Jean-Paul Mari présente :
Le site d'un amoureuxdu grand-reportage

Casamance: quatre français disparaissent.

publié le 20/05/2007 par Jean-Paul Mari

Une chose est sûre : ils ont quitté la ville de Ziguinchor en direction de la plage de Cap-Skirring, à 9 heures du matin, ce jeudi 6 avril. Voilà plus de trois mois. Et après… Après ? Rien. Enfin, rien de tangible. Beaucoup d’hypothèses, des rumeurs aussi précises que fausses, des histoires folles qui courent à la vitesse d’un feu de brousse, quelques Blancs sûrs de tout mais qui ne savent rien, et des Diolas, hommes noirs, le corps longiligne et l’âme secrète, le dos courbé sur leur champs, qui voient tout, eux, mais ne disent mot. Et nos quatre Français ? Disparus, évanouis, devenus subitement invisibles, en l’espace de quelques dizaines de kilomètres d’une route goudronnée, droite, fréquentée. Trois mois de recherches ! Le Parc national de Casamance passé au peigne fin par un bon millier de soldats d’élite de l’armée sénégalaise, le président du pays alerté, le ministre français de la Coopération embarrassé, des ambassades en émoi, trois missions de police judiciaire envoyées sur place, une équipe de la DGSE qui traite la moindre information, un consul qui en a perdu le sommeil, des émissaires secrets qui traînent de chaque côté de la frontière… Et pour quel résultat ? La découverte du véhicule, bien caché dans un bois sacré, un 4×4 de location qui, hélas, ne nous apprend pas grand-chose. Et deux phalanges d’un petit doigt, faux indice qui contribue un peu plus à épaissir le mystère. Pas un seul témoignage direct ! Dans une région où rien n’échappe aux yeux et aux oreilles de la forêt ! On ne s’y résout pas. Reprenons.
Ils ont quitté Ziguinchor vers 9 heures ce jour-là. Quatre Français, deux couples d’une quarantaine d’années, un groupe de copains de Saint-Etienne. L’élément moteur, c’est Jean-Paul Gagnaire, surnommé le Chat ou Gaston, chef d’équipe dans un groupe commercial, grand, chauve, longiligne, des moustaches blond-roux en guidon de vélo. Un fou de voyage. Avec sa femme, Martine, ils ont visité le Maroc, La Turquie, Israël, l’Egypte, la Norvège et l’ex-URSS. Elle est blonde, un peu nerveuse, travaille à la Sécurité sociale, se ronge les ongles, fume des Marlboro, porte des lunettes noires et a les cheveux – c’est important – retenus par un élastique. La Grenouille, comme on l’appelle, a eu la pommette fracturée lors d’une vilaine chute dans une crevasse de la mer de Glace. En 1992, pour leur quarantième anniversaire, on leur a offert un voyage au nord du Sénégal avec l’autre couple, Claude et Catherine Cave, le Claude et la Cat. Lui, très grand, porte chevalière, alliance et chaîne en or, et travaille dans une filiale de Bouygues ; elle est une jeune femme brune et souriante, responsable dans une cafétéria. Ils ont deux enfants de 4 et 12 ans. Les Gagnaire font de théâtre amateur. Tous sont ouverts, aiment la vie, les contacts, les gens, et, routards sages, préfèrent les petits villages aux grandes plages. Des touristes comme on les aime. Depuis l’URSS et ses tonnes de paperasserie inutile, ils jouent à s’intituler « chef » sur leurs fiches d’immigration. Du coup, la presse sénégalaise les prendra un temps pour des instructeurs militaires. Mauvaise blague. Lors de leur premier voyage, ils ont adoré le Sénégal, ont promis de revenir à Dakar et de filer jusqu’en Casamance. Les voilà au volant d’un 4×4 fourni par l’agence de voyages : un Mitsubishi double cabine, blanc, énorme, avec une bâche jaune, un plateau arrière doté de banquettes et des autocollants Africars. Spectaculaire. Direction Ziguinchor !
