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« D’une guerre à l’autre »

Livres publié le 28/09/2012 | par Noël Quidu

Engagé dans les troupes de Marine à l’âge de 20 ans, premiers déploiements en Bosnie-Herzégovine et en Côte d’Ivoire, tireur d’élite au 2e RIMa, il est envoyé en 2010 dans la vallée de Tagab en Afghanistan….
Loin du témoignage édulcoré, « D’une guerre à l’autre » est le premier récit contemporain à retracer l’engagement d’un jeune soldat français et les épreuves traversées par son régiment .


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LE LIVRE

Engagé dans les Troupes de Marine en 2001 à l’âge de 20 ans, Yohann Douady intègre le 2e RIMa comme grenadier-voltigeur. Ses premiers déploiements l’amènent en Bosnie-Herzégovine, puis en Côte d’Ivoire, pour des opérations de maintien de la paix parmi des populations encore hantées par les souvenirs de la guerre ou déchirées par des affrontements entre forces rebelles et forces loyalistes.

En 2004, déployé à nouveau en Côte d’Ivoire, dans la ville de Bouaké, il vit en première ligne les événements dramatiques qui conduisent au bombardement des positions françaises par les Sukhoï SU-25 du président Laurent Gbagbo, puis participe à la charge des troupes de marine sur Abidjan en proie aux émeutes, avant de prendre position avec ses camarades à l’hôtel Ivoire, bientôt assiégé par des milliers de « jeunes patriotes » ivoiriens.

Promu sergent en 2005, transféré à la Compagnie d’éclairage et d’appui dans la section Tireurs d’élite en 2007, Yohann Douady retourne en Côte d’Ivoire avant de se préparer avec son régiment pour un futur déploiement en Afghanistan. Après la préparation opérationnelle et la prise en main du régiment par un nouveau chef de corps, le colonel Heluin, le 2e RIMa s’envole pour la vallée de Tagab en décembre 2010.

Les patrouilles à pied ou en véhicule blindé, les missions héliportées, les missions d’appui et les investigations dans les villages se succèdent alors à un rythme infernal au cours d’opérations qui vont voir les marsouins du 2e RIMa affirmer leur suprématie sur les insurgés, mais également en payer le prix.

LIRE UN EXTRAIT DU LIVRE

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« Contrairement à ce qu’ont prétendu beaucoup d’analystes extérieurs,
l’esprit de vengeance n’a jamais animé nos troupes,
même après des embuscades meurtrières. »
Général d’armée Henri Bentégeat

Prologue

Vallée de Tagab, 16 mai 2011
Task Force La Fayette, section Rouge 40

La semaine dernière, le sapeur de 1re classe Loïc Roperh, du 13e Régiment du génie, est mort dans l’explosion d’un IED alors qu’il participait à une mission de reconnaissance au sein de son détachement d’ouverture d’itinéraires piégés (DOIP). Sachant son piège bientôt découvert, et à défaut de pouvoir faire sauter un blindé, le taliban a attendu que ce sapeur soit le plus proche possible avant de faire exploser son piège mortel, dissimulé dans une buse. La déflagration a pulvérisé le jeune homme de 24 ans, dont le corps ensanglanté a été projeté une vingtaine de mètres plus loin. Dix jours plus tôt, une mine avait déjà explosé non loin de là, touchant un véhicule blindé léger du sous-groupement Centaure – les blindés du RICM qui nous appuient lors de nos missions –, heureusement sans faire de blessés graves.

Cette nouvelle attaque nous ébranle sérieusement, à quelques semaines seulement de la fin de notre mandat. Elle vient alourdir le triste décompte que se contentent de répercuter les médias français… Au pays, dans les journaux, à la radio ou à la télévision, il ne s’agit que du 57e soldat français mort en Afghanistan. Quelques jours plus tôt, il était question du 56e soldat français mort en Afghanistan, le caporal Alexandre Rivière, du 2e RIMa, mon régiment. Mais nous autres, soldats sur le terrain, nous ne raisonnons pas en chiffres. Nous côtoyions ces hommes, nous les connaissions pour avoir cheminé à leurs côtés, traversé les mêmes paysages montagneux, emprunté les mêmes ruelles traîtresses, pour avoir sué et souffert avec eux.

