Jean-Paul Mari présente :
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L’histoire secrète des otages.

publié le 20/03/2013 par Jean-Paul Mari

Trois fois, ils ont failli être libérés. Trois fois, l’opération a échoué au dernier moment. Depuis deux ans et demi les otages errent de cache en cache, prisonniers d’Aqmi dans le désert malien. Aujourd’hui, la guerre a tout bouleversé et l’État français ne veut plus payer de rançon. Enquête sur les coulisses de la négociation, avec ses pièges, ses revirements et ses tragédies.

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C’est le bruit qui les a réveillés. Au début, ils ont cru que le chat avait une nouvelle fois renversé la table de repassage. Daniel, le mari, est allé voir. Et il n’est pas revenu. La porte d’entrée a volé en éclats. Autour du lit de Françoise, des hommes, en chèche couleur sable et kalachnikov, la pressent : « Dépêche-toi ! » Ce 16 septembre 2010, sur la table de chevet, le réveil marque 3h20 du matin. Quelques minutes plus tard, Françoise Larribe se retrouve allongée à côté de Daniel, à l’arrière d’un pickup. Françoise fait remarquer à l’un des assaillants qu’il est assis sur sa jambe. L’autre s’énerve mais se déplace.

Le convoi fonce, quitte le site d’extraction d’uranium, roule une demi-heure et fait une courte pause au pied de grands rochers au sud d’Arlit. Françoise découvre cinq autres otages qu’elle ne connaît pas : Marc Ferret, Pierre Legrand, Thierry Dol, le Malgache Jean-Claude Rakotoarilalao et le Togolais Alex Kodjo Ahonado. Tous travaillent au Niger pour Areva ou Sogea-Satom, filiale africaine du groupe Vinci. On roule. Par réflexe, Françoise boucle sa ceinture… Clic ! « Le premier qui bouge, une balle dans la tête ! » menace un membre du commando. Une voiture tombe en panne. Elle est brûlée sur place. « Savez-vous qui nous sommes ? Nous, c’est Aqmi. Et là, dans la voiture devant, c’est Abou Zeid ! » Françoise frissonne.
« Toi, la femme, prends tes bagages »

Deux jours de route, de brèves pauses, du lait, des dattes. La Française reconnaît le granit noir des Ifoghas, dans le nord du Mali. On les sépare en deux groupes. Cinq mois à nomadiser dans les rochers ou cachés sous de petits acacias secs. Le désert en hiver est glacial. Pas de feu, pas de médicaments, pas de tabac, beaucoup de thé, une couverture pour deux, même les ravisseurs toussent à fendre l’âme. « J’ai eu très froid », dit Françoise, sans mentionner qu’elle était gravement malade.

Elle est là, deux ans plus tard, sobre et digne, touillant un thé à une table de brasserie de Nîmes, soulagée de sa libération mais tordue d’angoisse pour Daniel, toujours prisonnier du désert. Le 24 février 2011, on lui a dit : « Toi, la femme, prends tes bagages. Monte dans la voiture. » Elle : « Non. Pas sans mon mari ! » Daniel lui parle, la convainc de partir, pour témoigner auprès de leurs filles. A un campement, elle retrouve deux autres otages, Jean-Claude et Alex. Un homme habillé en Touareg s’approche d’elle :
« Je viens vous chercher.
– Qui êtes-vous, d’abord ?
– Jean-Marc. Je suis mandaté pour vous ramener.
– Et les autres, on va les récupérer ?
– On va essayer. »

Le faux Touareg, vrai Français, discute longuement avec Abou Zeid. Françoise se dit impressionnée. L’homme est calme, sait ce qu’il fait, fait ce qu’il faut, « très pro ». Françoise passe deux jours avec Jean-Marc. La nuit, il lui tend un tapis de sol gonflable, prévient cinq minutes avant chaque déplacement et la conduit à l’aéroport de Niamey. Sur la piste, un Falcon 50 attend et, dans l’avion, un verre de vin. Les défenses de Françoise s’effondrent : « Autorisation de pleurer ».
Jean-Marc, un ex-agent français

Le faux Touareg, lui, est reparti vers l’Afrique. L’homme est un ancien colonel, officier du « 11e Choc », service Action de la DGSE. D’origine corse par sa mère, Jurassien par son père, Jean-Marc Gadoullet a parcouru pendant 16 ans les terrains de conflits, de 1992 à 2008, et s’est fait décorer deux fois – croix de guerre et Légion d’honneur -, par deux présidents différents, notamment pour son action au coeur des combats au Kosovo. Un homme de terrain, courageux et opérationnel, fonceur, parfois rude, plus doué pour l’action dans le désert que pour la diplomatie de salon.

