Algérie: Les années de plomb
» L’ampleur de ces violations me paraît assez
généralisée. Lle gouvernement algérien continue à l’évidence à pratiquer la dissimulation et le mensonge. Il nie les centres de détention, les gardes à vue systématiquement prolongées, affirme que les cas de torture sont rares et marginaux, présentent la magistrature algérienne comme parfaitement indépendante..Il voudrait à dissocier les organisations de défense de droits de l’homme et cherche l’indulgence. Bref, en matière de droits de l’homme, le gouvernement algérien n’est pas crédible, même si il aimerait l’être. «
Entretien avec Maître Patrick Baudouin, président de la FIDH, de retour d’une mission en Algérie (trois personnes) du 26 avril au 2 mai, effectuée sans escorte de « protection » donc avec relative liberté de travail.
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– Nouvel-Observateur: Pourquoi votre mission s’est-elle limitée à l’enquête sur l’attitude du pouvoir Algérien?
-Patrick Baudouin: Nous ne sous-estimons pas l’ampleur du terrorisme en Algérie, ni les difficultés à y faire face. Mais nous sommes une ONG de défense des droits de l’homme dont le premier rôle est de demander des comptes aux Etats. Or, a Alger, il y a une discordance manifeste entre le discours officiel qui nous a été tenu et notre constat.
Le discours, bien huilé, uniforme, est celui-ci: 1/ nous souffrons d’un déficit de communication mais il y a ici, une volonté d’être un Etat de droit, responsable, où la loi prime et où on n’a rien à cacher. 2/ Les organisations des droits de l’homme sont bienvenues dès lors qu’elles n’empiètent pas sur le domaine politique…comme « Amnesty International » impliquée dans un complot de l’étranger. 3/ Bien sûr, il y a peut-être en Algérie des « dépassements » ici ou là », mais ils sont en régression, et de toute façon sanctionnés dès que signalés. 4/ Evidemment, il n’existe pas de politique systématique et délibérée de violations de droits de l’homme.
Voilà ce qui nous été répété par nos interlocuteurs. Mais quand nous avons posé des questions sur plusieurs cas précis, la réponse a toujours été: » Cette affaire n’existe pas! »
-N-OBS: Dans quel climat avez-vous travaillé?
– P.B: Ce qui m’a frappé à Alger, c’est ce sentiment, partout, de peur et d’insécurité. Une atmosphère de grande méfiance l’un de l’autre. Dans la rue, dans les bureaux, dans les ministères…La peur de parler. Et particulièrement en public. C’est un climat de de suspicion, de dissimulation permanente. On se demande toujours qui est qui? Qui surveille qui?
Sur le terrain, nous avons été surpris par le nombre des arrestations arbitraires effectuées par les forces de sécurité. Les gens vous disent: « Mon fils est sorti faire des courses vers 15 heures. On ne l’a plus revu…Nous n’avons pas d’informations depuis plusieurs jours, plusieurs semaines, plusieurs mois. » Ceux-là sont détenus dans des centres dont les autorités nous disent…qu’ils n’existent plus. Or, nous avons dressé une liste de dix lieux secrets de détention à Alger (voir encadré). Il y a des femmes assises toute la journée sur les marches du palais de justice d’Alger, dans l’espoir de voir entrer un fils, un frère, un mari disparu. Dans l’espoir de le voir « revenir à la vie ». Ceux-là ont été torturés. C’est quasi-systématique.
Par exemple au centre de Chateauneuf qu’on prétend être une école de police. Nous sommes passé dans cette rue. Juste en face, il y a une caserne..c’est là qu’on torture. Quand les détenus sont enfin présentés au juge d’instruction, on refuse l’expertise médicale, ou on l’édulcore avant de les envoyer en prison.
– N-OBS: Avez-vous pu évaluer le nombre de disparitions?
– P.B: Au minimum deux à trois mille. Mais nous sommes convaincus qu’il y en a plus. Beaucoup plus. Dans un seul cabinet d’avocat, il y avait dix sept planches affichées avec, chacune, douze photos..Deux cent quatre cas. Avec des numéros: « Affaire N° 134. » Le pouvoir nous répond que ce sont les islamistes qui les ont enlevé ou qu’ils ont rejoint le maquis. Mais nous avons établi des disparitions du fait des forces de sécurité. Surtout depuis deux à trois ans.
– N-OBS: Croyez-vous à une politique de disparition?
– P.B: Je crois que c’est un des moyens utilisés par le pouvoir pour se maintenir en place. La plupart des disparus appartiennent aux mouvements islamistes ou sont répertoriés comme tels. C’est un moyen de faire pression sur la famille, de forcer un fuyard à se livrer; un moyen de représailles voire de vengeance des forces de sécurité. Aujourd’hui, entre les milices, les groupes islamistes et les forces de sécurité, il y a d’ailleurs toute une série d’actes criminels liés à de véritables vendettas. Et parmi les disparus, il y a des gens qu’on ne reverra plus jamais.
– N-Obs: Et comment fonctionne l’appareil de la justice?