Aujourd’hui, nous sommes tous épuisés par les missions qui se sont enchaînées depuis notre arrivée en décembre dernier dans la vallée de Tagab. Nous avons rarement dormi plus de deux nuits d’affilée sur notre base de Tora et, ce soir, nous sommes à nouveau dehors, alors que nous étions déjà en patrouille ce matin de 4 heures à 13 heures. Plusieurs éléments ont en effet été accrochés dans l’après-midi et, vers 20 heures, nos moyens de surveillance ont repéré malgré la nuit tombée trois individus creusant sur la MSR entre le CP 44 et le CP 45.

Il ne fait aucun doute que ce sont des poseurs d’IED. Des F-15 en maraude ont été détournés sur cet objectif et ont effectué une passe canon sur les hommes, tuant ou blessant plusieurs d’entre eux. Mais, alors que nous embarquons dans nos VAB pour aller au résultat et juger de la situation, nos ordres changent. Nous apprenons que l’un des poseurs d’IED, blessé, tenterait de s’enfuir en direction de l’est, vers le village de Payendakhel, que nous connaissons particulièrement bien pour l’avoir traversé et fouillé maintes fois au cours des mois précédents.

Au moment de débarquer de nos VAB avec pour mission d’établir un cordon de sécurité, nous recevons encore un nouvel ordre. Il s’agit désormais de progresser à pied, dans le village, en direction d’un compound dans lequel se serait réfugié le poseur d’IED. Notre section, Rouge 40, est conduite par le lieutenant Bruno, un officier relativement âgé puisqu’il a fait auparavant carrière comme soldat et sous-officier au 21e RIMa, une ancienne vie qui a laissé des traces. Il n’a pas son pareil pour jurer et maudire les officiers supérieurs lorsque les missions s’éternisent et que les conditions sur le terrain se révèlent pires que tout ce qui avait été prévu. Ces jurons nous mettent du baume au cœur et nous font sourire… Mais ce soir nous n’avons plus le cœur à sourire.

Deux Tigre bourdonnent à 500 ou 600 mètres au-dessus de nous alors que nous progressons dans les ruelles étroites du village, des ruelles bordées de murs de terre épais derrière lesquels surgissent les silhouettes obscures des compounds ou l’ombre ténébreuse des champs. Il fait nuit noire. Nous observons devant nous à travers nos optiques de vision nocturne, prenant appui à chaque carrefour, scrutant chaque ouverture, guettant chaque mouvement. Parfois, avec nos guidages laser optique, nous désignons des cibles aux Tigre qui nous survolent. Ces derniers basculent alors sur le côté pour aller vérifier qu’aucun danger ne se présente devant nous. De temps à autre, je relève mes optiques de vision nocturne contre mon casque afin de coller mon œil dans la thermique de mon HK417. Le paysage, qui se dessinait en dentelle grise, se colore alors de taches plus ou moins sombres qui témoignent de la chaleur résiduelle des bâtiments gorgés de soleil pendant la journée. Aucune tache blanche à l’horizon, donc pas de présence humaine, nous pouvons continuer à progresser.

Le lieutenant Bruno emmène avec lui notre groupe de tireurs d’élite, mais nous avons bien sûr délaissé nos PGM , qui ne sont guère adaptés à une progression en zone urbaine. Le chef de notre groupe de tireurs, le sergent-chef Jérôme, manie son arme de protection, un Famas. C’est également le cas de notre tireur, Skippy, l’un des nombreux îliens du 2e RIMa – un Tahitien que nous avons surnommé ainsi pour la simple et bonne raison qu’il a un appétit féroce et mange de tout, notamment du beurre de cacahuète, pour lequel il a un goût immodéré. Ce n’est pas le plus costaud des îliens du 2e RIMa, mais il n’en a pas moins une belle carrure et nous dépasse tous en taille.

Waren et moi, qui exerçons la fonction de spotters au sein du groupe, sommes armés de HK417. Seul notre tireur Cyril Louaisil, alias Loulou, manque à l’appel. Il s’est foulé la cheville lors d’une ascension particulièrement difficile au cours d’une mission précédente et sert actuellement dans sa deuxième fonction comme pilote VAB en attendant de pouvoir réintégrer notre petite bande avec son PGM. En dehors du groupe de tireurs d’élite, la section Rouge 40 est composée d’un groupe mortier et d’un groupe Milan, et elle reçoit parfois le renfort d’un groupe d’éléments d’observation – une trentaine de personnels au total.

