues moussues a tourné brutalement sud-sud-ouest. Cela ne vous dit rien sauf que le port de notre île favorite regarde exactement dans cette direction.
Résultat, les paquets de mer entraient à l’intérieur du bassin, cognant contre les quais. Et noyant l’un d’eux, déjà invalide, ses tiges de béton armé dressées vers le ciel pour lui reprocher de l’avoir laissé autrefois exploser, un jour de tempête, comme un vulgaire bunker dynamité. Moi, j’étais toujours là, sur la jetée, à implorer l’immense statue de la Madonna de l’île qui regardait ailleurs.
Les garde-côtes ont envoyé leur meilleur Zodiac, rouge, puissant, surgonflé. Rien n’y a fait. La mer jonglait avec le Zodiac et notre navire de 1812 tonnes les empêchant de se mettre bord à bord à la même hauteur. Et les bénévoles de Palerme qui devaient débarquer s’accrochaient à leurs valises. Ne restait plus qu’à fuir, ce que fit sagement l’Aquarius, pour trouver une crique à l’abri du vent, Cala Pisana, pour réussir le transbordement.
La Méditerranée n’est pas foncièrement méchante, elle voulait simplement nous rappeler ce que vivent les migrants qui tentent l’aventure dans des barcasses au moteur souffreteux alimenté – il n’y a pas de petits profits - par du fuel souvent mélangé à de l’eau par les passeurs.
Les futurs naufragés ont à peine quitté les eaux libyennes que leur rafiot saute au sommet des vagues. Malades, gelés, déshydratés, paniqués, le mal de mer les dévaste selon la règle des cinq F : «Faim, Froid, Frousse, Fatigue, Foif».
Certains n’ont jamais vu la mer de leur vie, immense étendue d’eau qu’un réfugié a décrite comme « le ciel couché sur la terre ». Et pourtant, ils partent. Cette semaine, trois barques sont parvenues aux abords de Lampedusa, 242 passagers, 220 et 101, des Africains, Ivoiriens, Maliens, Gambiens, Sénégalais. Peu de Nigérien, pas d’Érythréens ni de Syriens.
Juste avant de partir, l’équipage de l’Aquarius a sablé le Prosecco sur le quai, croqué un gâteau sicilien et tout le monde s’est embrassé avec émotion. Ceux qui restaient à quai. Et ceux qui embarquaient.
Maintenant, nous voguons en roulant et je pense à ces fous de migrants qui se jettent sur la mer en s’accrochant à leurs radeaux de fortune.
Et à ce qu’a écrit Rimbaud, prémonitoire; « La tempête a béni mes éveils maritimes/ Plus léger qu’un bouchon, j’ai dansé sur les flots/ Qu’on dit rouleurs éternels de victimes. »
JPM