– P.B: Le délai de garde à vue – 12 jours maximum- est très souvent dépassé. En pratique, un homme en garde à vue est au secret, affamé et torturé. Puis jeté en prison. Certains attendent d’être jugés… depuis quatre ans. C’est le pouvoir qui juge, les audiences sont expéditives, trois à cinq affaires par jour, des peines très lourdes dès qu’on touche à la « sécurité de l’Etat »…Le 6 novembre 1996, pour une affaire où il y eu une victime, un tribunal a condamné 17 accusés à mort et 26 autres à perpétuité; Parfois, on prononce un acquittement, quand c’est évident. Parfois aussi, les gens acquittés ne sont pas libérés mais poursuivis et rejugés ailleurs..pour les mêmes faits.
– N-obs: Avez-vous pu visiter des prisons?
– P.B: Non. En dépit de nos demandes. Mais, d’après ce qu’on a pu savoir, on ne torture pas en prison, qui contiennent 18 000 politiques sur 36 000 détenus.
– N-Obs: Comment analysez-vous ces massacres, réguliers, en Algérie?
– P.B: Incontestablement, beaucoup sont imputables aux terroristes islamistes. Mais il y en a certainement d’autres dus aux milices, aux militaires et aux para-militaires…Là aussi, souvent, cela relève de la vendetta. Au ministère de l’intérieur, on nous a dit que le pouvoir contrôlait et voulait légaliser ces « groupes de légitime défense ». Mais on n’a pas pu nous donner leur nombre.
– N-Obs: Dans votre rapport, vous dénoncez des « violations graves, répétées et flagrantes des droits de l’homme » en Algérie. Avez-vous perçu malgré tout une volonté du pouvoir de changer cet état de fait?
– P.B: L’ampleur de ces violations me paraît assez
généralisée. En matière de communication, le gouvernement algérien a beaucoup à apprendre. Il continue à l’évidence à pratiquer la dissimulation et le mensonge. Il nie les centres de détention, les gardes à vue systématiquement prolongées, affirme que les cas de torture sont rares et marginaux, présentent la magistrature algérienne comme parfaitement indépendante..Il voudrait à dissocier les organisations de défense de droits de l’homme et cherche l’indulgence.
Bref, en matière de droits de l’homme, le gouvernement algérien n’est pas crédible, même si il aimerait l’être. Au lieu de nier les évidences, l’Algérie devrait les accepter et nous montrer ce qu’on lui demande de montrer. Pas entrouvrir une petite fenêtre en laissant la maison dans l’ombre. » »
Propos recueillis
les centres secrets de détention dans la région d’Alger.
Les noms les plus fréquemment cités sont : Caserne de Beni Massous; caserne d’Al Makria, quartier à côté de Kouba; Delly Ibrahim; Al Madania; Ben Aknoun; Hamiz, caserne près de l’aéroport; Bourrouba, caserne de « ninjas »; Chateauneuf, caserne en face de l’école de police; Ouled Fayet, bâtisse à la sortir d’Alger, sur la côte ouest; Reghaïa, base militaire; Baba Hassan, brigade de gendarmerie dans la périphérie d’Alger.
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2/ TEMOIGNAGE DE MAITRE MESLI RACHID
Me Mesli Rachid , avocat actif dans de nombreux dossiers politiques, enlevé le 31 juillet 1996, près d’un commissariat à Rouiba. Actuellement détenu en isolement à la prison d’El Harrach (proche banlieue d’Alger). Confirme pratique généralisée de la torture dans lieux de détention ( caserne police Chateauneuf, commissariat de Boumerdes, caserne militaire de Hamiz) + arrestations par militaires et policiers en civil sans mandats, existence centres secrets de détention , extorsions aveux télévisés, présentation à la justice d’aveux post-datés, ets..). Est un des avocats constitués dans le dossier massacre prison Serkadji.
« » Je viens de déposer mon secrétaire, Brahim à son domicile, à El Mars a environ deux kilomètres de Rouiba. On y accède par un chemin communal. La route est déserte. Un véhicule de marque Golf me dépasse et me serre sur le bas côté ; je n’ai pas d’autre choix que de m’arrêter. Quatre personnes en descendent rapidement, cernent mon véhicule immobilisé, me font descendre brusquement et me demandent de les suivre dans leur véhicule
A ma question de savoir qui ils sont, ils ne me répondent pas. Je suis dirigé par la force vers leur véhicule, placé à l’arrière entre deux occupants, lesquels me descendent la tête vers le bas de façon, je pense, à ce que l’on ne puisse pas m’apercevoir de l’extérieur. L’une des quatre personnes est resté au niveau de mon véhicule, occupé par mon fils Imad, âgé de 5 ans et mon beau-frère Sadi-Mohamed Benosmane.
J’ai le temps de voir un de mes ravisseurs mettre mon beau-frère à genoux derrière mon véhicule, les mains sur la tête ; puis plus rien, on m’empêche de regarder vers l’arrière. Je suis alors persuadé que mon beau-frère et peut-être mon fils vont être assassinés. Je n’entends cependant pas de coups de feu mais lorsque la quatrième personne rejoint le véhicule à côté du chauffeur, ce dernier leur pose la question : alors ça y est ? la réponse est affirmative.
