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Mike Tyson, le boxeur en peluche

publié le 17/04/2007 | par benoit Heimermann

Pauvre petit ours en peluche! Le voilà condamné à boxer à vie, robocop sans tête, au son de la musique rap qui rythme la vie des gosses de Brooklyn, un tempo puissant mais heurté, incohérent, aussi paumé que violent, dépassé par la révolte qu’il n’a pas su incarner.


– « Essaies de te détendre un peu, Mike.. » dit le soigneur. Mike Tyson, de dos, masse noire enroulée dans un peignoir bleu électrique, enfouit son visage dans ses mains. Nous sommes dans une petite cour ouverte sur un paysage mi-urbain, mi-campagne américaine. On suit les derniers pas du boxeur avant le combat. Toujours un moment de doute, d’angoisse, de dérive.

-« Tu crois qu’ils m’aimeront? Je suis à cran..J’ai fait du chemin quand même.. » gémit la montagne de muscles. Le boxeur s’appuie contre l’épaule de son soigneur, sa main de tueur esquisse une caresse. Il pleure. Comme un gosse perdu, lové contre la poitrine de sa mère.

-« Je suis Mike Tyson..Est-ce qu’on m’aime?..Pourtant, je suis fier de moi. »

-« Mais oui, tu peux l’être.. » dit le soigneur dont le nez cassé renifle d’émotion.

Suit un long silence entre un homme qui sanglote le corps cassé en deux et un soigneur dépassé par l’ampleur du désespoir de son boxeur. Moment de flottement magique. Moment inouï de proximité. La caméra n’existe plus. Derrière la brute, le mauvais garçon et le champion, on découvre un Mike Tyson inconnu.

-« Allons! Maintenant, il faut préparer le combat.. » ordonne le soigneur.

Et le boxeur le suit, se redresse, esquisse quelques crochets réflexes. Encore quelques pas, quelques coups de massue vers le ciel et la métamorphose s’accomplit. Quand Mike Tyson passe la porte des vestiaires, ne reste qu’un champion, tout en muscles et en violence contenue. Prêt à tout. Prêt au combat.

Qui est Mike Tyson, champion du monde des poids lourds, voyou engendré par Brooklyn, bébé délinquant incarcéré à onze ans pour attaque à main armée, chef de gang à treize ans, emprisonné trois ans pour viol, graine de violence nourrie de mauvaise Amérique? « C’est un ours en peluche.. »disent ceux qui le connaissent. Un ours noir en peluche, laid, mal-aimé, paumé, un jouet d’enfance désarticulée.

Il aurait du en crever. Ou finir assassin. Il devient le plus célèbre boxeur des années quatre vingt.

Pas une once d’élégance sur le ring, pas le mondre mot d’esprit devant les caméras. Il n’est ni papillon, ni abeille. Il n’a rien d’un Mohammed Ali, son idole. Pour lui, le direct n’est que le plus court chemin entre sa haine et le visage de son adversaire. Il a les jambes courtes, des petits bras et un cou de buffle. De la boxe, il ne retient que l’élémentaire: la force, la puissance et le punch. Mais quel punch! A treize ans, on a déjà du mal à lui trouver des sparrings-partners. A quinze ans, en championnat des poids lourds juniors, on le voit inaugurer ce qui sera son « style ». D’abord piétiner son coin de ring en dodelinant de la tête, puis marcher sur son adversaire, prendre les premiers coups l’air distrait avant d’en venir à l’essentiel. Quelques secondes après le coup de gong, ses adversaires ont tous la même réaction. Noirs, blancs, métèques, artistes assassins ou géants délicats, célibataires ascètes ou séducteurs vedettes, gorilles ou hommes-serpents..ils ont tous ce soudain début d’immobilité, les bras mous et un sourire idiot, quand ils se filent vers le tapis pour une éternité de plus de dix secondes. D’instinct, Tyson leur offre une égalité de droits absolue. L’enfant blessé est un tueur monotone. Le champion est invaincu. Ah! La belle histoire. Comme l’Amérique les aime. Il était laid et méchant, s’est transformé en démon, a maitrisé les forces du mal et ange-exterminateur n’a plus qu’à se transformer en ange américain. Ah le bon noir! Oublié Cassius Clay-Mohamed Ali, son immense talent, ses diatribes provocantes, sa révolte et son discours politique! Rassurés, les publicitaires investissent des millions de dollars dans le nouveau « héros » américain. La gloire, la violence, l’argent..tout est là. Du coup, les femmes trouvent Tyson terriblement séduisant. Très mauvais les femmes pour les ours en peluche! Ils ont besoin d’une mère, intelligente, douce et rassurante. Pas de ces déesses blondes ou noires au sourire carnassier qui envahissent la vie des stars. Elle s’appelle Robin Givens, l’appelle Michael, lui fait un enfant et lui montre d’un doigt amoureux un magnifique contrat de mariage: « Signes ici, Michael. Penses à ton futur enfant. Ton fils! » Quelques années plus tard, elle annoncera à la presse que Tyson est un « maniaco-dépressif », qu’il faut le soigner d’urgence au lithium, s’en occuper. Et bien gérer ses affaires. Arrive Don King, autre requin, spécialisé dans l’organisation des combats de boxe. Arrêté trente fois, emprisonné pour meurtre, il est devenu le pape de la boxe américaine et s’est fait recevoir à la table de tous les présidents des Etats-Unis. Pris entre la déesse et le requin, Tyson devient l’ombre de lui même. Une vilaine nuit sur un ring, face à un challenger qu’il aurait du réduire à l’état de corps flasque, c’est lui qui hésite, encaisse, titube et…s’écroule. Incroyable! Mike Tyson est K-O. Le reste est l’histoire d’une dégringolade, d’un procès pour viol et de trois années de prison. Un retour à la case départ pour un sale gosse de Brookyln. Il en ressortira, à peine assagi et converti à l’Islam. Prêt à remonter sur un ring. Dommage que sur le seuil de la prison, il y ait quelques superbes créatures et Don King, entouré des caméras qu’il a fait venir.

Pauvre petit ours en peluche! Le voilà condamné à boxer à vie, robocop sans tête, au son de la musique rap qui rythme la vie des gosses de Brooklyn, un tempo puissant mais heurté, incohérent, aussi paumé que violent, dépassé par la révolte qu’il n’a pas su incarner. Condamné pour l’éternité à poser la seule question qui le hante: « Est-ce qu’ils m’aiment? Je suis Mike Tyson. Dis..Est-ce qu’ils m’aimeront un jour? »

Jean-Paul MARI.


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