De Dakar, la route file vers le sud, traverse la Gambie, un doigt de terre anglophone, incongru, rature de l’histoire coloniale, mini-Etat inventé par des négociateurs fatigués, pays encombré d’un bac interminable, de douaniers tatillons et de policiers qui vous rackettent. Au bout du chemin, Ziguinchor, capitale de la Casamance, enroule son corps ensommeillé autour du port sur le fleuve. Des gosses noirs se baignent et leurs corps, mouillés, brillent comme des chambres à air. Quelques bâtiments administratifs blancs, la Gouvernance, des banques, une gendarmerie, des maisons de ciment aux toits de tôle ondulée bouillants sous le soleil d’Afrique, l’atmosphère immobile d’une ville habituée à la lourdeur de l’air et à la lenteur du pas. Les étrangers qui restent ici succombent, gonflés de bière et envoûtés par la Casamance, ses Diolas doux et compliqués, les histoires de fétiches qui soignent, empoisonnent ou rendent invisibles, les cérémonies secrètes d’initiation au fond des bois sacrés et toutes ces choses qu’on n’a pas le droit de voir. Sous peine de mort.
Avant de venir, Jean-Paul Gagnaire, le Chat, a consulté sa bible, le « Guide du routard ». Il indique un campement, le ZAG, propre et pas cher, à l’entrée de la ville : « Ils sont arrivés le 3 avril, en fin de soirée, ont pris une chambre à quatre lits à 22 francs par personne », raconte Abass Goudiaby, propriétaire du campement. Cet ancien prof de philosophie, marié à une Française, est un homme doux, intelligent et malheureux. Il est le premier à s’être inquiété de la disparition des quatre Français, « simples et gentils ». Il a tout fait pour les retrouver. Et vain. Lentement, il reconstitue leur séjour. « Le lendemain, ils sont partis pour une grande balade. » Visite de la brousse, vers le nord, des étranges cases à impluvium d’Enampor et de Séléki. Piste jusqu’à Mlomp, déjeuner local à Elinkine. Ils roulent, dévorent les pistes de latérite, traversent des villages où les gens vous saluent de la main, prennent en stop tous les marcheurs de la brousse, reviennent à la nuit au campement, heureux, « impressionnés par les charges portées par les femmes sur leur tête ». On parle de culture locale, de gosses, de la vie. Le lendemain, il filent prendre une pirogue vers Affiniam, dînent au Petit Bedon, un restaurant tenu par un Belge de Namur qui se rappelle les quatre Français, leur énorme 4×4, et retrouve l’addition du 5 avril au soir : « Du poisson, du rosé, café, thé… 26 000 francs CFA. » Banal. Absolument banal. Jusqu’au lendemain matin. On part vers la plage de Cap-Skirring pour faire plaisir à Martine. « Il leur restait trois jours de vacances. Ils n’ont rien emporté, sinon de quoi se baigner, et ont commandé pour le soir un couscous au poisson. » Ils repassent par Ziguinchor pour faire un peu d’essence, et Abass les croise sur la route, en direction du cap, à quatre-vingts kilomètres de là. Le soir ? Rien. « Les chiens n’ont pas aboyé de la nuit. » Ils ne sont pas rentrés. Abass, un peu inquiet, attend la nuit et file au commissariat faire une déclaration, « le sept avril, à vingt heures cinq ». Le policier de permanence enregistre, téléphone à la gendarmerie d’Oussouye, à mi-chemin. On prend note. Le lendemain, samedi 8 avril. Toujours rien ! Cette fois, Abass est mort d’inquiétude. Pendant deux jours, il va fouiller toute la région, en taxi-brousse, en bus et même à vélo. A Cap-Skirring, avec un copain pharmacien, il enquête dans les hôtels, les bars, les magasins, arrête les passants dans la rue. Il refait toutes leurs balades, s’arrête à chaque gendarmerie et au barrage militaire du pont de Nyambalang : « Où les militaires m’ont dit : “On n’arrête pas les touristes.” » Cette fois, Abass craint le drame. Qui voir ? Où s’adresser ? Le lundi, il fonce chez l’abbé Diamacoune, vieux chef indépendantiste, responsable charismatique en perte de vitesse, personnage ambigu, mélange d’expérience et de légèreté. Très vite, il dénoncera une bavure de l’armée sénégalaise… avec la complicité des Français. Sans jamais apporter d’élément sérieux. Passons. Est-ce que ses hommes ont vu quelque chose ? « Il m’a promis d’envoyer des émissaires. Le problème lui semblait grave. Il m’a conseillé d’aller immédiatement prévenir le consul de France à Ziguinchor. » Le consul se démène, remue les autorités. L’affaire éclate enfin. On n’exclut aucune piste, pas même une bavure des militaires sénégalais. Deux mois plus tard, les gendarmes viendront interpeller Abass au petit matin. On le laissera trois jours en slip dans une cellule pour l’interroger. Sous prétexte qu’un homme qui va voir l’indépendantiste Diamacoune a sûrement quelque chose à cacher !