Je suis alors convaincu qu’il ne peut s’agir que de leur assassinat à l’arme blanche peut-être. Cette idée ne me quittera
plus jusqu’au jour ou je serais présenté devant le tribunal de Rouiba ; elle a accompagné mes nuits et mes jours durant ce qui se révélera être ma garde à vue.
Dès que la Golf a démarré, j’ai demandé aux occupants s’ils étaient de la police, auquel cas ils pourraient éventuellement passer par le commissariat de Rouiba distant de 900m seulement. Le chauffeur me répondit : « tu es fou tu veux qu’on nous tire dessus ! » il s’agit donc bien d’un enlèvement et je constate qu’ils ne veulent surtout pas de témoins ; le véhicule emprunte la route menant vers l’autoroute. Et au niveau du cimetière de Rouiba il fait un grand détour, une demi-heure peut-être. La nuit est tombée. Enfin, il s’arrête et on me demande de descendre.
Nous sommes sur l’autoroute est dans le sens Boudourou-Alger, au niveau de Haouch El Mokfi ; au bord d’un fossé.Je pense alors qu’on va m’exécuter ici. Je n’ai pas peur, je pense surtout à mon beau-frère et à mon fils. Quelques minutes plus tard, deux voitures Nissan s’arrêtent derrière la Golf. On attend que quelques véhicules passent, puis je suis jeté à l’arrière de l’une des
deux Nissan et allongé au fond. Nous nous dirigeons vers Alger. La Nissan ralentit. Nous sommes sortis de l’autoroute. Ca y est, je reconnais les bâtiments des asphodèles à Ben Aknoun, les derniers étages seulement
car ma position ne me permet de voir que vers le haut. Une à deux minutes plus tard, je devine que nous sommes à Chateauneuf, car nous venons de dépasser la faculté de droit de Ben Aknoun dont j’ai pu remarquer la clôture d’enceinte en fer forgé. Je suis emmené vers un bâtiment et descendu au sous-sol et après quelques instants je suis conduit dans une cellule sans lumière. […]
Subitement, des aboiements de chiots. Mais cela dure trop longtemps et les aboiements sont trop forts. On dirait un enregistrement. Je regarde par l’ouverture de la porte. Un guichet de 15cm x 10cm environ. Il y a un couloir d’un mètre de large environ et des cellules sur les deux côtés. Je ne peux voir distinctement que la cellule en face, légèrement décalée. Des autres je ne peux voir que la porte. une tête barbue apparaît, puis une autre plus jeune, blonde. Je questionne :
– « Ou sommes-nous ? »
– « A Châteauneuf! » Bien sûr je le savais
– « Qui êtes vous? » Pas de réponse.
– « Pourquoi ces aboiements? » Là, le barbu se pince les oreilles et la langue avec les doigts :
– « L’électricité ! C’est pour qu’on entende pas quand ils crient trop fort ! »
On me demande qui je suis : je ne sais pas à qui j’ai affaire bien que le plus jeune ait une tête qui inspire confiance. Je n’ai pourtant rien à perdre. Peut-être seront ils libérés et alors ils pourront parler de ma présence ici ? Je leur dit que je suis avocat et je leur donne mon nom. Je leur demande ensuite depuis quand ils sont là : trois mois. Je retourne vers le fond de la cellule et je m’assoies à même le sol. Il y a bien un morceau de couverture, mais quelle odeur. Il n’y a pas d’eau, je fais ma prière (El Maghreb et El Icha). Je prie Allah que rien ne soit arrivé à mon fils et à son oncle. Je n’arrive cependant pas à dormir bien sûr. Les aboiements ont
cessé.
Maintenant, c’est de la musique. Une porte en fer qui s’ouvre et se referme brutalement. Je regarde par le guichet; je n’ai que le temps de voir quelqu’un repartir. Quelques instants après, des pas encore. Je comprends que l’on vient chercher quelqu’un pour la torture. Moi ? j’attends. Non, c’est la porte mitoyenne. On l’emmène. Quelques instants après, les aboiements, la musique, les cris étouffés. J’attends mon tour et je ne ferme pas les yeux de la nuit. Puis une odeur, je remarque des petits trous dans le mur vers le haut de la cellule. D’ou vient-elle ? C’est une odeur qui n’était pas à mon arrivée. J’ai les yeux qui picotent, la gorge qui brûle. Je respire difficilement et lorsque cela devient insupportable je m’allonge par terre de façon que je puisse aspirer de l’air frais sous la porte en fer.
Effectivement, l’air de l’extérieur est différent. Mais je ne peux pas rester longtemps dans cette position. C’est trop inconfortable. Alors je me relève et j’alterne. Toute la nuit se passe ainsi.
Jeudi 1 août 1996.A l’aube, l’Adhan : cela doit être la mosquée d’El Arqam que je sais toute proche. J’entends alors toutes les cellules s’éveiller. J’entends les prières et je fais ma prière à mon tour. Moins de 12 heures après mon enlèvement et déjà une éternité s’est écoulée. Quelques heures plus tard, une porte s’ouvre encore. Quelqu’un en sort. Il est barbu aussi. J’entends alors l’eau couler. Je comprends qu’il est chargé de faire le ménage à grande eau. C’est aussi lui qui ouvre de l’extérieur le robinet qui coule dans ma cellule le temps de remplir quelques bouteilles vides en plastique qui se trouvent dans la cellule.