Nous avons arpenté ensemble les pires collines de la vallée de Tagab et, ce soir, nous sommes tous décidés à mettre la main sur ce salopard de poseur d’IED. Il est censé avoir été blessé par la frappe d’un des F-15 et nous sommes donc à la recherche d’un gars mal en point, voire agonisant, qui aurait été caché par des villageois par complicité ou peur des représailles – qu’elles soient supposées ou réelles, occidentales ou talibanes.

Nous arrivons enfin devant le compound dont l’emplacement nous a été communiqué par radio. Comme tous les compounds afghans, il est ceinturé d’un haut mur de terre et abrite une cour ainsi qu’un bâtiment plus ou moins élaboré. Nous nous mettons en position devant la porte de bois qui donne accès à la cour intérieure, puis nous la martelons afin que le chef de famille vienne nous ouvrir. Personne ne répond. Il doit être environ 23 heures et nos tambourinements ne présagent évidemment rien de bon pour les occupants – ils dorment, ou font semblant de dormir –, mais il n’est pas question que nous restions dans cette ruelle. Nous devons entrer pour fouiller la maison, dénicher le poseur d’IED et le confier ensuite à l’ANA, l’Armée nationale afghane, car nous ne sommes qu’une force d’assistance, pas une force d’occupation.

Le chef Jérôme et Waren se placent devant la porte et décochent quantités de coups de pied et d’épaule pour la faire céder. Je me suis moi-même placé face à elle, le HK braqué devant moi, prêt à m’élancer à l’intérieur de la cour pour prendre position et balayer l’espace de mon canon dans l’éventualité d’une mauvaise surprise. Si le groupe tireur d’élite est en première ligne pour l’investigation de ce compound, ce n’est pas parce que nous sommes meilleurs ou plus courageux que nos camarades, mais seulement parce que nous formons un groupe particulièrement soudé et que nous avons une bonne expérience du combat en zone urbaine.

Plusieurs d’entre nous ont participé à des stages dans des « villages de combat » aux Pays-Bas ou en Allemagne et nous avons déjà eu l’occasion de procéder à des assauts dans des compounds. La mécanique est bien huilée, nous savons comment nous positionner, quels emplacements adopter une fois la porte franchie, mais cela ne nous empêche pas d’être tendus, anxieux, incertains de ce que nous allons découvrir derrière cette porte.

Jérôme et Waren redoublent d’efforts contre cette putain de porte qui refuse toujours de s’ouvrir, très certainement bloquée par un madrier côté intérieur. Dans cette ruelle, par cette nuit sombre, on pourrait croire que les gars dirigent un tir de mortier – BAM, BAM, BAM… Mais rien n’y fait, la porte résiste. J’ai presque envie d’en rire. Les gars de la section sont tapis à gauche et à droite, en protection, pendant que Jérôme et Waren s’esquintent les chaussures et les épaules à s’acharner comme des fous furieux sur une foutue porte que pour ma part je fixe comme si elle allait me sauter à la gorge.

Dans n’importe quel bon film, la porte aurait cédé dès les premiers coups et nous nous serions engouffrés dans la cour en une parfaite chorégraphie avant de nous saisir du rebelle, que nous aurions découvert caché et tremblant sous quelques couvertures.
Je suis fatigué, épuisé, énervé, et pourtant à moitié plié de rire devant mon chef et mon spotter, qui personnifient la toute-puissance de l’armée française coupée net dans son élan par une simple porte de bois.

Soudain, dans un geste d’énervement, Waren assène un coup de poing sur la porte en s’exclamant : « Putain, ça commence vraiment à m’énerver ! » Et là, subitement, la porte s’ouvre, sans que personne s’y attende. Le madrier a cédé sans que l’on s’en soit rendu compte et il a suffi d’une petite tape supplémentaire pour que la cour du compound se dévoile à nos yeux. Je suis surpris, presque incrédule, puis les réflexes reprennent instantanément le dessus. Je redresse le canon de mon HK et m’élance sans réfléchir. Je pénètre le premier dans la cour et me poste dans l’angle intérieur gauche immédiat. « Douady à gauche, clair ! », je gueule. Waren, le chef Jérôme et Skippy m’ont suivi dans la seconde. Nos cris emplissent la cour et succèdent aux coups sourds que nous avions portés contre la porte.