A N’Djamena, au Tchad, où il est envoyé quatre ans comme conseiller de la garde présidentielle, il s’est enfermé dans le palais avec le président Idriss Déby, que les milieux diplomatiques tiennent pour mort. Dehors, à coups de mitrailleuses et de canons, les rebelles essaient d’enfoncer les défenses. L’agent informe sa maison, la DGSE. Le lendemain, en pleine réunion de crise, Nicolas Sarkozy appelle le palais, et le colonel lui passe Idriss Déby, bien vivant, au téléphone.

En France, décoré aux Invalides par le président, le colonel Gadoullet maintient ses exigences : la mise à pied de l’ambassadeur de France et de l’attaché militaire, qu’il considère comme incompétents. Refusé. Sa médaille sur la poitrine, il se cabre et signe sa propre démission. Il s’installe à Perpignan et en Suisse, fonde Global D, une société de sécurité spécialisée dans la protection des grands chantiers français. Dès 2009, il travaille pour Sogea-Satom, filiale de Vinci, sur un chantier en panne, dans le dangereux périmètre d’Aqmi, à Alatona, près de Diabali, là où s’est jouée en janvier dernier une grosse bataille entre les islamistes et l’armée française.

La méthode du « Colonel » ne variera jamais. Elle repose sur les Touaregs, maillons d’un réseau du désert chargé d’informer et d’assurer la sécurité. Ca marche. Le chantier d’Alatona peut reprendre. Il en fera la philosophie d’un projet dénommé « Phénix ». Dès la prise d’otages d’Arlit, ses informateurs lui signalent les allers-retours des islamistes entre Arlit et le massif des Ifoghas. Il informe Vinci, qui alerte les autorités. Sans nouvelles, il bouillonne.
« Je ne parle pas avec le diable »

Le 1er décembre, il obtient un mandat des sociétés Sogea-Satom et Areva pour prendre langue avec Abou Zeid, active ses réseaux touaregs et contacte Aqmi. La réponse d’Abou Zeid est d’abord méfiante : « Je ne veux parler qu’avec l’Etat. » Puis le chef islamiste accepte une rencontre. Désormais, pour l’ex-agent français, la libération des otages devient bien plus qu’un travail. C’est une mission, jusqu’à l’obsession.

Le 14 décembre 2010, déguisé en Touareg, il dépasse Kidal et s’enfonce dans un paysage lunaire, entre les oueds et les énormes blocs de roche noire truffés de profondes cavités. Voyage « un peu surréaliste », se rappelle l’ex-agent. Sur chaque crête, chaque arête, un moudjahid armé guette, tunique au vent. Abou Zeid l’attend, pour une discussion qui va durer une partie de la nuit. D’abord un prêche interminable contre les « mécréants », puis un véritable interrogatoire : « Qui êtes-vous ? En quoi croyez-vous ? Pourquoi venir jusqu’ici, vous êtes fou ? »

L’ex-colonel de la DGSE est impressionné. Face à lui, l’un des chefs charismatiques d’Aqmi, issu du GSPC algérien et des GIA. L’homme mesure 1,40 mètre, à peine plus haut que son fusil automatique PKM. Il a 49 ans, en paraît 20 de plus, n’a pas vu une ville depuis une vingtaine d’années, porte un chèche, une tunique et de simples sandales mais ne quitte pas son téléphone satellite. La barbe est poivre et sel, le visage buriné, taillé à coups de serpe. On doit tendre l’oreille. Il parle l’arabe à voix très basse, au ralenti, boit et offre beaucoup de thé, toujours très courtois mais intraitable dans la négociation. Abou Zeid ne s’énerve jamais. Ou alors il tue. Au printemps 2009, les services secrets britanniques l’appellent au sujet d’Edwin Dyer, l’otage qu’il détient depuis six mois :
« On ne traitera jamais avec toi.
– Et moi, je ne parle pas avec le diable. »

On raconte qu’Abou Zeid pose le téléphone, se lève et abat l’otage de sa main. Le 24 juillet 2010, il ne tenait pas à faire exécuter un vieillard de 78 ans, Michel Germaneau. Mais la tentative de libération ratée des forces franco-mauritaniennes a fait des morts. Ses hommes ont exigé une vengeance et Abou Zeid a dû céder. Pour lui, peu importe qu’ils soient civils ou militaires, les otages appartiennent à une civilisation « païenne et corrompue », des égarés, des « gens du Livre » qui suivent un très mauvais chemin. Ils sont utiles pour obtenir de l’argent ou un deal politique. Ou bien ils ne servent à rien. Qu’on les égorge.
Le deal avec Abou Zeid