C’est fait, j’essaie d’engager la discussion avec lui. Il m’en dissuade en faisant du doigt sur la tempe le signe de presser sur une détente d’un pistolet puis pose l’index sur la bouche pour me demander de me taire. Les portes en fer se referment. On entend alors des voix de femmes (à l’étage supérieur ?). Mon vis-à-vis m’explique que ce sont les femmes de ménage qui viennent d’arriver. J’ai alors le sentiment d’avoir déjà vécu cette situation et je me souviens du témoignage de mes clients qui sont déjà passés par là. C’est troublant.
Cependant, moi je n’ai pas encore été torturé. A quand mon tour ? Un peu plus tard encore des pas dans le couloir. Cette fois, c’est la cellule du fond. On sort quelqu’un, il est torse nu, sale, d’un certain âge, (55 ans ?). Je le regarde et je le reconnais de suite : c’est Boucherif Reda condamné à mort par la cour spéciale d’Alger en 1993 et évadé de la prison de Tazoult. Son jeune fils m’avait rendu visite à mon cabinet pour me constituer et je l’avais alors orienté vers un autre confrère. J’ai eu ensuite l’occasion de le voir plusieurs fois au parloir de la prison de Serkadji. Je m’adresse encore à la cellule en face, on me confirme qu’il s’agit d’un évadé de Tazoult arrêté quelques jours auparavant avec son beau-frère puis des cris insoutenables. Pas de musique cette fois, ni d’aboiements, on entend distinctement. Une heure ? deux heures ? quand il passe devant ma cellule, il est méconnaissable, il grelotte malgré la chaleur. Ce n’est plus tout à fait un être humain. Il a le regard vide et infiniment triste.
Je découvre alors une chose, comme si c’était pour la première fois. Je comprends. Moi qui ait cru militer pour les droits de l’homme depuis des années, je venais vraiment de découvrir les droits de l’homme ! Au plus profond de mon être j’ai ressenti la détresse d’un être humain qu’on torture. Du plus profond de moi, j’ai ressenti ce qu’un être humain n’a pas le droit de faire à un autre être humain quel qu’il soit et quelque soit le crime dont il est accusé. C’est une découverte pour moi. Je me rappelle tous mes clients torturés, heureux de se retrouver enfin en prison malgré leur état lamentable. Les années défilent, 1992, 1993, 1994, 1995, 1996. Cela fait 5 années que cela dure.
Tellement de souffrances. Combien sont-ils passés par ces cellules ? Ces cellules qui sont aujourd’hui encore pleines ! Comment en est-on arrivé là ? Jusqu’à quand ? De la cellule d’en face, le » barbu » me tire de ma réflexion. Il veut parler. Il me dit qu’il est docteur troisième cycle de je ne me souviens plus quoi, qu’il lui reste juste un mémoire à terminer. Il ajoute que la plupart des personnes ici sont des universitaires et il me demande de communiquer avec la cellule qui est en face de lui, à droite de la mienne. Je ne peux pas » les » voir mais je les entends.
L’un des occupants me dit qu’il me connaît de nom et qu’il est le beau-frère de Nadir Hamoudi, l’un de mes clients. Je n’en crois pas mes oreilles, la veille encore j’ai rencontré Nadir Hamoudi à la prison d’El Harrach et je lui avais promis de renouveler mon permis de communiquer pour lui rendre visite. Je lui demande de me donner des détails pouvant confirmer qui il est. Il me parle du garage de son père près du tunnel des facultés, des avocats constitués pour son beau-frère Me Gaouar, Me Mecheri Bachir. Il me donne son nom : Khelil Chorfi Kamal. On me dit de la cellule d’en face qu’il est là depuis près de trois mois et que les » autres » ont été tués.
C’est tout ce que nous avons le temps de nous dire car de nouveau l’odeur envahit la cellule. Je vais au fond et j’attends. Je répugne à m’allonger
au sol qui grouille de cafards. Cette odeur, est-ce un gaz ? est-ce une nouvelle méthode de torture (plus propre ?). En tout cas, j’ai les yeux qui larmoient les oreilles qui bourdonnent, la bouche sèche. Et dire que je ne suis même pas encore passé par la torture comme les autres. Mais qu’ai-je à cacher ? Je passe en revue mes contacts avec mes clients, avec Me Ali-Yahia, avec Amnesty International lors de ses visites à Alger, avec les dirigeants du F.I.S. Je me décide d’emblée de tout dire lors de mon interrogatoire hormis bien sur les secrets relevant de l’exercice de la profession et concernant directement mes clients. L’attente durera jusqu’à l’après-midi.
