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La Syrie sur tous les fronts.

publié le 23/09/2016 | par Luc Mathieu

Cinq ans après le début de la guerre, les fronts se sont démultipliés en Syrie, rendant plus complexe encore ce conflit que la communauté internationale est incapable d’endiguer. Plus que jamais, la population est prise au piège.


© AP Photo/ Vadim Ghirda

C’était il y a quatre ans, presque jour pour jour. Les rebelles opposés au président syrien Bachar al-Assad pénétraient dans Alep pour la première fois. Il y avait alors deux camps principaux : les opposants armés, dispersés dans une myriade de groupes rarement coordonnés, et les soldats de l’armée du régime. Cinq ans plus tard, à Alep et dans le reste du nord de la Syrie, les guerres se sont superposées et les belligérants multipliés.

Au sol, l’armée syrienne a reçu le renfort du Hezbollah libanais et de combattants iraniens, irakiens et afghans. Dans les airs, les avions et les hélicoptères russes bombardent non seulement les positions rebelles mais aussi les hôpitaux, les marchés et les écoles.

Les rangs des opposants ont eux aussi éclaté. Il reste des groupes de l’Armée syrienne libre mais au sud d’Alep, ce sont les islamistes et les jihadistes qui sont majoritaires. Le chaos est entretenu par l’Etat islamique (EI), toujours présent dans la région. Ce n’est plus l’heure des conquêtes du califat, mais ses fiefs de Manbij et Al-Bab tiennent encore. Malgré des bombardements et des annonces répétées des capitales occidentales d’offensives à venir, Raqqa, capitale de facto de l’Etat islamique en Syrie, n’est aujourd’hui pas menacé.

Les Kurdes, eux, s’allient parfois au régime contre des groupes rebelles, parfois à des combattants sunnites arabes pour attaquer l’État islamique. Jouissant déjà d’une autonomie de fait, soutenus par la coalition occidentale, ils cherchent avant tout à prendre le contrôle des territoires qu’ils revendiquent dans le nord du pays.

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Infographie Libération, tous droits réservés.

Civils piégés

Au milieu de ces guerres, les civils sont piégés. Depuis le 17 juillet, les quartiers est d’Alep, contrôlés par la rébellion, sont assiégés. Dimanche, des jeunes ont brûlé des pneus pour assombrir le ciel et tenter d’empêcher les bombardements. «En fait, on sait bien que ça ne sert à rien contre l’armée syrienne. Ses hélicoptères larguent des barils d’explosifs au hasard, sans vraiment viser. Mais on espère que ça empêchera quelques frappes russes. Et surtout, c’est un moyen de faire parler de nous», explique Monzer Sallal, membre du comité de stabilisation du gouvernorat d’Alep. Selon lui, environ 60 000 familles sont aujourd’hui assiégées à Alep, où les prix des produits de base se sont envolés (lire les témoignages).
«Couloirs humanitaires»

Le régime syrien et la Russie ont annoncé la mise en place de «couloirs humanitaires» pour que la population puisse évacuer. Mais très peu s’y sont risqués. «Nous sommes consternés par la proposition conjointe de la Russie et de la Syrie, ont déclaré mercredi dans un communiqué commun une quarantaine d’ONG. Une vraie opération humanitaire ne devrait pas contraindre la population d’Alep à choisir entre fuir vers ses assaillants ou rester dans une zone assiégée sous des bombardements continus. Nous demandons que des mesures soient mises en place par l’ONU afin d’assurer la sécurité et la protection des personnes qui décident d’évacuer la zone.»

Vilipendées par les activistes et humanitaires syriens pour leur inaction et leur incapacité à faire cesser les massacres, les Nations unies et leur émissaire pour la Syrie, Staffan de Mistura, espèrent relancer les négociations à Genève à la fin du mois. «Même s’ils y parviennent, je ne vois pas comment cela pourrait aboutir à quoi que ce soit. Pour qu’un accord soit mis en place, il faudrait une garantie internationale, explique Thomas Pierret, maître de conférences à l’université d’Edimbourg. Mais les deux seuls qui pourraient s’en charger sont inopérants. La Russie, parce qu’elle est un belligérant direct dans ce conflit. Et les Etats-Unis, parce qu’ils ne veulent pas s’engager.»

Alep, le siège des quartiers rebelles 

C’est une bataille majeure qui se déroule au sud-ouest d’Alep. Entamée le 31 juillet, elle oppose des soldats du régime syrien et leurs alliés – combattants iraniens et du Hezbollah libanais – soutenus par des frappes de l’aviation russe. Face à eux, une vingtaine de groupes rebelles, soit plusieurs milliers d’hommes.

