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Nagez ! Pour ne pas vous noyer

publié le 23/06/2023 | par Jean-Paul Mari

Nageurs et nageuses font l’actualité culturelle de ces temps-ci. Hasard ou signe des temps. Et si nager nous permettait de résister à l’actualité ?

Pierre Assouline, de l’Académie Goncourt, publie « Le Nageur ». Il y raconte l’histoire passionnante d’Alfred Nakache, nageur d’exception, représentant de la France aux JO de Berlin en 1936, dénoncé comme juif et résistant et déporté à Auschwitz avec sa famille. Le champion en est revenu, seul, accablé, mais a réussi retrouver le chemin des bassins, jusqu’aux podiums.

Autre temps, toutes autres circonstances. « Dès que possible, je nage ». Pour Lucas Menget, reporter, la nage est existentielle. Il la pratique sans relâche dans le Finistère Nord, à Bagdad ou à Paris durant le Covid en bravant l’interdiction.
Chantal Thomas, de l’Académie française a, elle, publié son Journal de nage. Et Netflix, ces jours-ci, diffuse un film sur l’histoire vraie de Sarah et Yusra Mardini, deux sœurs nageuses sauvées au large de Lesbos en 2015 alors qu’elles fuyaient la Syrie en guerre par la mer en 2015.

Dans son livre, Pierre Assouline rappelle qu’aux origines étaient le poisson et l’obligation, énoncée dans un traité du Talmud, d’apprendre à nager. Par-delà les histoires et les destins, il semble bien que nager devienne une nouvelle philosophie.

On se souvient du succès de librairie en 2008, de « Courir » de Jean Echenoz sur le phénomène Émile Zátopek. Aussitôt, la France chaussait ses runnings et se mettait à la course, à la recherche de la performance. Quelques années et autant de tendinites plus tard, elle apprit à (re)découvrir la marche.

« Marcher, une philosophie » du philosophe Frédéric Gros devint un livre de chevet pour nombre de personnes tandis qu’Antoine de Baecque livrait Une « Histoire de la marche » et nous invitait à la randonnée comme un temps privilégié de méditation.

Nager invite désormais à une expérience retrouvée du corps et de l’esprit. Nager, c’est choisir de suivre le courant ou, au contraire, de progresser à contre-courant : une liberté. Une réparation. Quelque chose dans la progression régulière du nageur fait écho pour échapper à l’actualité des crises. On se jette à l’eau, on nage, on surnage, l’effort est mesuré : il réconforte.

Dans une société où l’on se noie – au propre, tragiquement, en Méditerranée, comme au figuré – tendre son corps, lever le menton, bouger ses membres pour ne pas couler, fendre l’eau à son rythme, réaliser que l’on réussit à flotter en toutes occasions, nager sans autre nécessité que de faire ses longueurs, en piscine ou dans la mer, les compter, oublier, s’oublier, ne plus là être pour personne est tout simplement salvateur.

Pierre Assouline cite en exergue cette phrase du poète Paul Celan : « Stehen : tenir, se tenir, résister ». Lucas Menget cite : « Le vent se lève ! Il faut tenter de vivre ». C’est Paul Valéry qui le dit.

par  Sandrine Treiner

Article réalisé en collaboration avec lejournal.info


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