La porte s’ouvre enfin. Je n’ai même pas le temps de voir la ou les personnes qui me recouvrent la tête avec une cagoule en toile. Ils serrent très fort, j’étouffe. Ils me lient les mains derrière le dos (ou bien est-ce des menottes) et je suis emmené sans ménagement à l’étage supérieur. Je suis introduit dans une pièce climatisée et mis d’emblée à genoux par terre. J’essaie malgré tout de garder ma dignité, je devine la présence de plusieurs personnes; deux se mettent à hurler dans mes oreilles : » ici il n’y a pas de droit, ni de loi, il n’y a pas d’avocat, tu vas tout nous dire, tout nous avouer « . Puis des insultes, des obscénités, des menaces de mort, tout s’embrouille, je n’arrive pas à respirer.
Qu’est ce que tu es allé faire au barrage du Hamiz avec X ? J’ai tout de suite compris qu’il s’agissait de contacts que j’avais noué avec des clients en fuite qui n’avaient alors fait part de leur projet de se livrer à la justice. J’ai donc donné toutes ces informations car je n’avais sur le
plan légal rien à me reprocher. C’est alors que les coups ont commencé à pleuvoir sur le visage, j’étouffais sous la cagoule de toile et à chaque nouveau coup je sombrais un peu plus. Je suis alors convaincu de vivre mes derniers moments. Je » déclare » alors avoir joué le rôle d’intermédiaire politique entre A.H et un certain » Achache » que mes clients R.S. et G.D. m’avaient présenté comme une personne pouvant émettre un avis politique sur le dialogue alors en cours entre la présidence et les dirigeants du F.I.S. Je me dis que c’est peut-être la seule façon d’échapper à la mort.
Effectivement, un grand silence se fait. Je suis sur le point de m’évanouir, j’étouffe. Encore une voix: » Quelles sont les magistrats de la cour d’Alger que tu connais ? « . » Je connais la plupart des magistrats, si ce n’est de nom, tout au moins de vue « . » Cite nous des noms! « . Je me souviens avoir cité le procureur général Sayah, le procureur adjoint Bellahcène, Mme Menouar. Je suis ensuite ramené brutalement à ma cellule toujours avec cette cagoule qui ne devait plus me quitter jusqu’au moment de ma présentation devant le tribunal de Rouiba le 10/08/96. Je tombe à même le sol, j’ai perdu connaissance. Ma porte s’ouvre de nouveau, c’est ce qui me réveille. Un plateau en fer est poussé dans ma cellule, il y a des pâtes baignant dans un liquide et des quignons de pain. Je me relève, j’attends que le silence se fasse dans le couloir. J’appelle la cellule en face, la tête du barbu s’encadre dans le guichet, il me demande si je n’ai pas été trop torturé. Je lui dit que non, que j’ai seulement reçu des coups au visage.
Il me dit qu’il n’a pas pu me voir à mon retour à cause de la cagoule et que peut-être parce que je suis avocat ils ne me tortureront pas trop. Son compagnon dont la tête vient d’apparaître à son tour me demande de mes nouvelles. Il me dit que j’ai le visage un peu gonflé mais que ce n’est pas
grave. Il me dit que pour la torture en général, c’est au début seulement et que lui-même n’a plus été torturé depuis deux mois. Il me cite l’exemple de la dernière cellule (celle qui fait face à celle de Boucharif).[ ….] Il s’appelle Grigue Hocine Toufik. Il est barbu, je l’ai entrevu ce matin, bien que jeune, 25 ans peut-être, un visage d’ange. Il est là depuis 6 mois. J’en ai le vertige. Je me dit que si l’on m’a permis de voir ces personnes, ce n’est certainement pas pour me libérer ou me présenter à la justice. J’en ai trop vu déjà et cela me conforte un peu plus dans ma conviction que je vais être tôt ou tard liquidé. Je me fais donc à cette idée.
Le soir après l’Icha, pour la deuxième nuit consécutive, je n’arrive pas à fermer l’ oeil. On dirait que le sol de la cellule est constitué de gravier coulé dans le béton. Et toujours cette odeur. Encore une nuit à respirer par petites bouffées l’air sous la porte de la cellule, l’endroit privilégié des cafards qui me parcourent le corps et auxquels je ne fais même plus attention. Comme l’être humain s’adapte à tout!
Vendredi 2 août 1996
[…] Aujourd’hui tout est calme, ni femme de ménage, ni aboiements, ni musique. Vers le milieu de la journée, la porte s’ouvre et un plateau est poussé dans la cellule. Je devine des restes de couscous, il n’y pas de cuillère. Malgré la faim qui me tenaille, je n’ose pas y toucher. Dans l’après-midi, le plus jeune de la cellule d’en face est emmené. Son compagnon me dit que c’est inhabituel car aujourd’hui ils ne travaillent pas. Peut-être va-t-il être libéré ? Peut-être le pire? Mais pourquoi penser au pire ? Je me prépare à une troisième nuit dans la cellule, je la mesure: elle fait approximativement deux mètres sur un mètre cinquante avec un W-C turc dans l’angle. On ne peut s’allonger que dans le sens de la longueur et il faut utiliser ces chaussures comme oreiller. Mais au bout de quelques heures elles sont tellement écrasées qu’elles ne servent plus à rien. Cette nuit est la pire de toutes. Je suis tellement fatigué que je dors quelques instants mais l’odeur est tellement insupportable que je me réveille au bout de quelques minutes. Toute la nuit est une alternance de quelques minutes de sommeil et réveils en sursaut.