« Ils ont quitté Ziguinchor… » Soit. Et après ? Qu’est-ce que Jean-Paul Gagnaire, le Chat, ne sait pas, lui qui prépare si bien ses voyages ? Une chose, peut-être, mais elle est d’importance. La Casamance est en effervescence, les indépendantistes sont à nouveau sur le pied de guerre. Il faut voir la colère des Diolas quand ils parlent du sort fait par Dakar aux gens de Casamance ! Eux, les paysans de la forêt, ancrés dans leurs traditions, animistes et catholiques, dénués du sens de la hiérarchie et du goût du commerce ! Il faut les entendre rugir en parlant des terres volées. Leurs terres ! Il faut les voir serrer les dents en parlant de ces nouveaux colons venus du nord, musulmans, dynamiques, dominateurs, qui connaissent l’art du profit, font des rafles ethniques où le sang coule sous la matraque, bombardent au mortier les villages rebelles, détruisent les cases et les brûlent. Oui, entre les indépendantistes du MFDC – Mouvement des Forces démocratiques de Casamance – et l’armée sénégalaise, c’est la guerre. Au début, en 1982, les autres n’avaient que des flèches. Aujourd’hui, ils sont plusieurs milliers, divisés en plusieurs groupes, et manient la kalachnikov et le lance-grenade. Et, eux aussi, ils sont devenus durs. On a signé un premier accord en 1991, et un autre en 1992. On prévoyait des libérations de prisonniers, le retrait de l’armée, un plan de développement. Rien n’a été fait. L’année 1992-93 a été terrible : des campements militaires attaqués, des coups de main sur les routes, des rebelles-poissons dans l’eau verte de la brousse, embusqués dans le Parc national de Casamance, des militaires du Nord sahélien impressionnés par ces histoires de grigris, d’hommes invisibles transformés en arbres, une répression féroce et la mort d’au moins… 1 000 civils. Nouvelle trêve, nouvel échec. Depuis ce mois de janvier, le pays s’est à nouveau enflammé. Comment le Chat aurait-il pu s’en douter !
Son « Guide du Routard, édition 94-95 » tartine sur la délinquance à Dakar, mais ne souffle mot des troubles. Les hôteliers de la région, traumatisés par une année sans touristes après la chute d’un avion de passagers et le massacre de trente-deux pêcheurs à Cap-Skirring, vous jurent la main sur le coeur que la région « est sûre à cent pour cent ». Et il y a du vrai. Nos quatre Français n’ont rencontré jusque-là que des gens adorables et une nature en paix. Mais ils n’ont jamais parlé à Abass de l’idée de pénétrer dans le Parc de Casamance. A l’entrée du Parc, interdit depuis trois ans, aucun panneau ne signale le danger. Et le Parc est sur la route de Cap-Skirring. Juste un petit crochet. Si facile, comme dit le « Guide » : « A vélo, pied, balade très agréable, végétation intéressante… » Les quatre Français ne savent pas que la semaine précédente quatre Européens se sont retrouvés nez à nez avec des indépendantistes qui leur ont conseillé de déguerpir. Et que deux Allemands, chasseurs de papillons, ont retrouvé leur Méhari trouée de deux balles avec les quatre pneus lacérés. Psychologiquement, le Chat et ses amis ne sont absolument pas préparés au danger : le piège.