A l’aube, Abou Zeid fait parvenir sa réponse à Jean-Marc Gadoullet : « On peut continuer à négocier. » On lui remet un carnet avec des consignes. Comme préalable, le chef islamiste veut la libération de Sanda Ould Boumama, un Tunisien détenu à Bamako. Le Français active ses « amis maliens » et, peu après Noël, Sanda « s’enfuit ». Sanda, qu’on verra réapparaître comme… porte-parole des islamistes d’Ansar Dine, à Tombouctou. Le 3 janvier, le Français retrouve Abou Zeid, « plus détendu ». Il lui demande la libération de trois otages dont celle de Françoise Larribe, qu’Abou Zeid refuse.

Le 8 janvier 2011, le chef islamiste fait parvenir deux lettres. La première, imprimée et signée de son nom complet « Abdul Hamid Abou Zeid », marquée du sceau d’Aqmi et adressée à Nicolas Sarkozy, s’étonne du manque de réponse à ses propositions. Au passage, il exige que la France annonce un calendrier clair pour… le retrait d’Afghanistan. Le président a du mal à répondre : au même moment, ses forces spéciales attaquent le convoi des islamistes d’un autre chef, Mokhtar Belmokhtar, dit « le Borgne », qui emporte deux jeunes Français enlevés à Niamey. L’attaque échoue. Les deux Français sont tués pendant l’intervention. Mais cette action musclée démontre qu’à l’Elysée l’entourage militaire, hostile au paiement des rançons et partisan de la fermeté, commence à se faire entendre : le début d’un changement de politique de la France.

La deuxième lettre d’Abou Zeid, manuscrite, signée et authentifiée à l’encre rouge de son empreinte digitale, s’adresse au directeur de la société Sogea-Satom et rappelle sa proposition de départ : « Pour la libération de deux otages s’agissant (sic) du Togolais Alex et du Malgache Jean-Claude. Il vous faudra viser une rançon équivalant à : 20 millions d’euros. Et que la paix soie (sic) envers ceux qui suivent le guide… » La lettre ne parle pas de Françoise Larribe. Nouveau voyage de Jean-Marc Gadoullet qui veut obtenir aussi sa libération. Refus. Menaces de rupture de négociations. Puis, accord sur un prix pour les trois otages. Vicki J. Huddleston, ex-ambassadrice américaine au Mali, affirme que la rançon payée serait de 17 millions de dollars (soit 12 millions d’euros).

A la mi-janvier, tout est prêt – l’accord, la rançon, la logistique – et un Falcon 50 vole déjà vers Bamako. A l’arrivée, surprise ! L’atterrissage est interdit par « ATT », le président malien Amadou Toumani Touré. Colère du « Colonel », qui apprend qu’un émissaire venu de Paris serait intervenu auprès d' »ATT ». Jean-Marc Gadoullet est convaincu que l’émissaire, Guy Delbrel, consultant sur l’Afrique pour Air France et fin connaisseur de la région, a persuadé le président malien d’empêcher l’opération.

Guy Delbrel s’en défendra vivement par une lettre au journal « le Monde » : « Je ne mène ni n’ai jamais mené, bien évidemment, aucune tentative de ‘négociation parallèle’. M’imputer une manoeuvre de retardement dans la libération des premiers otages est, par conséquent, une accusation mensongère. » L’avion ne peut pas se poser à Bamako ? Tant pis. En bon technicien de l’action, le « Colonel » a prévu un plan B par le Niger, et le 18 février 2011 il franchit la frontière du Mali en direction du massif des Ifoghas. Le 24 février, Françoise, Alex et Jean-Claude sont libres. Restent les quatre autres.
Le défilé des émissaires

« 24 avril 2011. Al-Qaida au Maghreb islamique, secteur Sud, katiba Tareq Ibn Ziyad… à Anne Lauvergeon, présidente du conseil administratif (Areva)… Conformément à nos engagements, Aqmi présente le dossier de Marc Ferret… » Cette lettre est le résultat de semaines de nouvelles et dures négociations. Le « Colonel » a revu Abou Zeid. Ce dernier veut discuter au cas par cas, mais l’envoyé des sociétés veut une libération globale. Le chef islamiste exige des modalités politiques et la libération de « frères », en France, en Algérie et en Mauritanie. Il faut le convaincre qu’aucun des Etats ne suivra. On recommence à peine à parler chiffres et rançon, quand toute une série d’événements extérieurs viennent parasiter la situation.