Samedi 3 août 1996
Je n’ai plus la notion du temps, je ne communique plus avec la cellule opposé, il n’y a rien de pire que le manque de sommeil . Toute la matinée, des cris, des pleurs, des supplications, des hurlements: une usine à torture. Ma porte s’ouvre et de nouveau la cagoule qui sent la sueur et dont la cordelette sert de laisse. Je suis monté à l’étage supérieur.
Maintenant j’entends distinctement les hurlements et c’est donc mon tour. Je suis cependant trop las pour éprouver la moindre peur. Je suis conduit dans un bureau ( ?), on me donne une chaise. Je devine la présence de plusieurs personnes. On me pose des questions. Je répète ce que j’ai déjà dit lors du premier interrogatoire. Cependant, lorsque je bute sur des détails dont je ne me souviens pas on fait venir la personne qui m’a mis en contact avec mes clients au barrage de Hamiz. Je ne conteste rien. A quoi bon ? J’entends le crépitement d’une machine à écrire. Pourquoi un
procès-verbal ?
Puis l’optimisme de nouveau. Peut-être me présenterait-on à la justice ? Cependant à la fin, l’on ne me demande même pas de signer et le doute se réinstalle en moi. L’une des personnes présentes me dit alors :
– » Toi si on te relâche, je t’organise moi-même un attentat « . Serait-il possible qu’on me relâche? Je me revois chez moi toute la famille est là à m’attendre. Décidément je commence à divaguer, je n’oppose plus de résistance, je me laisse de nouveau traîner. Cette fois on me sort à l’extérieur que je devine à l’air plus chaud. Je perçois également un rai de lumière au bas de la cagoule. Il fait donc encore jour. Je suis plaqué debout contre un mur un long moment puis des crissements de pneus et je suis allongé dans un véhicule, un fourgon peut-être. Il démarre et roule à vive allure durant une heure peut-être.
Lorsqu’il s’arrête après quelques minutes une voix m’interpelle doucement » Maître c’est moi, c’est Griche Mohamed « , c’est le frère de mon client en fuite que je suis accusé d’avoir rencontré par son intermédiaire. Il me dit » qu’ils » sont descendus et que nous sommes au commissariat de Boumerdes ou il a déjà séjourné avant Chateauneuf. Il me dit que lui n’a pas de cagoule, qu’on lui a seulement recouvert la tête avec sa propre chemise ce qui lui permet de voir. Je devine la présence d’une autre personne par ses gémissements. Griche me dit qu’il s’agit de Kora Echi Hocine et qu’il est très mal au point.
Nous sommes descendus du véhicule et emmenés dans une cellule assez vaste mais sale au sous-sol. La porte se referme pour se rouvrir dans la minute qui suit. Et sous une volée de coups de pieds et de coups de poings je suis conduit dans un bureau que je devine à l’air climatisé. Je suis comme un automate, j’ai mal partout je crois que j’ai des bosses sur la tête et surtout quelle humiliation. Changement brusque de régime , on me donne une chaise et on m’interroge de nouveau gentiment cette fois.
On me dit qu’à cause de moi, le chef de sûreté de Wilaya n’est pas rentré chez lui cette nuit. Je devine la présence de plusieurs personnes. On me desserre la cagoule, je peux voir
pour la première fois le sol carrelé et les chaussures des personnes qui m’interrogent. On insiste sur mon rôle quand à la défense des dirigeants du F.I.S au tribunal militaire de Blida en 1992, sur la façon dont je les ai connus, comment j’ai été constitué. On me demande si je suis militant du F.I.S, on me demande de citer ensuite les clients qui m’ont constitué, si je percevais des honoraires, on me demande pourquoi certains clients ne m’ont pas payé. Enfin, on insiste beaucoup sur mes relations avec Amnesty Internationale.
Ensuite, on passe aux faits qui me sont reprochés. On me pose plusieurs fois les mêmes questions. Je donne toujours les mêmes réponses. Mais cette fois, on ne s’en satisfait pas. Je suis à chaque fois contredit sur tous les détails. On en ajoute certains qui n’ont aucune réalité. On fait ensuite venir Kore Echi Hocine. On lui demande de parler. C’est extraordinaire. Il se met à débiter à toute allure une leçon bien apprise à tel point que les policiers lui demandent d’aller plus doucement. Il se reprend avec exactement les mêmes termes, on me demande de confirmer ses déclarations. Je ne suis pas d’accord mais on me dit qu’il ne s’agit que de détails sans importance. Je constate qu’il n’y a pas de machine à écrire et que cet interrogatoire n’est peut-être destiné qu’aux personnes présentes. De toute façon, je ne résiste plus, je suis trop fatigué, je suis dans un état second, je suis pressé d’en finir. Encore une fois, je suis traîné dans un véhicule qui démarre, quelle heure peut-il être, deux heures du matin ? Quelques dizaines de minutes plus tard, je suis de nouveau descendu et traîné jusqu’à une cellule dont on referme la porte sur moi.