Leur disparition fait du bruit, beaucoup de bruit. Les Français exigent des résultats, prêtent leur Bréguet pour une reconnaissance photo. L’armée sénégalaise projetait une offensive, le prétexte du ratissage lui donne le feu vert. Mille cinq cents soldats d’élite investissent la brousse. On ne trouve pas les disparus, mais on accroche les rebelles et on les déloge de la région. Les indépendantistes fuient vers la frontière toute proche de la Guinée-Bissau. Là-bas, les enquêteurs finissent par mettre la main sur trois témoins : un sorcier-féticheur, petit vieillard, gringalet, son plumeau à la main, le gardien du bois sacré d’Efok ; un autre féticheur, fabricant de gris-gris pour les combattants et un chef de village près d’Efok. L’un sait où est la voiture ; l’autre où sont les corps. Comment les ramener dans le Parc en assurant leur sécurité ? A Dakar, l’ambassadeur n’hésite pas. Il a l’expérience du Liban et met en place une incroyable opération-commando diplomatique. Le 28 mai, avec l’accord du président de la République française, il réquisitionne un Transall, embarque le colonel sénégalais responsable de la Casamance, vole vers Bissau, récupère les trois témoins et un officiel de Guinée Bissau, repasse la frontière, se pose à Cap-Skirring, met tout le monde dans des 4×4, roule vers le Parc, trouve la route coupée par des abattis et termine par deux heures de marche ! Hélas, le témoin à qui on aurait montré « l’emplacement des tombes » ne retrouve rien. Au bout d’une demi-journée, on part vers le bois sacré d’Efok chercher la voiture. Sur place, les militaires du campement sont surpris et nerveux. Soudain, des coup de feu. L’homme qui disait connaître le lieu des sépultures a disparu dans la forêt ! Le sorcier, lui, marche vers le bois sacré, touffu, impénétrable, tabou, gardé par quelques ossements d’animaux. Il dit que les indépendantistes l’ont forcé à cacher le véhicule vide. On avance. Le 4×4 est là, à deux cents mètres du campement des militaires, pratiquement invisible, bâche enterrée sous les feuillages, levier de vitesse brisé, privé de ses autocollants publicitaires et de ses plaques d’immatriculation. Aucune trace de violence ; pas d’impacts de balles. On pense à une tache de sang, là, sur la vitre. Ce n’est que du jus de liane. Plus tard, les policiers français découvriront, sous l’autoradio, un doigt enroulé dans une feuille de mangue et tenu par ce qui ressemble à un élastique pour cheveux de femme. On croit au doigt d’une Européenne, on envoie le doigt en urgence à l’Institut médico-légal de Paris. Résultat : deux phalanges d’un auriculaire gauche d’homme noir, probablement sectionné sur un individu vivant. Mais sur qui ? Les témoins réfugiés parleront d’une information sur des Français qui auraient conduit deux guides dans le Parc, pris et exécutés sommairement par des rebelles… Mais personne, à Ziguinchor ou ailleurs, n’a jamais vu nos quatre Français avec des guides sénégalais. Et aucun d’eux n’a disparu.
« Ils ont quitté Ziguinchor. » On peut maintenant ajouter : « Et ils sont probablement entrés dans le Parc. » C’est peu ! Au commissariat de police de Ziguinchor, les flics poussent deux braconniers dans une cellule grise, sale et surpeuplée. Une vieille dame distribue une décoction d’« oseille de Guinée » dans des bidons jaunes de Lockheed. Un inspecteur en civil, casquette de laine crasseuse, tee-shirt rouge vif déformé par un énorme colt, vous traîne vers le bureau d’un enquêteur. Il fait horriblement chaud, la pluie ne vient toujours pas ; les moustiques et les hommes deviennent fous. L’autre résume la situation avec solennité : « Le scepticisme demeure présentement… » Puis il regarde vers la frontière. « Seule la Guinée-Bissau pourra élucider ce mystère. » Filons.
