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Israël et les Arabes. Une paix insaisissable.

publié le 13/09/2006 | par Jean-Paul Mari

Par Jean-Paul Mari

Ce film est un crève-cœur. A priori, l’idée est simple : décortiquer les négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens sur la base d’entretiens avec tous ceux qui ont fait l’Histoire. Trois épisodes, de 1999 à 2005, conçus sur le mode de l’enquête historique, de la même veine qui a fait le succès de « Yougoslavie : naufrage d’une nation. » Cette fois il s’agit de raconter l’échec de la paix. Ou plutôt une montagne d’échecs, d’occasions ratées à force de naïveté, de mauvaise foi, d’aveuglement, de haine, de reculades savamment calculées, de coups de gueule inutiles ou d’obsessions de vieillard.… Échec, échec, échec ! Les années défilent, les grands leaders meurent et le conflit demeure. Plus grave. Chaque épisode révèle la dégradation de la qualité du débat, la faiblesse croissante des leaders, leur vanité, la dilution de l’idée de paix qui, à force d’être manquée d’un souffle, finit par devenir fantomatique, comme frappée de malédiction.
Au début pourtant, en 1999, la pièce est brillante et on se penche avec passion sur ce jeu d’échecs géopolitique où les pions, – israéliens ou palestiniens -, sont des êtres de chair et de sang. Au début, il y a Bill Clinton et il veut parvenir à une solution. Dans un salon, Ehud Barak, premier ministre israélien et ancien commando, joue du piano en attendant Yasser Arafat, l’homme qu’il a autrefois tenté d’éliminer. Quelques années plus tôt, un fanatique juif a assassiné Rabin le visionnaire et les accords d’Oslo. Mais tout est encore possible. Ehud Barak décide de faire la paix avec la Syrie mais il ne se résout pas à restituer le Golan. Clinton persuade Hafez al-Assad de quitter sa tanière pour venir jusqu’à Genève. Le vieux lion syrien pointe le lac de Tibériade sur la carte : « Tout ce que je veux, c’est pouvoir m’asseoir et tremper mes pieds dans ce lac. » Clinton négocie, attendant jusqu’à la dernière minute une proposition de Barak… qui ne viendra jamais. La rencontre était historique, l’échec l’est tout autant.
Le 11 juillet 2000, à Camp David, c’est Clinton encore qui met face à face Barak et Arafat. L’un jure que Jérusalem ne sera jamais partagée ; l’autre ne pense qu’à s’assurer la souveraineté sur l’esplanade des Mosquées. Ils ont 10 jours entiers pour se mettre d’accord. On négocie jour et nuit, dans l’urgence et à la virgule près, quitte à arracher de son lit Madeleine Albright à deux heures trente du matin, pour lui soumettre un texte. Au septième jour, Barak s’enferme dans ses appartements avec ses conseillers. Quand il réapparaît, c’est pour proposer aux Palestiniens une poignée de villages à la périphérie de Jérusalem. Clinton, tout rouge, explose : « Vous m’avez fait attendre treize heures et vous venez avec.. .ça ! » Barak finit par dire oui au partage de la souveraineté de Jérusalem. Cette fois, c’est Arafat, méfiant et buté, qui refuse le terme de « gardien » de l’Esplanade : « Abandonner les lieux saints ? Trahir Jérusalem ? Mais je vais me faire assassiner ! » Il claque la porte, Madeleine Albright court sur ses talons hauts et le rattrape : Arafat lui fait un baisemain. Il revient. Et Clinton enchaîne, bluffe, insiste, menace Arafat : « Dites oui sinon vous perdrez mon amitié. Et il n’y aura plus d’Etat palestinien ! » Allez ! Encore un tête à tête, le dernier entre Barak et Arafat. Un accord ?… Non. Trop tard. Le 28 septembre 2000, Sharon va « se promener » sur l’Esplanade des mosquées et Jérusalem arabe explose…c’est fini.
Avril 2002, Clinton n’est plus là, Bush est élu, Sharon a pris la place de Barak et l’Intifada, avec son cortège de morts, dure depuis dix-huit mois. A Beyrouth, un sommet arabe est sur le point de reconnaître Israël. Zinni, l’envoyé spécial américain, a réussi à renouer les fils et négocie un « plan séquentiel ». Sharon fête la Pâques Juive au moment même où un kamikaze palestinien se fait sauter dans un hôtel de Netanya : trente morts. Le reste n’est plus qu’une histoire de militaires, d’incursions dans les territoires jusqu’au siège d’Arafat à la Mouqataa. Bush répète que Dieu lui a confié une mission : « Georges, fais en sorte que les Palestiniens aient leur Etat et qu’Israël soit en sécurité ! » Rien n’y fait. Sa feuille de route jaunit avec le temps. Kamikazes contre assassinats ciblés, construction du mur, promesses de vengeance et ultimatums… chacun demande à l’autre de faire un premier pas. Vers la fin, en 2005, l’affrontement a pris des allures de vendetta où les frères de sang ne communiquent plus que par la violence.
Aujourd’hui, Arafat est mort, Sharon est dans le coma après avoir quitté Gaza pour mieux garder la Cisjordanie et Bush se débat toujours avec Dieu et l’Irak. Les stratèges israéliens ont justifié l’assassinat de Cheikh Yassin, vieillard tétraplégique et numéro un du Hamas, en affirmant qu’ils ne pouvaient pas laisser Gaza aux mains des islamistes. Ceux-là mêmes qui viennent de prendre, par les urnes, le pouvoir sur tous les territoires palestiniens. Oui, ce film est terrible parce qu’il raconte le besoin vital d’une paix insaisissable.


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