Il n’y a rien par terre sinon une bouteille en plastique vide. Je m’allonge jusqu’aux premières lueurs de l’aube qui pénètrent par trois trous dans le mur.
Dimanche 4 août 1996
Il y a dans la porte un guichet, je le pousse, il donne sur un couloir assez large. En face, il y a une cellule munie de barreaux et entassé à l’intérieur, une dizaine de personnes. Par le guichet je demande où sommes nous. Aucune réponse. Ils me regardent avec curiosité. Je pense que d’après la distance parcouru depuis Boumerdes et le bruit des avions qui décollent je suis peut-être à la caserne du Hamiz. Des pas dans le couloir. J’ai soif, je demande de l’eau. La personne s’approche, me crache au visage et me referme violemment le guichet sur les doigts. Je vais me rasseoir par terre et je décide de ne plus rien demander. La porte s’ouvre de nouveau, il doit être presque midi, c’est le même système qu’à Chateauneuf,on me
place la cagoule sur la tête et on serre. Je suis ensuite conduit dans un bureau. Je demande à me laver et à aller aux toilettes. Après quelques instants, une personne donne un ordre et je suis conduit jusqu’à une salle d’eau. Je demande à enlever la cagoule pour pouvoir me laver. On me l’ôte à l’intérieur du WC. Quel soulagement !
[…] Cette fois nous montons deux étages et nous entrons dans un bureau climatisé. On me pose encore des questions. […] Au silence qui règne et à la courtoisie de mes gardiens, je devine qu’il y a peut-être une personne importante. Je suis conforté dans mon sentiments lorsque sous la cagoule je vois des paires de chaussures de luxe. On me demande de confirmer ma rencontre avec » Achache » et les raisons de cette rencontre. Et que j’en avais tenu informé A.H. Je réponds machinalement les personnes présentes ont l’air satisfaites de mes réponses et l’une d’elle demande même qu’on prenne bien soin de moi ce qui ne présage rien de bon.
Et effectivement, le comportement de mes gardiens a changé. On me dit que j’ai de l’argent. Dans mon portefeuille et qu’ils peuvent m’acheter de la nourriture mais je suis trop abattu pou pouvoir manger. Toutes mes idées se mélangent. Pourquoi a-t-on insisté tellement sur A.H. ? Veut-on lui » monter » une affaire ? Est-ce une occasion de régler des comptes politiques? Suis-je au centre d’une machination qui se prépare ? Est-ce la raison pour laquelle je n’ai pas été tué.
Lundi 5 août 1996
Je suis mené une nouvelle fois à l’étage et assis sur une chaise. Quelqu’un me relève la cagoule. Il s’assoie juste en face approche son visage très près du mien, m’insulte et me dit des obscénités. Je suis ensuite ramené dans ma cellule. La journée est calme. Je suis seul avec moi-même à ruminer mes idées.
Mardi 6 août 1996
Il n’y a pas une goutte d’eau. J’ai soif, j’entends également les occupants de la cellule en face réclamer de l’eau. Cette fois et contrairement à la veille personne ne circule dans le couloir. Il n’y a donc personne à qui l’on puisse demander quoi que ce soit. Nous a-t-on oublié ? il fait très chaud. Ma chemise sale me colle à le peau. Elle sent mauvais. Je reconnais encore l’odeur de la couverture de Chateauneuf. Dans l’après-midi, il y a bien des personnes qui passent dans le couloir. Je pousse la lucarne du guichet et je la laisse ainsi. On ne me dit rien, ils n’entendent pas, ils sont indifférents, une véritable torture morale. La nuit est tombée depuis un moment, les trois trous dans le haut du mur se sont éteints, il est peut-être neuf heures lorsque la porte s’ouvre de nouveau. Toujours la cagoule. […] L’interrogatoire dure plusieurs heures. A chaque fois que je conteste les contre vérités de Kore Echi Hocine (dont j’ignorais le nom auparavant) on me répond qu’il ne s’agit que de détails sans importance( j’en connais cependant l’importance devant » un tribunal « ). Ma capacité de résistance est cependant trop faible. J’acquiesce machinalement. Je suis pressé que tout cela finisse et que je me réveille de ce cauchemar.
A la fin, après quelques heures, on me demande de me mettre à genoux dans un coin de la pièce entre un lit et une armoire métallique. On m’a légèrement enlevé la cagoule. On me place une à une les feuilles sur le lit. J’ai le temps de les survoler et je remarque qu’autour des faits réels on a ajouté une foule de détails. Je dis que je ne suis pas d’accord que je n’ai pas avancé tel détail, que je n’ai pas dit tel mot, tel terme. On me répète encore qu’il ne s’agit que de détails sans importance qui ne changent rien au fond du problème. On insiste. Je suis trop fatigué et pressé de retourner dans la cellule pour respirer sans cette cagoule. Je signe machinalement.
