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Le dernier fiasco de Didier Julia

publié le 13/09/2006 | par Jean-Paul Mari

Alors que tout Paris bruissait des rumeurs de retour de Florence Aubenas, le députéfrançais a tenté – en vain – de faire diffuser un appel en arabe réclamant la… libérationde la journaliste! Ultime tentative de récupération après une longue série de bévues


Face à la caméra, Didier Julia peine à lire un texte en arabe littéraire, truffé de fautes de prononciation et parfois inintelligible pour des auditeurs arabophones:
«Je suis Didier Julia, député au Parlement français. Nous sommes tous solidaires de la souffrance du peuple irakien. Notre devoir, donc, et le devoir de la France, est de travailler pour la paix en Irak. De travailler pour libérer l’Irak de toute occupation étrangère pour mettre fin à la souffrance de ce peuple frère. Mes amis irakiens, au nom de […incompréhensible] la souffrance du peuple irakien, je vous supplie à nouveau, vous qui détenez la journaliste Florence Aubenas, de la libérer au plus vite. Merci à tous.»
Nous sommes le jeudi 9 juin. Dans le studio, Emmanuel Klein, directeur de la société de diffusion technique le But du Jeu, visionne plusieurs fois la cassette enregistrée qu’on vient de lui apporter. Le matin même, un coup de téléphone du bureau parisien d’Al-Jazira lui a demandé «comme un service» d’assurer le transfert des images – c’est son métier – à la rédaction centrale de la chaîne arabe au Qatar. Mais le contenu de la cassette le laisse pour le moins perplexe: «Je me demandais ce que ce personnage venait faire dans les médias au moment même où on parlait officiellement de la reprise d’un contact fiable avec les ravisseurs.» Sans compter que Julia, simple député UMP, n’hésite pas à parler au nom de la France quand il évoque le devoir de «libérer l’Irak de toute occupation étrangère»!
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Depuis quelques jours, tout Paris résonne de la rumeur d’une libération prochaine. Et personne n’a oublié l’interventionnisme du député et de son équipe après l’enlèvement de Chesnot-Malbrunot, le voyage rocambolesque à Damas, les conférences de presse, suite d’affirmations peu fiables et de démentis, une action qualifiée d’inutile et parasite par les autorités françaises. Déjà, par deux fois au moins, les 8 et 13 avril, l’équipe Julia a annoncé la libération imminente, mais sans suite, de Florence Aubenas et de son guide Hussein Hanoun. Au point que le président Jacques Chirac parle en privé du «pourrissement» de la situation par Julia et ses hommes. Ce jeudi 9 juin, Emmanuel Klein est convaincu que cet appel solennel de Didier Julia risque de mettre en péril une éventuelle libération de la journaliste ou, au mieux, de permettre au député UMP une ultime tentative de récupération politique d’un dénouement que tout le monde espère. Par téléphone, Ayache Derradji, numéro deux du bureau parisien d’Al-Jazira, lui confirme d’ailleurs que lui-même refuse de transmettre par ses propres moyens la cassette au Qatar, «par déontologie et pour ne pas cautionner l’appel». Ce qu’il ne lui dit pas, c’est qu’il a déjà appelé sa rédaction au Qatar pour la mettre vivement en garde sur l’aspect suspect de la démarche.
De son côté, Emmanuel Klein décide de retarder la transmission de la cassette à 18h15 en arguant de «problèmes satellitaires». Un premier appel à «Libération» lui a valu une réponse prudente de Serge July: «Rappelez-moi quand vous aurez visionné tout le document.» On convient d’un rendez-vous au journal et, à 19h15, le directeur de «Libération» reçoit en mains propres une copie de la cassette en confiant qu’il a l’assurance que les images ne seront pas diffusées sur les écrans d’Al-Jazira. Plus tard, Serge July affirmera sur France-Info qu’«il [Didier Julia] a interféré, comme il avait interféré dans l’affaire de Christian Chesnot et Georges Malbrunot. […] Il a gêné, j’ai envie de dire, comme d’habitude.»
Le journal «Libération» révèle un autre épisode douteux qui met en scène un Franco-Tunisien, K., et un Franco-Irakien, J., liés à Philippe Brett, collaborateur du député. Installés depuis quelque temps à Amman en Jordanie, les deux hommes promettaient aux journalistes des documents prouvant leurs liens avec les ravisseurs. Et J., le Franco-Irakien, dira au journal avoir dépensé 50000 dollars pour obtenir la première «cassette Julia», celle où on voit Florence Aubenas contrainte par ses ravisseurs à demander à trois reprises l’aide «urgente»… de Didier Julia. Cela fait beaucoup de cassettes. Beaucoup de temps. Et d’espoirs déçus.
Vendredi dernier, Pierre Gérard, autre collaborateur du député, passe au studio du But du Jeu s’assurer que «l’appel de Julia» a bien été envoyé, et il règle la facture de 300 euros avec un chèque signé de la main du député UMP. La veille, comme convenu, le document a effectivement été transmis au Qatar.Mais il ne sera jamais diffusé à l’antenne. L’opération Julia a échoué.

Jean-Paul Mari


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