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Dernier cargo pour l’Ukraine

publié le 05/01/2010 | par Léonard Vincent

Après des années d’atermoiements et de « dialogue constructif », mais aussi vain qu’un prêche dans le désert, le « grand machin » de Manhattan a enfin décidé de frapper du poing contre la table du Conseil de sécurité. Les sites érythréens sont depuis quelques jours bardés de banderoles et d’éditoriaux lyriques, proclamant qu’à la fin des fins, après tout ce temps, la communauté internationale était « solidaire du peuple érythréen ». Si la batterie de sanctions intelligentes adoptées à l’encontre du régime érythréen le 23 décembre 2009 par le Conseil de sécurité de l’ONU n’avait servi qu’à cela, « ce serait déjà un début », comme me l’a confié un ami exilé. Mais elle commencent également à faire leur effet sur le régime.


Embargo sur les armes, interdiction de voyager pour le leadership politique et militaire, gel des avoirs à l’étranger... Les Nations unies ont décidé de frapper enfin au cœur du dispositif gouvernemental érythréen, qui survit politiquement grâce à son pouvoir de nuisance dans la Corne de l’Afrique et financièrement grâce à l’extorsion méthodique de sa diaspora. Lorsque je travaillais pour Reporters sans frontières, j’ai milité ardemment pour l’adoption de telles mesures. Mais les diplomates, bien mieux informés que moi, n’est-ce pas, haussaient les yeux au ciel. La peur, sans doute.

J’attendais la réponse d’Asmara. Dès le 24 décembre, la compagnie canadienne Netsun Ressources, qui partage le merveilleux gisement d’or de Bisha, à l’ouest de l’Erythée, avec le gouvernement d’Issaias Afeworki, perdait plus de 15% de sa valeur au Toronto Stock Exchange.

Le lendemain, le président Issaias a dépêché en Ukraine, en toute urgence, le général Teklai Habteselassie, commandant de l’aviation, et Yemane Tesfai, le directeur général de la Banque de commerce d’Erythrée, au lendemain de l’adoption de la résolution 1907. Le but de la manœuvre est notamment d’acheter des équipements et des pièces de rechange pour ses vieux Sukhoï-27 en payant cash, avec la conviction que l’ONU n’a agi que pour laisser la bride sur le cou du frère ennemi éthiopien, qui se tiendrait prétendument prêt à envahir son voisin.

L’Ukraine est un fournisseur d’armes historique pour l’Erythrée. Le 17 juillet 1998, au début de la guerre contre l’Ethiopie, un Iliouchine-78 bourré de fusils-mitrailleurs et de munitions s’était écrasé non loin d’Asmara. Des Antonov gros porteurs font régulièrement la navette entre l’Ukraine, le Belarus, l’Erythrée et la Somalie, pour ravitailler les divers miliciens de la région et autres rebellions oubliées.

Le général et le banquier envoyés à Kiev sont tous deux des fidèles du chef de l’Etat. Ancien commandant de la cité militaire de Sawa, Teklai Habteselassie est l’un des rares hauts gradés qu’Issaias pense encore loyal, tandis que Yemane Tesfai est depuis longtemps le grand argentier des basses œuvres du régime.

Ce dernier avait du reste prouvé son dévouement en rejoignant, du temps de la guerre d’indépendance, les maquis de l’EPLF avec l’argent de l’agence d’Asmara de la Banque commerciale d’Ethiopie dont il avait la charge.

Le site d’opposition Asmarino affirme également que trois hauts responsables érythréens qui se trouvaient à l’étranger pour des soins médicaux ont été rappelés au pays.

Issaias Afeworki étant désormais convaincu que les cadres de son parti peuvent à tout moment faire défection, Alamin Mohammed Said, secrétaire national du parti unique, Berhane Abrehe, ministre des Finances, et le Brigadier-général Futstum, dit « Wedi Memhir », ont dû rapidement faire leurs valises et rentrer à Asmara.

Le jeu d’échecs a commencé.


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