Mercredi 7 août 1996
Cette nuit j’ai dormi un peu. J’ai fait ma prière du Sobh. Le guichet est toujours ouvert. Dans la cellule en face, toutes les 5 à 10 minutes, quelqu’un se lève, va vers le coin de la cellule, une bouteille de plastique à la main, je comprends qu’il n’y a pas de toilettes. Il y a un jeune, je lui demande d’où il est, il me répond de Larbatache, et les autres ? la plupart sont de la même région: » Depuis quand êtes-vous là? » – » Certains un mois, d’autres moins « . Il ne m’en dira pas plus. Mais c’est suffisant pour que j’établisse une relation avec mon déplacement de l’année dernière dans la région. La nuit est tombée, le jeune qui est toujours debout contre la grille me dit qu’ils ont emmené quelqu’un, que c’est inhabituel la nuit. J’entends alors des cris. Ainsi ils continuent à torturer. J’attends encore. Des pas, une cellule qui s’ouvre et encore le même manège une heure plus tard. Le jeune qui est toujours debout et qui peut communiquer avec les autres cellules me dit qu’il y a la télévision et trois personnes ont déjà été filmées parmi lesquelles » Hocine Du Barrage » (Kore Echi Hocine).
Tard dans la nuit quelqu’un vient au guichet de la cellule et m’appelle. Il me demande si je suis d’accord pour parler un peu à la télévision, du F.I.S de Abassi Madani. Je suis choqué. Il insiste. Je ne lui réponds même pas. Mes appréhensions se confirment, on veut politiser un fait banal pour monter une machination politique dont je serais le centre. Il reste un long moment au guichet. Je refuse d’entendre ce qu’il dit. Enfin, il repart. J’ai eu une peur immense d’avoir à être obligé, sous la torture, de parler à la télévision, de faire de fausse déclarations pouvant mettre en cause mes propres clients.
Jeudi 8 août 1996
La matinée est calme. Dans l’après-midi cependant des hurlements de femme. Une femme qui réclame son fils. Je crois reconnaître la voix de ma femme. Non ce n’est pas possible. A-t-on enlevé mon autre fils ? Ma femme a-t-elle découvert que je suis ici? Peut-être est-ce pour me forcer à faire des aveux télévisés. De toute mes forces j’essaie de chasser toutes ces idées.
Encore une nuit d’attente, je me dit qu’ils vont revenir, que c’est sûrement pour cette nuit. Je décide que quoi qu’il m’en coûte je résisterai jusqu’à la fin. Je ne dirais pas un seul mot devant une caméra.
Vendredi 9 août 1996
Non ils ne sont pas venus cette nuit. Ont-ils abandonné leur idée ? Non c’est certainement parce qu’ils ne travaillent ni jeudi, ni vendredi [jour de congé en Algérie, NDLR]. Ce sera donc pour samedi. Il faut que je tienne. J’en arrive à oublier le sort de mon fils et de mon beau-frère. Non ceci est beaucoup plus important, il faut donc que je tienne, que je ne dise plus un seul mot. Je me fixe donc sur cette résolution. Je m’endors un peu après la prière du Sobh.
Samedi 10 août 1996
La porte s’ouvre, je suis sorti toujours en cagoule. A l’extérieur cette fois. Je ressens la chaleur des rayons de soleil, je suis hissé dans l’arrière d’un véhicule et couché sur le côté. Il démarre comme dans un rêve. Dix minutes plus tard, il s’arrête et on m’enlève la cagoule. Le rêve
continue, je suis au tribunal de Rouiba. On me fait traverser le long couloir du tribunal jusqu’au Parquet. Il y a d’autres personnes assises mais on m’isole, seul, tout au fond sous la garde d’un policier. La lumière du soleil me fait mal aux yeux. Au passage j’ai croisé Madame Terki, la présidente de la section civile qui s’apprêtait à rentrer à l’audience et qui n’a pas du me reconnaître. Quelques confrères aussi.
Au bout d’un long moment on m’introduit dans le bureau du procureur M. Il me pose des questions, j’ai toujours entretenu des relations distantes sinon mauvaises avec lui. Alors à quoi bon lui parler? Mon problème est d’avoir contacté des personnes en fuite qui voulaient, selon elles, se livrer à la justice et l existe entre le procureur et moi un précédent dans ce domaine. En 1993, je lui ai présenté une personne en fuite (Djebbara Salah). Ce dernier ne voulait pas se livrer à la police pour échapper à la torture. J’avais alors contacté ce procureur qui m’avait alors promis de faire le nécessaire et de me délivrer un document établissant que mon client s’était livré de lui même. En fait dès que j’ai livré mon client, ce même procureur devait se rétracter pour me dire avec beaucoup de cynisme qu’il ne m’avait jamais fait une telle promesse. J’avais rapporté cet incident à plusieurs confrères de Rouiba : Me Zemoul, Me Lamouri, Me Chenoune… .
Nos relations devaient par la suite s’envenimer au cours des procès où il représentait le ministère public et où je ne manquais pas lors dans mes plaidoiries de critiquer les méthodes utilisées par la police chargée de l’enquête préliminaire. Je ne pouvais donc rien attendre de ce procureur. Quant à mon audition de première comparution devant le juge d’instruction en fin d’après-midi, les confrères présents ont eu l’occasion de constater l’état dans lequel je me trouvais. » »
El Harrach, le 31/08/1996, Me Mesli.
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