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Dossier Iran : Polyphonie persane

publié le 15/09/2023 | par grands-reporters

Leur héroïsme force le respect. Zeinab Jalalian, activiste kurde, emprisonnée depuis 2008 dans la prison de Yazd. Dans la prison d’Evin, au Nord de Téhéran, Narges Mohammadi, journaliste, emprisonnée depuis 2016, Sepideh Gholian, militante féministe et écologiste, emprisonnée depuis 2018, Niloufar Bayani, militante écologiste et chercheuse, emprisonnée depuis 2020, Golrokh Iraee, écrivaine, emprisonnée depuis septembre 22

Elles ont en commun d’avoir écrit en prison des lettres transmises clandestinement et diffusées par le journal Le Monde la semaine dernière. Elles racontent les arrestations, l’arbitraire, les tortures, les conditions de détention, les disparitions, les meurtres. Elles disent dans les mots les plus simples qu’elles ne cèderont rien de leur combat pour la liberté, la justice, l’égalité : « debout jusqu’à la victoire ». Elles disent leur désir de vivre, encore redoublé depuis la mort de Mahsa Amina il y a tout juste un an. Leurs mots vont droit au cœur. Ils vont aussi droit à nos consciences.

Elles sont debout les femmes iraniennes qui dans les rues de leur pays, sur les réseaux sociaux, se dévoilent et chantent les magnifiques strophes qui constituent désormais l’hymne du soulèvement des Iraniennes, Barayé ,de l’auteur-interprète et producteur Shervin Hajipour : « pour danser dans le rue / pour la peur d’un baiser / pour ma sœur, ta sœur, nos sœurs / pour démoniser les cerveaux / pour la honte d’être pauvre / pour une vie ordinaire / pour les rêves des enfants des rues … ». Barayé, « pour » en persan, vu sur Instagram plus de 40 millions de fois dans les deux jours qui ont suivi le début des manifestations.

Barayé dont Marjane Satrapi, l’autrice de « Persépolis », dessinatrice et réalisatrice iranienne, en France depuis 1994, a fait un clip réunissant 48 hommes et femmes, et qui coordonne, aux éditions de l’Iconoclaste, un très beau cahier dessiné collectif de 192 planches, dont des Iraniens qui risquent leur vie pour signer leur geste politique et artistique. L’artiste l’affirme : c’est la première révolution féministe au monde, soutenue de plus par les hommes.

« Femme Vie Liberté » : que n’inscrivons-nous pas ces trois mots devenus le slogan de la lutte en Iran dans nos villes en France, partout, en regard de notre « Egalité. Liberté. Fraternité » ?  Aux éditions Textuel, sous le titre, « Espace vital : femmes photographes iraniennes », ce sont vingt femmes photographes qui exposent et s’exposent. Anahid Djalalli, 23 ans, a choisi de s’exprimer par le podcast.

Le roman n’est pas en reste. Les éditions Gallimard ont publié « Frontière des oubliés », d’Aliyeh Ataei, neuf récits de l’écrivaine de la frontière afghane jusqu’à Téhéran, comme autant de réflexions, à travers sa propre expérience, sur la violence et l’exil. Autre autrice : Mahsa Mohebali, qui vit et travaille dans la capitale iranienne dont le Téhéran Trip publié par les éditions « La croisée » a été sacré « un des meilleurs livres au monde » par le New Yorker en 2022 tandis que la romancière était condamnée à ne plus exercer d’activité artistique.

La lutte en Iran a trouvé des relais. La dessinatrice Coco s’est fait la voix de l’histoire d’une femme appelée « la fille bleue », une fan de l’Esteghlal football club qui a peint son visage en bleu pour aller au stade avec les supporters masculins, emprisonnée et qui s’est immolée par le feu devant le tribunal. Dans L’Usure du monde. Une traversée de l’Iran, c’est Francois-Henri Deserable qui a pris la plume, après un voyage, pour témoigner en écho du mouvement en cours.

Tandis que l’on ne sait plus guère ici ce que le courage veut dire, que le goût de la délation et de l’invective se répand derrière l’anonymat sur les réseaux sociaux et dans les journaux, une révolution profonde a lieu en Iran, où des femmes et des hommes prennent tous les risques en montrant leur visage et en proclamant leur identité. Ce serait bien d’être digne de leur combat.

 

Sandrine Treiner


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