Certains sont issus de l’Armée syrienne libre, tels les groupes Faylaq al-Sham et Fastakim, et parfois soutenus directement par les Etats-Unis, comme la 13e division. La majeure partie est islamiste, dont les salafistes nationalistes d’Ahrar al-Sham et les jihadistes du Front Fateh al-Sham, le nouveau nom du Front al-Nusra qui vient d’annoncer sa rupture avec Al-Qaeda.

Leur objectif est double : couper l’une des principales routes d’approvisionnement des forces loyalistes et casser le siège imposé par le régime sur les quartiers est d’Alep, tenus par les insurgés. Ce siège est devenu effectif depuis le 17 juillet (lire page 4), lorsque des soldats du régime ont repris la route dite de Castello, la dernière qui permettait de rejoindre la Turquie et d’acheminer marchandises et matériel.

L’offensive actuelle des groupes rebelles était préparée depuis la mi-juillet. Son ampleur a surpris l’armée syrienne, qui a reculé et permis aux rebelles de progresser dans la banlieue de Ramoussa. Quelques jours plus tard, le régime a envoyé des renforts tandis que les chasseurs et hélicoptères russes ont commencé à bombarder massivement. Mercredi, l’armée syrienne avait regagné une grande partie des positions perdues.
Manbij, une bataille pied à pied pour une ville stratégique

La défaite de l’État islamique à Manbij ne fait aucun doute. Mais les combats sont plus longs et plus difficiles qu’escomptés. Plus de deux mois après le début de leur offensive, les Forces démocratiques syriennes (FDS) – en majorité des Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), alliés à des combattants arabes de brigades locales – ont repris environ 70 % de Manbij. La ville est stratégique. C’est par elle que transitaient une majorité des jihadistes étrangers venus de Turquie pour rejoindre le califat autoproclamé de l’EI.

Mais autant les FDS n’ont pas rencontré de résistance dans les villages alentours, autant elles peinent à avancer dans la ville elle-même. Il leur faut progresser rue par rue, maison par maison. Avant de reculer, les jihadistes posent des mines artisanales. Ils ont aussi des snipers positionnés sur les toits des habitations. Et régulièrement, ils envoient des kamikazes se faire exploser au volant de voitures piégées.

Les civils sont en première ligne. «Il en reste plusieurs dizaines de milliers. Même quand ils fuient, ils se font tirer dessus. Et lorsque les jihadistes de Daech reculent, ils les envoient vers la ligne de front pour se protéger. Les cadavres ne sont pas récupérés, ils pourrissent dans les rues et les maisons», décrit Monzer Sallal, membre du comité de stabilisation du gouvernorat d’Alep. Les civils sont aussi victimes de bavures de la coalition, qui appuie les FDS. Le 19 juillet, au moins 56 personnes ont été tuées dans le bombardement du village de Toukhar, à une dizaine de kilomètres au nord de Manbij. «Il y a eu plusieurs autres bavures dans la ville même ces dernières semaines», ajoute Monzer Sallal.

Le long de la frontière nord, une guerre de positions entre l’état islamique et les rebelles.   

Pas d’offensive majeure, mais des combats sporadiques et quasi-quotidiens. Jihadistes de l’Etat islamique et rebelles se livrent à une guerre de positions dans la région située entre Alep et la frontière turque. L’hiver dernier, une coalition d’une quinzaine de groupes rebelles affiliés à l’Armée syrienne libre, soutenus par des tirs d’artillerie de l’armée turque, était parvenue à s’emparer d’une dizaine de villages contrôlés par l’EI.

Ils avaient ensuite poursuivi leur progression, jusqu’à s’emparer de Al-Ra’i et menacer Dabiq, une bourgade où, selon la vision eschatologique de Daech, doit se dérouler la «bataille finale» entre Occidentaux et musulmans.
L’objectif des rebelles était surtout de s’approcher de Manbij, fief de l’EI. Mais les jihadistes ont contre-attaqué et repris la plupart des villages qu’ils avaient perdus. «Ce n’est pas compliqué, on a reculé à partir du moment où la coalition a arrêté de nous soutenir et de bombarder les positions de Daech», affirme un responsable de Nourreddine al-Zinki, l’une des brigades impliquées.

Depuis, les lignes de front sont globalement figées. «L’EI est trop occupé à Manbij pour relancer des assauts dans cette zone», explique Thomas Pierret, maître de conférences à l’université d’Edimbourg. La région est également convoitée par les Kurdes. Leur principal objectif est d’unifier le Rojava, les territoires qu’ils revendiquent en Syrie, et qui vont d’Afrin, dans l’ouest, jusqu’à la frontière irakienne, à l’est. Un plan violemment rejeté par la Turquie, qui refuse l’instauration d’un large territoire kurde autonome le long de sa frontière.

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