« Waren, à droite, clair ! », « Jérôme, clair ! », « Skippy, clair ! ». Mes yeux balayent la cour à travers la lunette thermique de mon arme, mais aussi les toits, d’où proviennent des bruits. Des silhouettes blanchâtres s’y découpent sans que je puisse savoir s’il s’agit d’hommes ou de femmes. Je suis obligé de rebasculer sur mon équipement de vision nocturne pour étudier les silhouettes qui se lèvent. « Deux pax sur les toits ! » J’ai le doigt sur la détente et réalise que j’ai failli ouvrir le feu.

Parallèlement, le reste de la section investit la cour, le tout en moins de dix secondes. Les hommes pénètrent dans le bâtiment et leurs comptes rendus hurlés se succèdent. « Pièce claire ! », « Femmes dans la pièce ! », « Enfants couchés ! »… Nous avons pris le contrôle total du compound en moins d’une minute. Tous les habitants sont maintenant sous la menace de nos armes. Toutes les pièces ouvertes sont inspectées, mais nous ne trouvons aucune trace du poseur d’IED. Au total, nous avons rassemblé un infirme, cinq ou six femmes et autant d’enfants. Cela n’a rien de menaçant en soi, mais nous avions déjà fouillé ce compound le 8 mars dernier et nous notons aujourd’hui l’absence des deux jeunes adultes présents la dernière fois.

Bien sûr, nous envisageons que ces deux Afghans puissent faire partie de l’équipe de poseurs d’IED que nous traquons. Nous nous souvenons également de l’infirme de la maison, un vieil homme – 40 ans, 60 ans, allez savoir – dont les membres inférieurs ont été sectionnés à hauteur des genoux. Dépourvu de prothèses et même de béquilles, il se déplace, en haillons, sur ses moignons, en s’aidant de ses coudes. La dernière fois, les deux jeunes l’avaient aidé à se déplacer en le soutenant. Où sont-ils ce soir ?

J’ai maintenant rejoint le reste de la section à l’intérieur du bâtiment, faisant passer mon HK en bandoulière dans le dos pour sortir mon pistolet, plus pratique dans un espace confiné. Je fais reposer mon pistolet sur une lampe torche, faisceau lumineux et canon inspectant les moindres recoins de ce bâtiment plongé dans l’obscurité faute d’électricité. Deux pièces sont fermées par des portes cadenassées.

Quelques coups de pied permettent d’ouvrir l’une d’elles assez rapidement. Nous constatons que la pièce qu’elle protégeait ne dissimule rien. Nous nous approchons d’une deuxième porte, cadenassée elle aussi, nous apprêtant à la défoncer aussi furieusement que la précédente, lorsqu’une gamine d’une dizaine d’années, les yeux embués de sommeil et de peur, nous apporte un trousseau de clés afin d’éviter que nous fassions subir de nouveaux outrages à sa maison. Elle affiche une mine désolée, comme un enfant coupable de je ne sais quelle bêtise, et tremble tellement qu’elle n’arrive pas à choisir la bonne clé qui permettrait d’ouvrir le cadenas de la porte devant laquelle nous sommes plantés. Il y a quelques mois encore, j’offrais des cyalumes – des bâtons lumineux – ou des friandises aux enfants, mais je suis ce soir à mille lieues de tout cela. Je lui arrache brutalement le trousseau des mains et finis par déverrouiller le cadenas.

La porte s’ouvre sur une sorte de débarras dans lequel s’entassent les trésors d’une famille afghane ordinaire : quelques gamelles, des bidons de récupération, des morceaux de métal susceptibles d’être utilisés un jour, une chaise cassée… Rien de tout cela ne nous émeut. Nous savons que le poseur d’IED est là, nous voulons le trouver. J’entre dans la petite pièce, fouille, dégage les affaires à la recherche d’une trappe ou d’une cache, mais je fais à nouveau chou blanc…

Nous quittons le compound quelques minutes plus tard, sans avoir rien trouvé malgré les renseignements que nous avions reçus par radio nous certifiant que le poseur d’IED s’y était réfugié. Mais la nuit ne fait que commencer et nous avons encore beaucoup d’autres compounds à fouiller. Il n’est pas question que nous revenions bredouilles, que nous laissions échapper un taliban qui a piégé l’un des itinéraires les plus fréquemment empruntés par nos véhicules blindés. Nous sommes décidés à lui mettre la main dessus. Le fait que notre mandat s’achève bientôt influe sans doute sur notre comportement. Depuis le début de l’été, les accrochages se font de plus en plus fréquents et nous sommes conscients que nous risquons d’y passer à quelques semaines de notre retour en France.