Le 20 mai 2011, le monde apprend qu’un commando américain a exécuté en pleine nuit le chef d’Al-Qaida, Oussama Ben Laden, dans une villa de la banlieue d’Abbottabad, au Pakistan. Au même moment, l’armée mauritanienne lance une offensive sur les groupes armés d’Aqmi. Puis la guerre éclate en Libye. Abou Zeid ne répond plus, il fait le coup de feu. Trop occupé. Les otages ne sont plus sa priorité… Et le « Colonel » bouillonne d’impatience. D’autant qu’il a le sentiment qu’on fait tout pour freiner son entreprise. « Le marché de la sécurité au Sahel est un gros gâteau qui aiguise les appétits, attise les rivalités et les mauvais coups des concurrents », ironise un haut responsable d’une société française.

Très vite, d’autres voies de négociation ont été explorées. Un émissaire est parti de Niamey, au Niger, un ancien rebelle touareg devenu un temps ministre, qui connaît bien la région et effectue plusieurs missions. De Ouagadougou, les services français s’activent aussi. Et, dans l’entourage du président du Burkina Faso, son conseiller Limam Chaf, « sauveur d’otages », surnommé « le renard du désert », a déjà obtenu des libérations de l’émir Mokhtar Belmokhtar. Lui aussi finira par tenter sa chance, tardivement. Beaucoup de tentatives d’approche donc, sans vrai succès.
« On ne négocie plus avec les terroristes »

Abou Zeid fait enfin signe ! L’été sanglant de 2011 est terminé, la région souffle et, après de longs mois sans nouvelles, les négociations peuvent reprendre. Sauf que quelques articles de presse décrivent le « Colonel » comme un imposteur brutal et décrié. Les 13 et 14 décembre, il se fera remettre deux lettres des directions de SogeaSatom et d’Areva, confirmant qu’il est la « seule personne habilitée à négocier » la libération des quatre otages. Puis, Brussels Airlines, direction Bamako. Et le voici sur la route de Kidal, toujours en faux Touareg.

Quatre kilomètres après Gao, un barrage de gendarmes : « Deux hommes armés de kalachnikovs, en tee-shirt… Je les ai pris pour des coupeurs de routes, des bandits. » Eux aussi, sans doute. Le 4×4 blanc accélère. Les gendarmes criblent de balles le véhicule… chargé de 600 litres de carburant ! L’un des projectiles traverse l’épaule du « Colonel », pulvérise l’omoplate, frôle l’artère et ricoche sur la mâchoire. Son négociateur touareg continue sans lui et informe Abou Zeid… « Il a rigolé. » L’agent est évacué 12 heures plus tard par Sogea-Satom.

A Percy, sur son lit d’hôpital, il reçoit la visite de Françoise Larribe venue le réconforter et apprend que deux « géologues » français, Serge Lazarevic et Philippe Verdon, viennent de se faire enlever à Hombori. Et de six ! A Noël, il regarde la neige suisse tomber sur les rives du lac Léman. En janvier, il est d’aplomb, à Niamey, au Niger, et reprend la négociation « en indirect », par le biais de ses intermédiaires touaregs d’Ansar Dine, la branche politique la plus modérée, celle qui négociera bientôt à Ouagadougou et finira par rompre avec son chef, Iyad Ag Ghali, islamiste lancé dans l’aventure folle de la guerre.

Une lettre parvient enfin. Datée du 1er avril 2012, signée d’Abou Zeid et marquée de son empreinte digitale rouge. Prix de la rançon pour Marc Ferret : 6 millions d’euros. Quelques semaines plus tard, le chef islamiste fera même parvenir une offre – 2 millions d’euros ! – pour rendre les camions et le matériel qu’il a fait voler à Sogea-Satom sur le chantier de Niafunké. Les négociateurs, eux, n’ont pas renoncé à faire sortir tous les otages et Abou Zeid s’est engagé à en parler.

