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Alya, la difficulté du retour.

publié le 03/02/2015 | par René Backmann

Malgré les incitations et aides multiples offertes aux nouveaux arrivants -Français ou non- l’adaptation à la vie en Israël, l’obstacle de la langue franchi, n’est pas toujours simple.


Combien de Français juifs cèderont-ils à la tentation d’émigrer en Israël à la suite de la tuerie du supermarché cachère de la porte de Vincennes ? Dans l’émotion et l’inquiétude – compréhensibles – du moment, nombre d’entre eux ont manifesté cette intention ou en ont envisagé la possibilité, comme le montrent les témoignages recueillis par plusieurs quotidiens.

Assez maladroitement et au mépris des convenances diplomatiques, comme l’ont déploré certains de ses compatriotes, le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou après s’être invité à la marche du 11 janvier, a appelé les Français juifs à venir chercher en Israël la sécurité qu’ils jugeraient défaillante en France. Appel que son ancienne ministre de la justice a jugé « peu judicieux et contre-productif ».

« Appeler les Français juifs à paniquer et à partir pour Israël, estimait le 15 janvier un éditorialiste de Haaretz, équivaut à céder face au terrorisme, car cela constitue un message sans ambiguité à destination des terroristes islamistes potentiels : les juifs peuvent être poussés à fuir par la peur. Message auquel Netanyahou s’oppose avec force lorsqu’il s’agit d’Israël ». « La France est la terre des juifs de France » a répliqué le grand rabbin de France, Haim Korsia. « La France sans les juifs ne serait plus la France », a répondu, de son côté le premier ministre Manuel Valls au chef du gouvernement israélien qui n’avait pas hésité à importer son discours de campagne électorale dans une France traumatisée par les attentats jihadistes des frères Kouachi et d’Ahmady Coulibaly.

Depuis l’assassinat d’Ilan Halimi par « le gang des barbares » en 2006, chaque éruption d’antisémitisme violent a provoqué un accroissement de l’émigration des Français juifs vers Israël. Alors qu’en 2006, 1781 Français avaient fait leur « Alya » (leur « montée » en Israël, pour les religieux) le chiffre avait atteint 2767 l’année suivante. De la même manière, entre 2012 – année des crimes commis par Mohammed Merah à Toulouse – et 2013, le nombre des émigrants à destination d’Israël était passé de 1920 à 3400. Depuis, le nombre d’émigrants n’a cessé de croître. En 2014, évènement historique, la France a été pour la première fois, devant les Etats-Unis, le pays qui a fourni le plus grand nombre d’immigrants à Israël avec 6600 départs.

Avant même les attaques contre Charlie et le supermarché cachère de la porte de Vincennes, des responsables de l’Agence juive, qui organise l’émigration vers Israël, avaient déclaré qu’ils espéraient attirer 10 000 Français en 2015 et jusqu’à 40 000 en 2017. Pour soutenir ce mouvement, un lobby parlementaire vent d’être créé à la Knesset. Et des mesures d’incitation très convaincantes ont été adoptées par le gouvernement israélien.

Les « aides à l’intégration » recensées par l’Agence juive comprennent notamment la gratuité du billet d’avion aller, un pécule payable en 6 versements mensuels, de multiples réductions douanières et fiscales, des bourses d’études, un stage de formation professionnelle, des réductions d’impôts et dispenses de déclaration pour les revenus obtenus hors d’Israël pendant dix ans. Selon le ministère israélien de l’Immigration, plus de 90 000 Français juifs sont venus s’établir en Israël depuis la naissance de l’Etat juif en 1948. On évalue aujourd’hui à 150 000 le nombre de Franco-israéliens vivant en Israël.

Les nouveaux immigrants arrivés de France se dispersent pour la plupart autour de trois pôles principaux : la cité balnéaire de Netanya, à une trentaine de kilomètres au nord de Tel Aviv, pour les retraités, en particulier les plus fortunés ; la ville côtière d’Ashdod, à mi-chemin de Tel Aviv et Gaza, pour les immigrants aux revenus plus modestes et Jerusalem, pour les religieux.

A la sortie sud de Jérusalem, face à Bethléem, la colonie urbaine de Har Homa (Jebel Abou Ghneim, pour les Palestiniens), créée en 1997, sous le premier gouvernement de Benjamin Netanyahou, est devenue l’un des lieux de résidence préférés des immigrants francophones. Har Homa abrite actuellement une dizaine de milliers d’habitants mais, selon les experts de B’Tselem et La Paix maintenant, les extensions en cours devaient pouvoir accueillir près de 40 000 dans les prochaines années.

Malgré les incitations et aides multiples offertes aux nouveaux arrivants (Français ou non) l’adaptation à la vie en Israël, l’obstacle de la langue franchi, n’est pas toujours simple. Le pays connait une grave pénurie de logements, qui s’accroit, ces dernières années avec l’arrivée des Français. En 2014, Les prix de l’immobilier ont augmenté de 4 à 10% selon les villes. Les professions libérales françaises ne sont pas reconnues en Israël et nombre de médecins, dentistes, kinés doivent passer des examens d’habilitation avant de pouvoir exercer. Certains choisissent d’ailleurs « l’émigration Boeing » en installant leur famille en Israël, en conservant une activité professionnelle en France et en faisant la navette le weekend.

L’adaptation des enfants à l’école israélienne pose aussi de sérieux problèmes. L’Association Elem, qui aide les « jeunes dans la détresse » estime qu’à Netanya, près de 200 enfants arrivés de France qui sont sortis du système scolaire vivent en marge de la société et qu’ils seraient plusieurs centaines dans l’ensemble du pays à errer entre vagabondage et délinquance. A cela s’ajoutent les mauvaises surprises des systèmes d’allocations familiales, de sécurité sociale et d’éducation israéliens, moins généreux que le système français.

L’orthodontie, par exemple n’est pas remboursée en Israël alors qu’elle est en France. « Au bout de trois ou quatre ans lorsque les aides de l’agence juive et su ministère de l’Intégration n’arrivent plus, les dettes s’accumulent, explique un Français de Jérusalem et il arrive que la question du retour se pose ». Les « déçus de l’alya » souhaitant rarement rendre leur décision publique, il n’existe pas de statistique indiscutable des retours en France. Un chiffre circule cependant avec insistance en Israël : 20 % des immigrants français reprendraient l’avion pour Paris dans les cinq ans suivant leur arrivée.


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