La mort de Rivière – le numéro 56 pour les médias et les Français, mais un copain de régiment pour nous –, pèse également sur notre moral. Avec les morts et les blessés qui se sont succédé, la fatigue accumulée, les accrochages plus ou moins sporadiques, nous avons en quelque sorte basculé. Nous n’avons plus envie de jouer aux militaires en mission d’assistance, nous voulons montrer notre visage de soldats et traquer ceux qui mènent une guerre de lâches et se cachent derrière une population plus ou moins consentante pour nous éliminer sans jamais oser se montrer en uniforme ou à visage découvert.

C’est une situation étrange, faite de peur, de stress et de rage. Une situation que j’ai déjà connue en Côte d’Ivoire, en novembre 2004, lorsque des Sukhoï Su-25 vinrent bombarder nos positions à Bouaké, emportant plusieurs des nôtres dans leurs frappes aussi soudaines que destructrices. Nous agissions alors comme simple force d’interposition dans le cadre de la force Licorne et nous étions censés imposer aux deux armées en présence – les forces loyalistes de Gbagbo, les forces rebelles de Ouattara – le respect d’une zone frontière…

Comme l’affirme le général Henri Bentégeat dans la préface de l’ouvrage Carnets d’Ivoire, du lieutenant-colonel François-Régis Jaminet – jeune capitaine lors des événements de Côte d’Ivoire –, « l’esprit de vengeance n’a jamais animé nos troupes, même après des embuscades meurtrières ». Il se trouve cependant que je ne suis pas général, et encore moins saint-cyrien. Je ne suis que l’un de ces innombrables sous-officiers anonymes qui ont décidé de servir la France et de côtoyer au quotidien ces jeunes soldats de tous horizons prêts à mourir pour leur pays, sans jamais remettre en question la mission qui leur a été confiée même s’ils doivent en souffrir. Mais ce don que nous faisons de notre personne n’est pas gratuit. Il nous emmène parfois loin de chez nous, dans des pays ravagés par la guerre, la souffrance ou la terreur, où il nous arrive de vivre l’innommable, de donner la mort ou de connaître le désespoir.

Tout cela ne donne peut-être pas naissance à l’esprit de vengeance, mais il n’empêche qu’une colère sourde gronde parfois en nous. Non pas contre nos autorités, mais contre ces combattants invisibles pour lesquels nous sommes l’ennemi, quand bien même nous apportons aide et assistance à leurs concitoyens. Cette colère sourde, je l’ai vue mortifier cette nuit-là, dans le compound afghan, une fillette de 10 ans. J’en éprouve encore aujourd’hui des regrets, mais ils sont dilués parmi bien d’autres souvenirs plus terribles qui me hantent parfois. Souvent.

Je m’appelle Yohann Douady. Après dix années de service, je suis aujourd’hui encore sergent dans une section tireur d’élite du 2e RIMa. Ces dix années, pour deux chevrons seulement, peuvent laisser penser à ceux qui connaissent l’armée que mon caractère ne joue pas toujours en faveur de ma carrière. Et ce témoignage ne contribuera peut-être pas à l’accélérer. Qu’importe. J’aime passionnément mon pays, j’aime le servir en tant que soldat, je respecte l’institution, mais j’estime qu’il est important de partager son expérience avec ceux qui, un jour, pourraient vouloir servir à leur tour. Je voudrais qu’ils le fassent en connaissance de cause, pour servir comme soldats et non pas dans une vaine tentative d’échapper au chômage ou de dénicher un petit boulot. Servir est un honneur, ainsi qu’une contrainte.

Je l’ai vécu en Bosnie notamment, en Côte d’Ivoire ou encore en Afghanistan, et je souhaite simplement partager mes souvenirs, des souvenirs heureux, mais aussi des souvenirs moins heureux qui, parfois, tourbillonnent dans ma tête jusqu’à me faire vaciller.
Permettez-moi de retracer ici ce que j’ai pu vivre, ce que plusieurs d’entre nous ont vécu – parfois jusqu’à en mourir –, et partagez avec moi ces quelques années que j’ai traversées avec d’autres au service de la France……

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