On prépare la logistique et le « Colonel » est prépositionné au Niger. Sauf que, pour une opération de ce type, il faut l’accord du preneur d’otages, des sociétés concernées et aussi celui, indispensable, de l’Etat français. Or, en France, le 22 avril est la date du premier tour de l’élection présidentielle. Et pour l’opération, une réunion de crise à l’Elysée aboutit aux conclusions suivantes : 1) « Le contexte politique français du moment ne s’y prête pas » ; 2) « On ne négocie plus avec les terroristes » ; 3) Si on négociait, ce serait pour les six d’un coup, pas seulement pour les quatre de Sogea-Satom et d’Areva.
50 et 60 millions d’euros versés en cinq ans

Le 3 mai 2012, le dispositif est démantelé, les sociétés renoncent à agir dans l’immédiat. Peu après, la France a un nouveau président, François Hollande. En ouvrant les dossiers à l’Elysée, « il a écarquillé les yeux devant les sommes énormes récoltées par Aqmi grâce aux rançons européennes », dit un proche de l’Elysée. Entre 50 et 60 millions d’euros depuis 2009, l’équivalent d’une année de budget de coopération avec le Mali, selon un diplomate à Bamako : « Une fortune qui sert aux terroristes pour nous combattre ! » Cette manne constitue, selon un rapport parlementaire, 90% des revenus d’Aqmi.

Le président écoute, consulte, entend les arguments de son entourage militaire, sa religion est faite : « Il est partisan de la fermeté contre les preneurs d’otages », dit-on. Les mois s’écoulent… De son repaire du massif des Ifoghas, « Abou Zeid, agacé, commence à perdre patience et fait savoir, en août, qu’il n’a plus aucun contact avec les Français », se rappelle un négociateur touareg.

A l’automne, sous la pression des familles et des sociétés, l’Etat fait une proposition minimale pour les quatre otages. Refus d’Abou Zeid, qui n’aime pas qu’on lui dicte ses décisions et qui fait une contre-proposition : 30 millions pour Daniel Larribe, 40 pour Thierry Dole et Pierre Legrand, 6 comme convenu pour Marc Ferret. « C’est trop, bien sûr ! Mais c’était sa façon à lui de dire : revenez discuter avec moi », explique un intermédiaire touareg. A l’époque, le chiffre astronomique de 90 millions d’euros circule et crispe tout le monde. Silence radio. Les intermédiaires touaregs quittent le massif des Ifoghas, las d’attendre une réponse qui ne vient pas. A la fin de l’été, Abou Zeid annonce : « Je vais faire autrement. » Il enregistre une vidéo qui s’adresse aux familles et aux sociétés. Puis rappelle les intermédiaires touaregs :
Alors, les Français… ils font quoi ?
– Ils ne bougent pas. »

Lui habituellement si taiseux, le voilà qui relance par une nouvelle offre de négociation transmise à son interlocuteur mauritanien de Radio Sahel. La diffusion est très large, l’impact minimal. Abou Zeid pique une colère. Lors d’une réunion à Paris, on propose au « Colonel » un voyage :
Allez prendre un thé avec Abou Zeid.
– Non. Pas sans argent. Je ne veux pas finir égorgé.
– 76 millions, c’est trop.
– Avec 30, ça passerait. »

Ensuite, tout va s’accélérer. La France parle à voix haute d’une intervention au Mali. Et Abou Zeid se cabre, ne parle même plus d’argent et gronde : « On veut me faire la guerre ? Je ne libère plus personne ! » Plus tard, il acceptera 30 millions pour deux otages, histoire d’en garder deux autres en boucliers humains. Fin novembre, un Falcon 50 attend sur un aéroport belge. En secret, deux équipages sont mobilisés toute une semaine, et on a même calculé le poids des billets – 250 kilos – en coupures de 100, 200, 500 dollars et euros. L’avion ne décollera jamais. Pas d’autorisation. C’est fini.
Ils sont toujours vivants

En janvier, la guerre éclate dans le nord du Mali. Et, malgré les combats, Abou Zeid, qui a plus que jamais besoin d’argent, fait savoir qu’il est toujours prêt à négocier. Mais le temps des rançons a vécu. Désormais, seule la DGSE a la main sur les tractations. Les forces franco-tchadiennes investissent le massif des Ifoghas, et l’on retrouve le cadavre d’un petit homme entre deux rochers – sans doute celui d’Abou Zeid – écrasé par les bombes ou les obus.

Et les otages français ? Au 1er mars ils étaient toujours vivants : « Les personnes se portent bien, elles sont un peu à l’écart de ce qui se passe », dit un émissaire touareg de confiance. En clair, les otages ne sont plus dans la zone de combat du massif des Ifoghas, mais toujours dans le nord du pays. Sans Abou Zeid. Avec qui ? « Malheureusement, il n’y a plus de contact direct comme avant, poursuit le Touareg. Ce contact passe maintenant par une ou deux autres personnes. » Après des années de négociations, le Touareg conclut : « L’espoir est toujours là. »


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