Sur la route de Sao Domingo, on trouve des contrôles de frontière interminables, des fonctionnaires avachis et un nouvel accent, lent, portugais, celui des Africains de Guinée-Bissau. Juste après la première ville, on tourne à droite, sur la piste de latérite qui longe la frontière avec le Sénégal, mauvais chemin en tôle ondulée, qui casse les reins, les poignets et traverse des marécages fumants sur des ponts de madriers branlants. On fouille, sans succès, jusqu’au moment où apparaît la mission catholique de Suzana, grande, calme et fraîche. A l’intérieur, le frère Renato, un missionnaire qui sillonne le coin depuis depuis vingt ans. « Moins d’une semaine après la disparition, les chrétiens des villages de Bujim et d’Ejatem, près de la frontière, m’ont raconté leur version. Une seule version et qui n’a jamais varié, dit calmement le frère Renato. Au matin du 6 avril, les Français sont entrés dans le Parc. Après le village d’Emaye, il y avait un accrochage en cours. Des rebelles les ont arrêtés pour leur demander où ils allaient. Croyant se trouver face à des militaires, les touristes auraient répondu : “Vers la caserne de Santiaba Mandjak”, prochain village sur leur chemin. L’affaire aurait mal tourné… » Et les corps ? « Le problème, c’est que ces rebelles auraient fait ça sans l’accord de leurs chefs de Ziguinchor. Et les corps, abîmés, ne seraient pas présentables. Sans compter que l’abbé Diamacoune a, trop vite, nié toute responsabilité indépendantiste. Délicat…» Dès le mois de mai, deux émissaires français venus à la mission ont tenté, par l’intermédiaire de l’autre prêtre, le père Fumagali, d’entrer en contact avec les rebelles réfugiés, pour les convaincre de dire la vérité. Au jour dit, un ratissage impromptu de l’armée bissau-guinéenne a fait échouer la rencontre. Et si on les avait gardés en otages dans la région, comme le dit la rumeur, pour essayer de monnayer un appui français à la cause indépendantiste ? Le prêtre secoue la tête : « Trois mois ici ? Non. Les animistes sont capables de grands secrets. Mais les Diolas chrétiens me l’auraient dit. »
On repart, troublé. Le prêtre italien est un homme sérieux. Certes, il y a ces informations sur des habitants d’Emaye qui auraient vu passer les Français le 6 avril. Mai désormais, la peur au ventre, tous se taisent. Et puis surtout… Il y a bien eu des accrochages, les 5 et 7 avril. Mais aucun combat n’a été signalé le 6. Alors ?
On repasse la frontière, vers la Casamance, pour filer le lendemain vers la région d’Emaye. Les officiers se taisent, bien sûr. Les soldats sont plus ouverts. On parle de la dureté des lieux, des combats, des accrochages.. « Ah oui, le 5 avril ? – Non, non. Le 6 avril, au matin », précise le soldat. « Quand le camion militaire a été rafalé, à la sortie d’Emaye. Pas de blessés mais des trous dans le camion. Ensuite, nos gars ont accroché les rebelles. » Le 6 avril au matin, peu avant que nos touristes s’engagent, l’esprit tranquille, sur la piste du Parc ? Ils seraient tombés sur l’arrière-garde des rebelles ? Auraient dit ce qu’il ne fallait pas dire ? « Vers la caserne… » Ensuite, le seul endroit carrossable pour planquer un véhicule est.. la piste qui mène vers le bois sacré d’Efok.
Ce n’est pas forcément la vérité. C’est simplement l’hypothèse la plus proche de la vérité. Un mauvais coup du sort, un peu d’ignorance et beaucoup de malchance. Quand le monde des vacances et celui de la guerre, à force de se côtoyer, finissent par se chevaucher.
On se reprend à penser à cette histoire, le 30 juin 1933, il y a si longtemps, quand deux aviateurs français de Dakar, du nom de Gaté et Brée, ont disparu avec leur Potez Salmson au-dessus de la brousse. La famille a fouillé tout le pays, il y a eu des rumeurs, une répression militaire, des combats, un témoin torturé qui a avoué n’importe quoi, des questions dans la presse parisienne : « Que veut-on cacher ? A-t-on peur de découvrir une base d’hydravions allemands ? » Et puis tout est retombé. On n’a jamais rien retrouvé, ni corps ni avion. La brousse est profonde.
Cette fois, pourtant, il y a quelque chose : un véhicule. Et des pistes à suivre. Rien n’est plus terrible que le mystère laissé par les « disparus ». Vivants ou morts, il faut retrouver le Chat,
Martine, Claude et la Cat. A Saint-Etienne, il y a des familles qui attendent. Et deux gosses de 4 et 12 ans. Pour vivre, ceux-là ont besoin de savoir.

JEAN-PAUL MARI


COPYRIGHT LE NOUVEL OBSERVATEUR - TOUS DROITS RESERVES